SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT ANDRÉ. Ambulans Jesus juxta mare Galileœæ, vidit duos fratres, Simonem qui vocatur Petrus, et Andream fratrem ejus; et ait illis : Venite post me. Jésus, marchant le long de la mer de Galilée, aperçut deux frères, l'un Simon appelé Pierre, et l'autre André ; il leur dit : Suivez-moi. SAINT MATTHIEU, chap. IV. Ces paroles de Jésus-Christ furent un ordre bien doux en apparence, et bieh facile à exécuter; mais au fond, et dans l'intention même du Sauveur des hommes, cet ordre devoit être, pour ces deux frères de notre évangile, un engagement à de rigoureuses épreuves; car leur dire, Suivez-moi, c'étoit leur dire, Renoncez à vous-mêmes, préparez-vous à souffrir, soyez déterminés à mourir; ne vous regardez plus que comme des brebis destinées à la boucherie, que comme des victimes de la haine et de la persécution publique, que comme des hommes dévoués à la croix; c'étoit, dis-je, par ces courtes paroles, Venite post me, leur faire entendre tout cela, puisqu'il est vrai que la croix étoit le chemin par où cet Homme-Dieu avoit entrepris de marcher, et que, selon ses maximes, il est impossible de le suivre par toute autre voie. En effet, Chrétiens, c'est par-là que ces bienheureux apôtres Pierre et André ont suivi leur divin maître. Tous deux ont mérité de mourir, comme Jésus-Christ, sur la croix; tous deux ont eu l'avantage de consommer sur la croix leur glorieux martyre; et tous deux, à la lettre, ont ainsi répondu à leur vocation, et sont devenus les premiers sectateurs et les premiers disciples d'un Dieu crucifié. Voilà, dit saint Chrysostome, en quoi ils eurent, comme frères, une ressemblance parfaite; mais, du reste, voici quelle différence il y eut entre l'un et l'autre dans leur crucifiement même : elle est digne de vos réflexions, et elle va servir d'ouverture à ce discours. C'est que le courage et la résolution de saint Pierre à suivre JésusChrist n'a pas empêché qu'il n'ait témoigné de la répugnance, et qu'il n'ait fait paroître dans sa conduite de l'éloignement pour la croix; au lieu que saint André a toujours paru plein de zèle, et pénétré, non seulement d'estime et de vénération, mais d'amour et de tendresse pour la croix. Je m'explique: Quand Jésus-Christ dans l'Évangile parle de la croix à saint Pierre, saint Pierre s'en scandalise et s'en offense : je ne m'en étonne pas ; il n'en concevoit pas encore le mystère, et il étoit trop peu versé dans les choses de Dieu. Mais après même qu'il a reçu le Saint-Esprit, tout confirmé qu'il est en grace, il B. 4. 1 ne laisse pas, si nous en croyons la tradition, de fuir la croix qui lui est préparée ; il se sauve de sa prison, il sort de Rome, et il faut que Jésus-Christ lui apparoisse, le fortifie, le ranime, et l'engage à retourner au lieu où il doit être crucifié. C'est saint Ambroise qui le rapporte; et cette tradition se trouve conforme à ce qu'avoit prédit le même Sauveur, lorsqu'il déclara expressément à ce prince des apôtres que, quand il seroit dans un âge avancé, on l'obligeroit à étendre les bras, et qu'un autre le mèneroit où il ne voudroit pas aller; lui marquant, ajoute l'évangéliste, les circonstances de son martyre, et de quelle mort il devoit un jour glorifier Dieu : Cùm autem senueris, extendes manus tuas, et alius ducet te quò tu non vis (JOAN., 21). Voilà le caractère de saint Pierre: un homme crucifié, mais pour qui la croix sembloit encore avoir quelque chose d'affreux. Au contraire, que vois-je dans saint André? Un homme à qui la croix paroît aimable, qui en fait son bonheur et ses délices, qui soupire après elle, qui la salue avec respect, qui l'embrasse avec joie, et qui met le comble de ses desirs à s'y voir attaché et à y mourir. Tel est, chrétienne Compagnie, le prodige qui se présente aujourd'hui à nos yeux, et que je puis appeler le miracle de l'Évangile. Mais sur quoi put être fondé cet