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d'expression qu'il est, cet air n'est point dramatique.

Que dans ces airs de chant et de mélodie, que vous demandez avec tant d'autorité, que vous aimez tant à retenir, et dont je défie que vous ayez jamais retenu un seul, le compositeur s'occupe si peu des paroles que souvent il en change le sens pour avoir un mot plus favorable; que plus souvent encore, pour quarrer ou pour arrondir le chant, il termine le sens musical, quand le sens verbal est encore suspendu, et que ces airs n'en sont pas moins vivement applaudis, tant on s'est accoutumé à regarder la musique comme un art dont l'effet ne doit point aller au-delà de l'oreille.

Qu'il en est des compositeurs italiens comme de ce rhéteur de l'ancienne Grèce qui renfermait scrupuleusement la parole dans des espaces parallèles et symétriques, mais dont aussi les faibles ouvrages ne retentirent jamais au barreau; tandis que franchissant ces puériles et misérables barrières, Démosthène tonnait, foudroyait et disposait à son gré de l'ame des athé

niens.

Que la dégénération de la musique ex

pressive et théâtrale est encore moins affligeante que ne sont les éloges dont quelquesuns de nos gens de lettres n'ont pas honte

de l'honorer.

Qu'il ne faut pas confondre la criaillerie habituelle de quelques-uns de nos chanteurs, fruit de la mauvaise éducation qu'ils ont reçue des maîtres de chant, avec ces cris dans la déclamation chantante, que les acteurs peuvent et doivent jeter quelquefois; que les cris tels que les emploie M. le chevalier Gluck ne sont dans la nature ni précédés, ni suivis, ni accompagnés d'instrumens qui, tant par la qualité de leurs sons, que par les rapports que ces sons ont entr'eux, concourant à rendre l'exclamation ou plus douloureuse, ou plus terrible, ou plus lamentable, la transpor tent dans le domaine de l'art, et sont en effet suffisans pour avertir que tout cela n'est pas vrai, mais seulement vraisem blable ; que ce n'est point là la nature ellemême, mais la nature embellie, agrandie dans l'imitation.

Qu'il n'est pas vrai que les compositions des Jomelli, des Galuppi, des Sacchini, etc. soient exemptes des défauts que

je viens de reprocher à la musique théâtrale italienne; que leurs opéras, comme ceux de tous les autres compositeurs, ne sont jamais revus deux années de suite sur un même théâtre, et que ce qui en subsiste n'est plus entendu que dans les concerts, où l'on va chercher de l'amusement et non de l'émotion.

Que, s'il fallait juger de la bonté d'un morceau de musique sur ce qu'il fait d'abord son effet, ainsi que sur la facilité avec laquelle on le retient, les brunettes, les barcarolles et les vaudevilles seraient ce qu'il y a de plus parfait en musique; qu'il se peut que les airs italiens plaisent sur-lechamp, mais qu'ils ne plaisent jamais longtems, quand dans les opéras du chevalier Gluck comme dans tous les véritables beaux ouvrages, on découvre toujours des beautés nouvelles.

Que l'auteur d'un seul bon ouvrage qui ait encore paru sur la musique théâtrale, auteur italien, et de plus napolitain, appuie toute sa théorie sur les principes du chevalier Gluck, et sur les grands effets de cet opéra d'Alceste, qui n'a pu trouver grace devant vos yeux.

Que le célèbre père Martini, qui a passé le long espace de sa vie à réfléchir et à écrire sur la musique, n'a trouvé la réunion des véritables beautés de la musique vocale et instrumentale, que dans les compositions de ce même chevalier Gluck, sur lequel vous prononcez d'une manière si leste et si despotique, vous qui, de votre aveu, n'avez pas même les premiers élémens de l'art.

Que ceux qui partagent et répandent la doctrine que je viens d'exposer ne sont ni plus enthousiastes ni plus intolérans que ne l'étaient Molière et Despréaux, quand le premier ridiculisait, et le second foudroyait les concetti, qui, de la littérature italienne du seizième siècle, avaient passé dans la nôtre.

Qu'en regardant le chevalier Gluck comme le créateur de la musique théâtrale et dramatique, on n'a jamais prétendu qu'il dût fermer la carrière, parce qu'il l'a le premier ouverte ; et quel grand talent pourra jamais épuiser le trésor immense de nos sensations? Que seulement on affirme que ce ne sera qu'en suivant, je ne dis pas sa manière, car chaque artiste doit avoir la

sienne, mais sa marche, sa méthode et ses principes, que ses rivaux pourront espérer de se placer à côté de lui.

Que les admirateurs du chevalier Gluck s'honorent de porter jusqu'à l'enthousiasme le sentiment que leur inspirent les beautés de ses productions sublimes; qu'à leurs yeux l'homme de génie est une chose sacrée ; que l'attaquer et le critiquer, c'est déclarer la guerre aux arts mêmes, et qu'ils les aiment, ces arts, comme les adversaires du chevalier Gluck aiment leurs opinions.

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