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encore, si je puis le dire, physiquement, par le long besoin qu'a l'enfant de secours étrangers, avant d'être capable de pourvoir à sa propre conserva

tion.

Ainsi la société, dont la famille est le germe, naît et se développe comme l'homme même, et souvent malgré l'homme, dont l'action imprudente contrariant la nature, sous le hautain prétexte de la perfectionner ou de la réformer, retarde ou arrête le progrès de la société croissante, et en altère la constitution, comme les erreurs d'une fausse science, ou les passions, altèrent celle des individus.

Cependant, malgré des désordres partiels, l'homme subsiste, tant qu'il respecte les lois fondamentales de son être; et la société aussi subsiste, malgré des désordres quelquefois très-graves, tant que la loi fondamentale de toute société demeure intacte.

Cette loi est la loi du pouvoir, loi sacrée, loi divine, et que l'homme est si loin d'avoir inventée, qu'il ne peut même la comprendre, si la Religion ne la lui explique.

C'est ce qui paraît bien clairement, lorsqu'après avoir exclus Dieu et s'être mis à sa place, il tente de constituer la société avec sa raison seule, avec cette raison qui de soi ne sait que douter et détruire.

La philosophie part de ce principe, que natu→ rellement chaque homme est maître absolu ou souverain de lui-même, qu'il ne doit rien à personne, et que personne ne lui doit rien. Cela posé, il a fallu qu'elle donnât pour base au base au pouvoir, ou

la force, ou un pacte libre.

Rousseau prouve fort bien qu'aucun droit, aucun dévoir ne peut résulter de la force, et qu'ainsi elle diffère essentiellement de l'autorité. La force est la puissance de contraindre, l'autorité est le droit d'ordonner. Du droit d'ordonner résulte le devoir d'obéir; de la puissance de contraindre résulte la nécessité de céder. Il y a l'infini entre ces deux notions. Pour les confondre, il faut bouleverser le langage même, il faut dire que le vent qui déracine un chêne exerce un droit, et que le chêne en tombant remplit un devoir.

La force, puissance physique, maintient l'ordre dans le monde physique, parce qu'elle agit toujours selon certaines lois immuables et sagement ordonnées par une intelligence infinie. La force met le désordre dans le monde moral, parce qu'entre les mains d'agens libres et imparfaits, elle ne sert souvent qu'à réaliser des volontés imparfaites ou déréglées. De plus, faire de la force la base de l'ordre social, c'est supposer que l'homme est un

(1) Contrat social, liv. I.

la

être purement matériel, c'est le ravaler au-dessous des animaux, qui connoissent une autre loi que force, puisqu'ils y résistent en obéissant à l'instinct. Et cependant on verra qu'en dernière analyse la philosophie n'a pu découvrir d'autre fondement de la société, ni donner d'autre notion du pou

voir.

Elle nous parle, avec une étonnante confiance, d'un pacte primitif, par lequel, pour l'intérêt de chacun, tous déposent à certaines conditions leur souveraineté, ou l'exercice de leur souveraineté, entre les mains d'un seul ou de plusieurs; et cè pacte, si on veut l'en croire, est la véritable base de l'ordre social. Or, s'il fut jamais une doctrine absurde, funeste, dégradante, c'est celle-là.

Et d'abord on ne vit jamais de société commen1 cer par un semblable pacte, et la raison en est fort simple; c'est qu'il suppose au moins un commencement de société, ou la réunion d'un certain nombre d'hommes ayant un langage comfnun, une habitation commune, et des relations habituelles; choses impossibles s'il n'existoit quelque ordre parmi eux, et par conséquent des lois, et par conséquent un pouvoir chargé de leur exécution. Où d'ailleurs ces hommes, qu'on rassemble d'un trait de plume pour délibérer sur des intérêts communs, prendroient-ils les notions de gouvernement, s'ils n'en avoient eu aucun jusque-là? Ils

n'établiroient pas seulement la société, ils l'inventeroient. Etrange idée, de faire sortir l'ordre social d'une délibération, non pas de sauvages, car les sauvages sont unis par des liens sociaux, mais d'êtres humains ramassés au hasard dans les bois, où, nécessairement occupés des seuls besoins physiques, ils se nourrissoient à grande peine de quelques glands dérobés à l'avidité des animaux !

Que si l'on dit que ce pacte, explicite ou non', existe de droit, on suppose la question même, et de plus, on dit une absurdité; car l'expresse volonté des contractans est de l'essence de tout pacté; autrement, qui en régleroit les conditions?

Tout pacte implique encore essentiellement l'idée d'une sanction qui le rende obligatoire. Où trouvera-t-on cette sanction, fondement nécessaire de l'obligation morale, et sans laquelle il n'existe pas de vrai contrat? Le concours des volontés, qu'on fait tant valoir, n'est ici d'aucun secours. La volonté de l'homme n'est pas obligatoire pour lui-même, comment seroit-elle obligatoire pour autrui? Celui qui cède sa souveraineté, ou l'exercice de sa souveraineté, au fond ne cède donc rien, puisqu'il peut, et Rousseau l'avone, reprendre, dès qu'il voudra, ce qu'il a cédé. Celui qui reçoit la souveraineté ne reçoit rien qu'une faculté temporaire, une puissance physique de régir, qu'on peut lui ôter à chaque instant, et il n'est tenu

d'aucunes conditions, puisqu'il ne sauroit être obligé, ni par la volonté d'autrui, ni par la sienne même. Je ne vois done résulter, du prétendu contrat social, aucuns devoirs, ni aucuns droits, ni par conséquent aucune autorité véritable. Je ne vois qu'un déplacement de la force, qui reste, en dernier ressort, seul arbitre de la société. Si le peuple a plus de force, il renversera le souverain, dès qu'il en aura la volonté; et les partisans de la souveraineté du peuple lui accordent tous ce droit, qu'ils ne sauroient lui refuser dans leurs principes. Si la force, au contraire, est du côté du souverain, il aggravera les liens du peuple au gré de ses caprices ou de ses craintes, comme on serre la chaîne d'un animal féroce, de peur d'en être dévoré.

An lieu de la tranquillité de l'ordre, le pacte qu'on suppose n'établit donc qu'un conflit de volontés arbitraires, et en détruisant la notion du droit et du devoir, ou le principe de l'obéissance, il constitue en état de guerre le pouvoir et les sujets. Quand la force du souverain prévaut, on a le despotisme; quand la force du peuple, on a l'anarchie : et il faut qu'une des deux prévale tôt ou tard. Toute lutte dont le pouvoir est l'objet est trop violente pour durer long-temps; et pendant qu'elle dure, l'Etat est en proie à tous les maux qui peuvent accabler un peuple. C'est ce qui rend

le

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