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Un concours littéraire entre quatre lycéens. Les trois roses.Dialogue entre une jeune fille, un savant et un homme de lettres.- Espèces et variétés. Rôle scientifique.- Légende indienne. - Le canal d'eau de roses. - La rose chez les parfumeurs. La rose du compas.-La rose en architecture. - Rôle historique. Guerre des deux Roses.-La rose pontificale. Les roses du Parlement.

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Aux vacances de la Pentecôte, j'avais emmené à la campagne quatre jeunes lycéens, qui se préparent à leur examen du baccalauréat. Pendant les heures de travail qui devaient couper leurs plaisirs, j'ouvris entre eux un concours littéraire, et je leur donnai pour sujet de composition la première rose qui venait d'éclore dans mon jardin. Ils se récrièrent d'abord sur la vulgarité de la matière; mais je leur démontrai qu'elle pouvait fournir un volume d'observations ou de révélations curieuses, et comprenant enfin que les ignorants seuls et les sots croient tout savoir, ils se mirent courageusement à l'œuvre. Voici l'ouvrage de celui auquel je décernai la palme, formée du sujet même de la composition, couronnant une copie du chef-d'œuvre de Van-Huysum. Je crois que cet ouvrage peut servir de modèle aux pères de famille qui voudront faire comme moi. S'ils en jugent ainsi, ce sera le prix le plus glorieux pour l'auteur.

<< Trois roses venaient de s'épanouir: une rose du Bengale, une rose de Provins et une rose du Roi. Une jeune fille attacha la première à sa ceinture; un savant mit la seconde à sa boutonnière; un homme de lettres fixa la troisième à son chapeau. Ainsi fleuris, les trois personnages causèrent naturellement de leurs roses, et un zéphyr, qui passait au-dessus d'eux, m'apporta leur conversation.

«-Les rosacées, dit la jeune fille, qui avait remporté le prix de botanique à Saint-Denis, forment une grande famille de dicotylédones polypétales, à étamines périgynes; leur type est le rosier, autour duquel se groupent la plupart de nos arbres à fruits: le pommier, le poirier, le coignassier, le néflier, le cormier, le cerisier, le prunier, l'abricotier, l'amandier et le pêcher. Le fraisier et le framboisier font également partie des rosacées. La floraison de tous ces végétaux explique cette classification, qui semble arbitraire au premier abord. Leurs pistils libres sont insérés dans toute la paroi interne du tube du calice, qui les recouvre en entier et qui est resserré à son ou

verture.

<«<La rose à l'état normal- telle que l'églantine— n'a que cinq pétales; mais la culture les a multipliés par la greffe en des variétés innombrables.

« Ces variétés se rapportent cependant à un nombre limité d'espèces. Les principales sont :-la rose cent-feuilles (mousseuse, pompon, anémone, œillet, de Hollande, de Belgique, etc.). Elle croit spontanément - tableau mer-veilleux dans les forêts du Caucase, et l'on y rattache la célèbre rose de Postum; - la rose de Damas ou des Quatre-Saisons;-la rose de Provins, rapportée de Saaron par les Croisés, dit la chronique, en souvenir de la ressemblance d'aspect qu'ils avaient remarquée entre Provins et Jérusalem; la rose blanche;-la rose du Bengale, qui devrait plutôt s'appeler la rose de la Chine, d'où elle est originaire ;-la rose capucine ou ponceau; la rose jaune; la rose cannelle ou rose de mai, etc., etc. « On ne décrit point les roses; on les admire et on les respire. Hélas! on sent aussi leurs épines qui disent si éloquemment ce que coûtent les plaisirs.