amour de la croix, et par quels principes un amour aussi surprenant et aussi contraire à tous les sentiments de la nature que celui-là, putil s'établir dans le cœur de notre apôtre? Ah! mes chers auditeurs, c'est le grand mystère que j'ai à vous découvrir : car mon dessein est de vous montrer qu'en conséquence de la vocation divine à laquelle votre glorieux patron saint André se rendit si fidèle, l'amour qu'il té moigna pour la croix, quoique d'ailleurs surnaturel, fut parfaitement raisonnable. Quelque prodigieux que vous paroisse cet amour de la croix, j'entreprends de le justifier, et je veux même, avec la grace de mon Dieu, tâcher, autant qu'il m'est possible, de vous l'inspirer : j'ai besoin pour cela de toutes les lumières du ciel, et je les demande par l'intercession de Marie. Ave Maria. Il en est de la croix comme de la mort : quoique naturellement on ait horreur de l'une et de l'autre, on peut aimer l'une et l'autre par différents motifs; et c'est par la diversité de ces motifs qu'il faut juger si cet amour est louable ou vicieux, raisonnable ou aveugle, méritoire ou vain. En effet, se procurer la mort par désespoir, c'est un crime; la souhaiter par accablement de chagrin, c'est une foiblesse ; s'y exposer par zèle de son devoir, c'est une veriu; s'y dévouer pour Dieu, c'est un acte héroïque de religion : de niême, souffrir comme les esclaves du monde, parcequ'on se laisse dominer par ses passions; souffrir comme les avares par une avide et insatiable cupidité; souffrir comme les ambitieux par un attachement servile à sa fortune, c'est une bassesse, une misère, un désordre: mais souffrir pour être fidèle à Dieu, aimer la croix pour remplir les desseins de Dieu, pour suivre la vocation de Dieu, c'est ce qu'il y a dans le christianisme de plus saint et de plus divin, et par conséquent de plus conforme à la souveraine raison. Or c'est ainsi, mes chers auditeurs, que saint André l'a aimée; car il a aimé la croix, parcequ'éclairé des plus vives lumières de la foi, il a parfaitement compris combien la croix lui étoit avantageuse par rapport à sa vocation, et aux fins sublimes pour quoi Jésus-Christ l'avoit appelé. Appliquez-vous: voici le secret important de sa conduite et de votre religion. Le Sauveur du monde eut deux grands desseins sur ses apôtres, quand il leur commanda de le suivre Venite post me. En ce moment-là, dit saint Chrysostome, il les choisit pour être les prédicateurs de son Évangile, et pour être les ministres de son sacerdoce: il les destina au ministère de sa parole, et il les engagea au service de ses autels ; il les établit sur la terre pour sanctifier les hommes par les vérités du salut qu'ils devoient leur annoncer, et pour honorer Dieu son Père par le sacrifice qu'ils devoient, comme prêtres de la loi de grace, lui présenter. Voilà les deux vues principales qu'eut le Fils de Dieu, et c'est sous ces deux qualités que je prétends aujourd'hui considérer saint André : en premier lieu, comme prédicateur de l'Évangile et de la loi de Jésus-Christ; en second lieu, comme prêtre, successeur légitime et immédiat du sacerdoce de Jésus-Christ: et je m'attache d'autant plus à cette pensée, que la qualité de prêtre de Jésus-Christ est celle dont ce saint apôtre se glorifia plus hautement, et dont il se rendit lui-même le témoignage, quand il parut devant le juge qui le condamna. Or ces deux qualités jointes en semble justifient admirablement l'amour et le zèle qu'eut saint André pour la croix; car s'il l'a tendrement aimée, c'est parcequ'il y a trouvé ce qui devoit faire devant Dieu tout son mérite et toute sa gloire, savoir, l'accomplissement de son apostolat et la consomination de son sacerdoce. Expliquons-nous : André, à la vue de sa croix, est pénétré, ravi, transporté de joie : pourquoi? parceque c'est sur la croix qu'il va dignement prêcher le nom de Jésus-Christ; ce sera la première partie : et parceque