Obrazy na stronie
PDF
ePub

« outre que son dessein en l'apprentissage des jamais plus avant que la morale et sa suite,

lettres ne s'étendit c'est elle qui parle ainsi, et sans doute elle veut dire que ses études avoient moins la science que la littérature pour objet. Les lettres furent la passion de toute sa vie; elle fit plus que les aimer, elle les épousa, « ne s'étant, dit Pasquier avec sa naïveté de langage, proposé d'avoir jamais d'autre mari que son honneur enrichi par la lecture des bons livres. » Dn fond de la retraite où sa mère l'avoit confinée, elle suivoit donc tout le mouvement poétique d'alors, lisant avec enthousiasme les vers de Ronsard, de Baïf, de Belleau, applaudissant à leurs triomphes déjà anciens, et à ceux plus récents de Desportes et de Bertaut. Parmi tous ces livres qu'elle recherchoit si curieusement, il lui arriva un jour d'en rencontrer un qui excita sa plus vive admiration. On devine qu'il s'agit des Essais de Montaigne qui, publiés déjà depuis trois ans, en 1580, faisoient peu de bruit en cette fin du XVIe siècle, si agitée par les passions religieuses et les guerres civiles. A leur lecture, mademoiselle de Gournay se prit pour eux d'une véritable passion, qui du livre passa à l'auteur, dont elle désira, par dessus toute chose, faire la connoissance et gagner l'amitié; il lui parut (car c'est ici l'aventure aimable et presque le roman de la jeunesse de mademoiselle de Gournay), il lui parut qu'un lien mystérieux devoit unir son âme à celle de Montaigne; il n'y avoit pas jusqu'à l'âge un peu avancé de ce dernier qui ne fût à son égard une convenance de plus, puisqu'il permettoit entre eux le doux échange des noms de père et de fille. Tel étoit son rêve, qu'interrompit tout-à-coup le bruit de la mort de celui qui devoit le réaliser. Elle en souffrit un déplaisir extrême: «lui semblant que la félicité et l'espérance d'enrichissement de son âme étoient fauchées en herbe par la perte de la conversation et de la société qu'elle s'étoit promise d'un tel esprit.» La fâcheuse nouvelle ne tarda pas à être démentie, et mademoiselle de Gournay étant à Paris avec sa mère, en 1581, apprit avec un vif mouvement de joie que celui dont elle avoit pleuré la mort venoit d'arriver à la cour. S'é

tant informée de sa demeure, elle envoya quelqu'un le saluer de sa part, et lui déclarer l'estime qu'elle faisoit de sa personne et de son livre. Montaigne, méconnu sans doute de la plupart des courtisans, flatté de l'hommage que lui rendoit cette jeune fille de vingt-trois ans, alla dès le lendemain la remercier lui-même et lui offrir ce titre de sa fille d'alliance qu'elle avoit rêvé; puis, comme il prolongeoit son séjour à Paris, la mère et la fille l'invitèrent à les venir voir dans leur maison de Gournay, ce qu'il fit, et il passa ainsi avec elles trois mois en deux ou trois voyages. Mademoiselle de Gournay put alors jouir à son aise de cette conversation qui devoit enrichir son esprit. Que ne nous a-t-elle conservé ses entretiens avec Montaigne! Que n'en a-t-elle fait la matière de son premier ouvrage qui, sous ce titre séduisant de Promenoir de M. de Montaigne, n'est qu'une longue et insipide histoire a sur le propos des tragiques accidents de l'amour, récités par Plutarque! » Malheureusement les guerres de la Ligue, la confusion des affaires publiques rappelèrent le philosophe en Guyenne, où il mourut trois ans après, en 1592. Les relations de mademoiselle de Gournay continuèrent avec sa veuve et sa fille, qui lui adressèrent le manuscrit des Essais, pour qu'elle en surveillåt l'impression, et la reçurent à Montaigne, où elle fit un séjour de quinze mois.

Bientôt elle-même perdit sa mère et vit ses loisirs littéraires troublés par des embarras domestiques. Des dettes à payer, de jeunes frères et sœurs à soutenir lui firent connoître la gêne. Dans cette situation étroite, elle prit le parti un peu hasardeux de sacrifier son bien patrimonial à tenir maison, et à se faire des amis dont le crédit pût l'aider un jour à conquérir la fortune. Autrement il lui eût fallu se condamner «à vivre fort vilement, » et elle trouvoit « cette résolution de difficile digestion aux personnes nourries d'un air honorable. » Elle-même nous explique ingénuement sa petite spéculation, qu'elle justifie par la raison que la dépense est le seul malheureux et sot moyen de se faire connoître et priser en France. » Elle compare son dessein à celui de ces cadets de bonne maison qui, voyant l'in

suffisance de leur héritage, le risquent pour montrer ce qu'ils valent et s'acheminer à la fortune en se poussant auprès des princes. Elle eut donc tout d'abord un train de maison assez brillant, deux laquais et un carrosse, «nécessaire à cause de la longueur et du pavé de Paris, » sans parler de l'exemple général et tyrannique du siècle qui en imposoit l'usage aux personnes de sa qualité. Quant aux deux demoiselles que lui reprochoit le caquet public, elle se défend d'en avoir jamais eu une autre que celle qui lui étoit nécessaire, excepté qu'elle en eut pendant quelque temps une qui lui apprenoit à jouer du luth, dont l'harmonie «lui faisoit besoin pour l'aider à charmer quelque importune tristesse.» Du reste, ce train de maison qu'exagérèrent « les fredaines de parlerie › dont elle fut l'objet, ne l'empêchoit pas d'apporter la plus stricte économie pour ce qui regardoit sa personne; même sa chère alchimie ne lui occasionna de dépense extraordinaire que la première année, mais elle y mit ordre les suivantes, jusqu'au jour où elle éteignit ses fourneaux et renonça à ces belles décoctions qu'elle aimoit tant.