« De tout temps, la rose a été nommée la reine des fleurs, et chantée d'une seule voix par les poëtes. Ce suffrage universel est le seul peut-être qui ne se soit jamais démenti. Le plus joli visage, la plus belle taille, la chevelure la plus riche ne sauraient choisir une meilleure parure, - quand ils sont dignes d'en supporter la comparaison. Il n'est point de jouissance aussi pure, pour les yeux et pour l'odorat, que la vue et les parfums d'un massif de roses, quand elles s'entr'ouvrent aux premiers rayons du soleil, sous les perles et les diamants de la rosée, ou quand elles relèvent leur tête vermeille et embaumée, au milieu de la fraîcheur et du silence d'un beau crépuscule du soir.

«La rose, dit à son tour le savant, n'appartient pas seulement au domaine des poëtes et des amateurs. Avicenne mentionne l'eau de roses au onzième siècle. De mémoire d'homme, elle était connue dans l'Inde. Une charmante légende, rapportée par le P. Catron, historien du Mogol, marque l'invention de l'essence de roses.

«Les sujets de la princesse Nourmahal, dit cette légende, avaient résolu de la promener en bateau dans un canal rempli d'eau de roses. Toutes les fleurs-reines de la province y passèrent. Le grand jour venu et le canal rempli, le bateau doré de Nourmahal fut lancé sur le lac odorant, et des rameurs couronnés de roses l'y promenèrent jusqu'au soir. Quelle fut alors la surprise des assistants, lorsqu'ils virent le canal couvert d'une huile inconnue! C'était l'huile essentielle, c'était l'essence même des roses, que la chaleur du soleil avait dégagée pendant le jour. L'astre inventeur fut imité à l'instant, et l'essence de roses se répandit dans toutes les Indes.

«Les liquoristes et les parfumeurs de Paris distillent des millions de roses cent-feuilles, cultivées pour eux en plein champs. Les pharmaciens puisent des flots de miel rosat, de sucre ou de vinaigre de roses, dans les jardins pourprés des horticulteurs de Provins. Le parfum de cette, espèce est en même temps doublé et raffiné par la dessiccation. Si l'on doit son introduction en France aux Croisés, on doit sa multiplication au célèbre René d'Anjou, ce roi poëte, peintre, verrier, tisseur et agriculteur.

<« Les navigateurs et les géographies ont donné la forme et le nom de la rose à la boussole et au compas. Les trente-deux aires de vent s'épanouissent, en effet, sur la rose du compas, comme les pétales de la fleur dans son calice ouvert.

«Et l'architecture! quelle richesse n'a-elle pas empruntée à la rose! Les roses et les rosaces' gothiques, qu'il ne faut pas confondre (les premières sont les croisées rondes en vitraux de pierre, qui surmontent les portails; et les secondes sont les cercles peints ou sculptés, qui occupent les caissons des voûtes) composent une flore architecturale aussi variée que la flore naturelle. Lorsque l'exposition des roses de nos églises est combinée avec le lever ou le coucher du soleil, le torrent de rayons colorés qui les traverse change les parois intérieures en murailles d'or, de pourpre, d'azur et de pierreries, sur lesquelles les personnages du vitrail se dessinent dans les nuances enflammées d'un parterre éblouissant.

«La rose a aussi son rôle historique, dit enfin l'homme de lettres. Qui ne connaît la fameuse guerre des deux Roses, qui ensanglanta quatre-vingts ans l'Angleterre? La maison de Lancastre et la maison d'York se disputaient le trône. La première avait pour insigne une rose rouge, et la seconde une rose blanche. Sous ces deux emblèmes, si étrangement choisis, soixante membres de la famille royale périrent par l'épée ou par la hache; la moitié de

la noblesse succomba, et l'Angleterre faillit retomber dans la barbarie. Elle n'y échappa que par le mariage des deux roses, en 1486, dans la personne de Henri de RichemontLancastre et d'Elisabeth d'York. Comme toute rose doit avoir son charme, le servage anglais fut alors aboli.

