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le despotisme préférable de beaucoup à l'anarchie; car l'anarchie n'est que le choc de tous les pouvoirs particuliers, dont chacun cherche à prévaloir, et jusqu'à ce qu'un prévale, le désordre est au comble, et l'unique loi est la destruction. Daus ce combat terrible de chacun contre tous, tous périroient s'ils n'étoient vaincus.

La souveraineté dont l'homme peut jouir, avant l'établissement de la société, n'étant relative qu'à lui-même, consiste à ne dépendre que de sa voJonté; et comme sa volonté est naturellement inaliénable, la souveraineté l'est aussi. On ne peut pas plus vouloir par la volonté d'un autre, que penser par son esprit, et agir par ses organes. Chacun, sous ce rapport, reste donc, après le contrat social, tel qu'il étoit auparavant, c'est-à-dire, souve rain de lui-même, ou indépendant de tout autre volonté que la sienne; et céder le pouvoir, cẻ n'est pas céder sa volonté, ou cesser d'être soi, ce qui est impossible, mais uniquement mettre sa force à la disposition d'autrui. Le dépositaire du pouvoir n'est donc que le dépositaire de la force, et toutes les volontés conservant leur indépendauce originaire, au lieu du droit d'ordonner qui s'exerce sur les volontés mêmes, il n'a que la puissance de contraindre, que le peuple, s'il est le plus fort, peut lui retirer quand il voudra.

Sous l'empire du contrat social, il n'existe donc

dans la société d'autre droit, d'autres devoirs que la volonté du plus fort. L'on n'attribue au peuple le pouvoir souverain, que parce qu'il possède la plus grande force physique; et cette force est si bien l'unique droit, que le peuple, dit Jurieu, n'a pas besoin de raison pour valider ses actes, ou, comme s'exprime Rousseau, que la volonté générale (ou la volonté du peuple) est toujours droite (1). Ainsi les idées de pouvoir, de droit, d'ordre et de justice, viennent se confondre et se perdre dans l'idée de la force, loi générale et unique raison de la société.

Observez en outre que tout ce qu'on dit du peuple se doit dire pareillement de toute portion du peuple, ou de chaque individu; car la volonté et la force générale ne sont que la collection de toutes les volontés et de toutes les forces individuelles; et il seroit contradictoire que la volonté et la force du peuple fussent la seule règle et la seule mesure de ses droits, si les droits de chaque individu n'avoient également sa volonté pour seule

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règle, et sa force pour seule mesure.

Aussi les partisans du systême que j'examine partent-ils de ce principe pour établir leur pacte social. Ils exigent l'adhésion formelle de toutes les volontés particulières, adhésion qui, n'obligeant

• (1) Contrat social, liv. II, ch. in.

d'ailleurs que pendant qu'il plaît à la volonté, la laisse dans sa primitive indépendance, et ne constitue aucun ordre qu'elle ne soit toujours libre de renverser, par cela seul qu'elle le veut.

Mais la volonté ne se déterminant qu'en vue d'un motif, il en a fallu trouver un qui portât toutes les volontés sans. exception à adhérer au pacte social; et comme l'idée même de devoir est incompatible avec le systême, il ne reste que l'amour de soi, ou l'intérêt particulier; et c'est, en effet, sur cette base, que la philosophie s'efforce de fonder la société. Rousseau, qui adopte cette doctrine, est d'autant plus inconséquent, qu'il pose ailleurs les maximes contraires. Si, comme il l'avance, «< ce que les intérêts particuliers ont » de commun est si peu de chose qu'il ne ba» lancera jamais ce qu'ils ont d'opposé (1) » il est clair que la société n'a jamais pu être établie, et ne sauroit se maintenir, par le concours unanime des volontés particulières, ou par l'accord des intérêts particuliers ; et le systême qui exige cet accord impossible est contraire à la nature de l'homme, puisque l'homme, de l'aveu de Rousseau, est sociable par sa nature, ou du moins fait. » pour le devenir (2) ».

› Et remarquez que, de même qu'en excluant

(1) Emile, tom. III, pag. 199, note..

(2) Ibid. p. 112.

Dieu de la raison de l'homme on détruit toute vérité, toute loi morale, tout devoir, toute vertu pour ne laisser subsister que l'amour exclusif de soi, ou l'intérêt personnel; en excluant Dieu de la société on détruit toute vérité sociale, tout pouvoir, tout devoir, toute vertu, pour établir à la place l'intérêt particulier, devenu le seul principe d'ordre dans la société comme dans l'individu.

Quand ces opinions funestes viennent à se répandre dans un peuple, quand on a persuadé aux hommes que chacun ne doit rien qu'à soi, que l'intérêt personnel est l'unique règle de la volonté, qu'on peut légitimement tout ce qu'on peut im-. punément; lorsqu'en un mot, l'autorité n'est plus que la force, l'ordre social que la force, la morale. que la force, chacun essaie la sienne, et travaille à l'accroître en s'assujetissant celle des autres, et l'indépendance produit une tendance universelle à la domination. La société se transforme en une vaste arêne où tous les intérêts s'attaquent, se combattent avec fureur, tantôt corps à corps, tan-. tôt en masse, selon les convenances des passions. Au milieu de ce désordre, l'Etat ne subsiste quelque temps que parce qu'un certain nombre d'intérêts particuliers se liguent avec l'intérêt particuher du pouvoir, et oppriment tout le reste; et Rousseau avoit le sentiment de cette vérité, lorsqu'examinant les institutions des peuples anciens,

il se demande : Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude? et se fait, fait, en un seul mot, cette réponse terrible: Peut-être (1).

Ce qu'il appelle liberté n'est que l'absence du pouvoir général de la société, ou le règne plus ou moins libre de tous les pouvoirs particuliers. Il est visible que, dans ce cas, chaque pouvoir particufier doit avoir ses sujets qu'il gouverne par ses volontés particulières, c'est-à-dire, des esclaves; car l'essence de l'esclavage consiste dans l'assujettissement à la volonté de l'homme; et quiconque obéit à l'homme seul est esclave, cet homme fût-il luimême. Il en est ainsi des nations, et la théorie de la souveraineté du peuple n'est que la théorie de sa servitude. C'est ce qui rendoit, sous un autre rapport, l'esclavage nécessaire dans les gouvernemens anciens, et spécialement dans les républiques. Il servoit à tranquilliser l'orgueil des citoyens, et à les maintenir dans la dépendance, en les abusant sur leur véritable condition : ils s'imaginoient être libres, en voyant au-dessous d'eux, une servitude plus profonde.

Il n'est point de calamités qui ne sortent d'une doctrine qui place les êtres sociaux dans des rapports tels qu'on n'en sauroit concevoir de plus arbitraires, et abandonne la société à la merci du

(1) Contrat social, liv. III, ch. xv.

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