Cependant les années s'écouloient, et au lieu de rétablir ses affaires, la pauvre demoiselle achevoit de les détruire. Par compensation à sa gêne domestique, la considération qui l'entouroit ne fit que s'accroître; sa renommée étoit grande dans le monde des savans et des lettrés. En Italie et en Hollande, de doctes plumes lui payèrent un tribu d'éloges. Comme elle arrivoit à Bruxelles, vers l'an 1600, des gens de qualité, hommes et femmes, vinrent la chercher dans son hôtellerie et la forcèrent d'accepter un logement dans la maison du président Venetten. Même accueil, même hospitalité courtoise à Anvers. Ces deux villes, après l'avoir honorée de fêtes et de réceptions sans fin, voulurent avoir son portrait en souvenir de son passage. Voici enfin qui met le comble à ses triomphes: Jacques d'Angleterre, « ce roi si puissant, couronné par la main des Muses et par celle des peuples, » parla d'elle avec éloge à notre ambassadeur, le maréchal de Lavardin, et lui montra un écrit

[ocr errors]

qu'il disoit venir de sa main, et qu'il gardoit précieusement. Ce fut là le beau moment de mademoiselle de Gournay; de pareils succès ne se renouvelèrent point, et elle finit sa carrière assez modestement. Il lui avoit fallu renoncer à ses rêves de fortune, et se contenter pour vivre de ce qu'elle avoit pu sauver de son patrimoine, et d'une petite pension que l'Etat lui paya assez exactement, et qu'il n'eût tenu qu'à elle de voir augmenter, si elle eût voulu consentir à la condition qu'y mettoit le cardinal de Richelieu, qui étoit qu'elle auroit un carrosse. Mais décidément elle étoit bien revenue des innocentes vanités de sa jeunesse, et la longueur du pavé de Paris ne l'effrayoit plus tant. Elle avoit pour compagnon dans sa retraite son Piaillon; l'abbé de Marolles, qui appelle ainsi son chat, en fait l'éloge, et dit qu'en douze années qu'il vécut auprès d'elle, il n'eût point voulu déloger une seule nuit de sa chambre pour courir dans les gouttières, ou sur les tuiles comme les autres chats. Bayle, qui rapporte ce passage de l'abbé de Marolles, raille un peu la pauvre vieille fille, et prétend que si elle eût eu des galants tels que Catulle, son chat fût devenu aussi célèbre que le moineau de Lesbie.

Que l'on ne croye pas néanmoins que mademoiselle de Gournay fut réduite à la seule société de son chat; bien des gens distingués dans les lettres et dans les sciences lui avoient conservé leur amitié et la visitoient. Beaucoup d'entre eux s'amusoient à ses dépens, et se faisoient un plaisir d'exciter sa colère contre les nouvelles façons de s'exprimer et les retranchements que l'on faisoit subir à la langue. Sur ce chapitre elle ne plaisantoit pas. <«< Ceux qui l'ont vue autrefois, dit Sorel, savent qu'elle avoit des emportements horribles contre les gens de la nouvelle bande ou de la nouvelle caballe, et c'étoit là son foible.»>

Ce qui fut son foible et son ridicule dans le temps, est aujourd'hui le côté intéressant de ses OEuvres et le point saillant de son personnage littéraire. A cette polémique soutenue par elle avec une ardeur qui fit sourire, elle consacra plusieurs traités curieux à étudier. Sans vouloir reprendre les choses ab

ovo, comme s'il s'agissoit d'une autre guerre de Troie, il est nécessaire d'entrer ici dans quelques considérations préliminaires. Le règne de Henri II avoit vu éclater dans notre litté→ rature une véritable rénovation, et Pasquier a raison de se figurer sous l'image d'une grande flotte les poètes que ce temps vit éclore; pour continuer sa comparaison, nous dirons que de cette flotte, Ronsard étoit comme l'Orphée, et que, semblable à celle des Argonautes, elle nous apportoit les richesses des rivages étrangers. Que le choix parmi ces richesses n'ait point été fait avec assez de discernement, nul ne le niera. Les poëtes qui imprimèrent le mouvement, ne surent point toujours le contenir dans les limites du goût. Ce goût, le temps seul, le travail de chaque jour pouvoit, en l'introduisant dans les ouvrages de l'esprit, préparer le véritable siècle classique de notre littérature. Mais cette réforme se produisit avec une injustice qui révolta mademoiselle de Gournay, elle pour qui le siècle classique étoit venu, et qui vouloit que Ronsard, Dubellay, etc., eussent « attaché la langue françoise au destin invincible de leurs œuvres; » en un mot, elle n'admettoit pas qu'il y eût un choix à faire parmi les expressions que consacroit à ses yeux le génie des poëtes de la renaissance. C'est pourtant ce travail d'épuration qui alloit remplir l'intervalle entre le xvi et le xvIIe siècle : seulement il arriva que par opposition à ceux qui avoient accru un peu confusément nos richesses, on alla jusqu'à s'appauvrir volontairement, On se fit minutieusement puriste et grammairien. Ce devint une manie. On raffina sur cette matière, si bien que dès l'entrée du xvii, dès 1610, on voit poindre l'esprit de l'hôtel de Rambouillet dans ce qu'il eut de ridiculement précieux et d'affecté. Par exemple, convertir étant du vocabulaire de la religion, on ne permettoit plus de dire convertir la joie en tristesse; le mot poitrine étoit rejeté à cause de poitrine de veau ; celui de conception aussi ;

Ne concevez-vous pas ce que dès qu'on l'entend,
Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant?

« PoprzedniaDalej »