« Vous vous souvenez peut-être d'avoir lu dans les journaux, à la fin de l'an dernier, que notre saint-père Pie IX envoya la rose d'or de 1849 au roi de Naples ou à la reine d'Espagne. Cet usage remonte, dit-on, au pape Léon IX, élu en 1048. La rose pontificale est une fleur artificielle en or massif (tige et feuilles). Le pape la bénit solennellement le dimanche du Lætare, pendant le carême; il la porte après la messe en procession, puis il l'envoie à quelque prince catholique. En 1515, Léon X adressa la rose d'or à l'archiduc Charles, depuis Charles-Quint.

« Suivant un autre usage, établi en France dès le quatorzième siècle, les dues et pairs du ressort de Paris, fussent-ils princes du sang, devaient, trois fois chaque année, présenter en grande pompe des corbeilles de roses aux

magistrats du Parlement. Cette cérémonie s'appelait le bail ou la baillée des roses. Elle était une occasion pour les pairs de fixer la préséance, toujours si débattue. Celui qui présidait la baillée, faisait joncher de roses toutes les chambres de la Cour souveraine; il donnait un déjeuner somptueux aux magistrats; puis, au milieu d'une escorte imposante, au son des harpes et des flageolets, il faisait porter devant lui, dans chaque Chambre, un grand bassin d'argent plein de roses naturelles ou artificielles. Enfin, il envoyait les musiciens donner des sérénades aux présidents. Malgré le prix que le Parlement attachait au bail des roses et surtout des bassins d'argent, cette coutume disparut pendant les troubles de la Ligue. Anne d'Autriche y faisait allusion sous la Fronde, lorsqu'elle se plaignait d'être obligée encore de jeter des roses à la tête du Parlement (1). »

(1) Voyez le Médaillon d'argent.

L'ART ET LES ARTISTES FRANÇAIS (1).

LIZINSKA DE MIRBEL.

L'année dernière, au moment des plus terribles ravages du choléra, une femme jeune encore, et toujours belle, était étendue sur son lit de douleur, au milieu des amis les plus illustres et les plus empressés.

Un médecin et un général entrèrent en même temps dans la chambre.

Tous les amis interrogèrent le médecin, qui, voyant les lèvres pâles de la malade, déclara qu'elle n'avait pas un jour à vivre.

La mourante, elle, s'adressant au général, lui demanda avec instance: Avez-vous obtenu la grâce de N...? N... était un officier condamné à mort par un Conseil de guerre, et que la malade savait ou croyait innocent.

Docteur! il faut la sauver à tout prix! s'écrièrent les amis désespérés...

- Général! il me faut sa grâce demain ! dit la mourante avec un effort surnaturel...

Et elle se fit apporter ce qu'il fallait pour écrire, tandis que le médecin rédigeait à son chevet une dernière ordonnance.

Cette femme ne s'occupant que d'arracher à la mort un condamné, quand la science la condamnait elle-même, et quand chacun oubliait le monde entier pour elle seule, formait un tableau sublime et déchirant, qui eût édifié les plus égoïstes et touché les plus inflexibles.

-Ah! dit le général, si les juges voyaient cela, la grâce de N... serait assurée !...

La malade écrivit, de sa main déjà marbrée, quatorze lettres à ses amis les plus influents. Puis, les remettant au complice de sa miséricorde, elle retomba sur son lit, ago

nisante.

- Général, dit-elle encore, je sens la mort venir..... Courez plus vite qu'elle vous n'avez pas vingt-quatre heures pour m'apporter les réponses que j'attends.

L'officier supérieur essuya une larme, et sortit à la hâte. Les amis et le docteur multiplièrent leurs soins, sans pouvoir arrêter la marche du fléau.

1 Voyez les Tables des dix premiers volumes, celles des six derniers, et les numéros de 1849-50.

JARDINEUR.

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Merci à vous et à Dieu !... Je meurs contente... Et elle expira en souriant.

Cette femme était Mme de Mirbel, le plus célèbre peintre en miniature de notre époque.