c'est sur la croix qu'il va saintement s'immoler lui-même, et unir son sacrifice au sacrifice auguste et vénérable qu'il a tant de fois offert à Dieu en immolant l'agneau sans tache, qui est Jésus-Christ: ce sera la seconde partie. En deux mots, la croix est la chaire où saint André a fait paroître tout le zèle d'un fervent prédicateur; la croix est l'autel où saint André, comme prêtre et pontife de la loi nouvelle, a exercé dans toute la perfection possible l'office de sacrificateur : il ne faut donc pas s'étonner sí la croix, quoique affreuse par elle-même, a eu pour lui tant de charmes. C'est tout le dessein et le partage de ce discours, pour lequel je vous demande une favorable attention. PREMIÈRE PARTIE. Pour établir solidement la vérité de ma première proposition, et pour vous en donner d'abord la juste idée que vous en devez avoir, j'appelle dans les principes de l'Écriture l'accomplissement de l'apostolat, prêcher un Dieu crucifié, et, malgré les contradictions de la prudence du siècle, proposer la croix aux hommes, comme la seule source de leur bonheur, comme le fondement unique de leur espérance, comme le mystère de leur rédemption, comme le moyen sûr et infaillible de leur salut: ainsi l'a entendu saint Paul quand il a dit : Nos autem prædicamus Christum crucifixum (1. Cor., 2). Voilà à quoi il a réduit toute la fonction du ministère évangélique; et telle est la fin pour quoi Dieu a suscité ces douze princes de l'Église, ces premiers fondateurs du christianisme, ces hommes envoyés au monde pour y annoncer Jésus-Christ, dont ils étoient les ambassadeurs, et pour y publier sa loi, dont ils ont été par office les interprètes fidèles: Legatione pro Christo fungimur ( 2. Cor., 5). Qu'ont-ils fait? ils ont prêché la croix; et au lieu que la croix n'avoit été jusque là qu'un sujet de malédiction et qu'un opprobre; au lieu que la croix de JésusChrist étoit le scandale des Juifs, et paroissoit une folie aux Gentils, à force d'en exalter la vertu ils l'ont rendue vénérable à toute la terre. Voilà, dis-je, à quoi s'est terminée leur vocation, et par où ils ont mérité le nom d'apôtres. Or il est évident, Chrétiens, que saint André s'est signalé entre tous les autres dans ce glorieux emploi, et qu'il a eu un droit particulier de prendre, si j'ose m'exprimer de la sorte, pour devise de son apostolat: Nos autem prædicamus Christum crucifixum. Et il est encore évident qu'il n'a jamais mieux accompli ce qui est marqué dans ces paroles, que quand il a été lui-même attaché à la croix : pourquoi cela? parceque c'est sur la croix qu'il a prêché JésusChrist crucifié, ou, si vous voulez, la loi de Jésus-Christ, avec plus d'autorité et de grace, avec plus d'efficace et de conviction, avec plus de succès et de fruit: trois avantages que sa croix lui a procurés, et en quoi je fais consister la perfection d'un apôtre et d'un prédicateur de l'Evangile. Reprenons, et suivez-moi. Non, mes chers auditeurs, jamais saint André n'a prêché le mystère de la croix, ou la loi de Jésus-Christ, avec tant d'autorité et tant de grace, que quand il a été lui-même crucifié ; et ma pensée sur ce point n'a presque pas même besoin d'éclaircissement; car pour vous la rendre en deux mots, non seulement intelligible, mais sensible, il n'appartient pas à toutes sortes de personnes de prêcher la croix. C'est une vérité éternelle qu'il faut porter sa croix; et que, pour la porter en chrétien, il la faut porter volontairement jusqu'à l'aimer, et jusqu'à s'en glorifier: Absit gloriari, nisi in cruce Domini nostri (Galat., 6). Mais cette vérité, quoique éternelle, n'a pas la même grace dans la bouche de tout le monde : les hommes, pour être sauvés, ont intérêt de la bien comprendre; mais en même temps ils ont une secrète opposition à en être instruits par ceux qui ne la pratiquent pas, et qui n'en font nulle épreuve ; et si quelquefois un mondain s'ingère de leur |