Née vers la fin du siècle dernier, de parents distingués dans la bourgeoisie, Lizinska de Mirbel avait été élevée au milieu des jouissances de l'art et du monde. Elle brilla de bonne heure dans les grands salons de l'Empire, et notamment dans celui de M. Suard. La Restauration acheva de la mettre en lumière; elle cut, dès lors, pour amis toutes les sommités du temps, les princes, les ministres, les ambassadeurs, les écrivains et les orateurs en vogue, les Decazes, les Molé, les Guizot, etc.

Lorsque le 24 Février 1848 renversa ce dernier sous le trône de Juillet, c'est à Me de Mirbel qu'il alla demander un asile de quelques jours.

Tout le monde a admiré, aux Salons de peinture, les portraits, faits par l'éminente artiste, de Louis XVIII et de sa famille, puis de Louis-Philippe, du duc d'Orléans, de MM. Molé, Thiers, Guizot, de Mme de Rothschild, et des plus illustres comme des plus jolies femmes du monde.

Dernièrement, les amateurs se disputaient, au poids de l'or, les moindres débris de l'atelier de Mme de Mirbel.

Enfin, le prochain Salon nous montrera ses derniers ouvrages, aussi remarquables, dit-on, que les premiers; car la mort l'a brisée dans sa force, avant que l'àge eût diminué ou altéré son talent.

Talent, esprit, grâce, bonté (et quelle bonté! on vient de l'apprendre), tout a été frappé en elle, du même coup, par l'inexorable choléra.

Peu de jours avant ce coup fatal, nous parlions de Mme de Mirbel à l'un de ses plus dignes et de ses plus honorables amis, M. de Kératry, le vénérable doyen de notre

Assemblée législative, ce juge si compétent et si délicat dans toutes les questions d'art.

- Voulez-vous, nous dit-il avec sa bonne grâce ordinaire, que je raconte aux lecteurs du Musée des Familles un des épisodes les plus piquants et les plus ignorés de la vie de Mme de Mirbel?

Jugez de notre empressement et de notre reconnaissance!

Le lendemain même, notre éminent collaborateur nous remit le récit suivant, tel qu'il l'avait fait dans le monde il y a déjà de longues années. Vous allez en apprécier le charme et la grâce littéraire.

Nous cédons la parole à M. de Kératry.

Nous nous bornerons à révéler le nom de Mme de Mirbel, qu'il croyait devoir cacher encore sous un pseudonyme, l'illustre artiste n'appartenant pas alors à l'histoire. P.-C.

PIERDON.SC.

Le Génie de la Peinture, d'après Prudhon.

LA PETITE FILLE RAMONEUR.

HISTOIRE D'UN PORTRAIT DE Mme DE MIRBEL.

Nous sommes à l'époque de la Restauration. Sachez donc qu'une dame de Saint-Alban (pour ne pas l'appeler par son nom), tient un hôtel garni assez considérable dans la brillante rue de Richelieu; qu'elle manda chez elle, l'un de ces derniers jours, deux jolis petits ramoneurs avec l'intention de leur confier le nettoiement de deux cheminées, et que ces enfants s'étant acquittés avec une sorte d'intelligence de leurs fonctions préservatrices, avant de leur livrer le salaire convenu, Mme de Saint-Alban fit placer devant eux du pain frais et un reste de déjeuner appétissant.

Du pain blanc à deux Savoyards! Ils se regardaient, ils se souriaient en mangeant; ils ne se parlaient pas,

mais leur pantomime avait son éloquence, et leur joie du moment racontait leur misère de la veille.

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- Mon petit ami (dit Mme Saint-Alban en s'approchant du plus âgé des deux ramoneurs, enfant d'un physique assez délicat, mais qui, sur sa peau légèrement bistrée, laissait entrevoir un teint frais et vermeil), de quel pays êtes-vous, et y a-t-il longtemps que vous êtes l'un et l'autre à Paris?

- Madame, répond l'enfant d'une voix fort douce, avec un peu moins d'accent qu'on ne s'y fût attendu, et en prouvant par l'état de sa bouche bien meublée, qu'il n'était pas déshérité du privilége de sa profession, nous sommes Auvergnats, mon frère et moi; mais vous vous trompez à mon sujet, car je suis une petite fille.

- Comment! s'écrie Mme de Saint-Alban, une petite fille qui ramone? cela ne s'est jamais vu une petite fille qui ramone? Je ne l'eusse pu croire! Oh! je n'en reviens pas, une petite fille qui ramone!

Et elle frappe dans ses mains, et elle sonne ses femmes de service, et elle continue ses exclamations en leur présence, jusqu'à ce que sa surprise croissante lui fasse adresser questions sur questions à l'être obscur, mais digne de quelque intérêt, qu'elle a sous les yeux.

Elle apprend que cette bonne petite créature a été conduite à Paris, dès l'âge de six ans, par Jacques Ubsac, son père; que celui-ci, veuf et chargé de deux orphelins, n'a eu d'autre ressource que de fuir une terre devenue marâtre de ses propres enfants; que son espoir s'est tourné vers les canaux engorgés par la suie dans la somptueuse capitale de la France, et que, pour mettre sa fille mieux en état d'exploiter cette mine qui n'est pas celle du Sacramento, il l'a métamorphosée en petit garçon, à l'aide de guenilles auxquelles il a donné lui-même une forme de gilet et de haut-de-chausses.

Mme de Saint-Alban avait la larme à l'œil, les femmes de service aussi. Une collecte dont s'est chargée la bonne maîtresse et que grossit sa générosité, est remise à la jeune Ubsac qui, de ses jours, n'a vu ni tenu dans la main la somme fabuleuse de quinze francs cinquante centimes!

Ce n'est pas tout à peine la petite fille a franchi la porte cochère de l'hôtel, que Mme de Saint-Alban la rappelle pour lui recommander de revenir le lendemain matin. Cette invitation ne pouvait être oubliée; nous ne tarderons pas à voir quelle en a été la suite.

Mme de Saint-Alban s'était dit: cette petite fille serait charmante à dessiner dans ses habits de ramoneur! ce serait une étude qui rappellerait Mmes Saint-Aubin et Dugazon; tout Paris n'a-t-il pas couru pour les voir dans ce costume? J'ai une amie bien aimable qui, jeune encore, peint la miniature comme Isabey, comme Augustin, comme Saint: il faut que je lui envoie cette enfant.

Le sommeil mit fin à ce monologue qui se tenait à huis clos, sur un oreiller bordé de malines. Vous vous tromperiez en n'y voyant qu'une inspiration personnelle à son auteur; il y avait là toute une prévision qui devait aboutir à une réalité. Ce fut la pensée du réveil; le billet de recommandation fut écrit, cacheté, et l'on attendit, presque avec impatience, le petit ramoneur; car, puisqu'un désir coupable a souvent son impatience, pourquoi un désir de bonté n'aurait-il pas la sienne?

Or, sachez que le billet médité sur le coin de l'oreiller par Mme de Saint-Alban s'adresse à une personne que nous nommerons Mile Louisa Derville; et, si nous ne nou trompons, ce pseudonyme réveillera chez vous le souvenir d'une artiste aimable, dont le pinceau a souvent reproduit,

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sur l'ivoire, des traits nobles ou délicats, avec un succès agréable à plus d'une majesté et à des beautés qui ont eu aussi leur règne, entre tous les règnes, peut-être le moins contesté (1).

A dix heures quinze minutes, après avoir déjeuné d'une tasse de café à la crème, après avoir eu le front légèrement épongé avec de l'eau teinte de celle qui ne nous arrive plus de Cologne, la petite Ubsac posait, chez Mlle Derville, en haillons masculins. A dix heures trente-cinq minutes, le contour d'une figure régulière, piquante avec une apparence d'ingénuité, sur laquelle tombaient inégalement quelques mèches de cheveux, noirs comme les

beaux yeux qu'ils ombrageaient, était tracé à l'aquarelle. A dix heures quarante-cinq minutes précises, il était décidé que le petit ramoneur, avec lequel on avait jasé, prendrait des jupons; qu'il porterait une robe de toile de Jouy, mise de la veille au rebut, laquelle serait ajustée à une taille de donze ans ; qu'il serait conduit dans la matinée aux bains Vigier; que ses cheveux seraient renfermés dans un joli serre-tête garni de dentelle, et qu'il resterait, en qualité de femme de chambre en survivance, au service de Mile Louisa Derville.

Voilà, dira-t-on, une détermination bien prompte, et sans que les précautions d'usage aient été seulement pri

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ses! Il est vrai; mais lisez le dialogue suivant, et l'apologie sera complète :

- Ma petite amie, pourquoi votre frère ne vous a-t-il pas accompagnée ? je n'aurais pas été fachée de le voir; il eût déjeuné avec vous.

-Madame, parce que notre papa a acheté hier pour dix francs d'aiguilles et de lacets, qu'il est allé vendre à Auteuil, et que, s'il trouve un prompt débit de sa marchandise, il peut revenir d'un moment à l'autre ; il fallait laisser Jacquot à la maison, pour lui remettre l'argent que nous avons gagné pendant son absence, ou plutôt qu'une bien bonne dame, comme vous l'êtes, nous a donné hier matin.

(1) Comme l'a dit d'avance le titre de cette anecdote, Louisa Derville n'est autre que l'artiste éminent qui s'est appelé depuis Me de Mirbel. Sa mort si déplorable et si prématurée dispense aujourd'hui l'auteur de la discrétion qu'il doit observer encore envers la femme du monde désignée sous le pseudonyme de SaintAlban.

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Tand Lange

Mais vous auriez pu laisser cet argent à quelqu'un de confiance, au portier, par exemple.

Oh! madame, il n'y a pas de portier chez nous ! Nous avons bien des amis de notre pays, qui logent avec nous dans la même chambre; mais si mon papa, en voyant une si grosse somme, n'avait pas là Jacquot tout prêt à le conduire chez la bonne dame (car je suis certaine qu'il voudra la voir), il croirait cet argent volé, et nous serions battus !

Vous craignez donc bien votre père ?

- Nous l'aimons bien aussi. Et comment ne l'aimerions-nous pas? quand il a du pain, il nous en donne. Il m'a appris mes prières, comme je les apprends à mon petit frère, et il dépense trente sous par mois pour m'envoyer à l'enseignement mutuel.

Les doutes étaient levés; la défiance injurieuse reçut l'ordre de se taire; on avait affaire à une famille d'hon

nêtes gens, et la résolution de se charger de l'orpheline fut prise; car ce que venait de raconter la petite Ubsac était un certificat de probité pour tous les Ubsac du monde, en ligne directe ou collatérale, plus authentique que s'il avait été signé par le maire d'Aurillac en personne, et légalisé par le préfet du Cantal.

Il ne restait plus qu'à savoir si le parti auquel on ve'nait de s'arrêter conviendrait au père Ubsac, car sa fille ne mit à son propre consentement que cette condition, et celle de voir de temps en temps Jacquot.

Cependant l'esquisse avançait peu, mais l'intérêt croissait. L'idée d'arracher une tendre créature à la misère flattait l'imagination vive de l'artiste et enchantait déjà son avenir. Chose étonnante! celle-ci n'avait pas encore songé à s'enquérir du nom de sa protégée.

-

Comment vous nommez-vous, ma petite?

Marie, pour vous servir, madame.

Eh bien! Marie soit! je m'y tiens. Ce nom est charmant, quand il n'est suivi d'aucun autre ; car, sans doute, aucun n'est digne de l'approcher !

La palette est échappée à la main de Me Louisa; il faudrait y changer quelques teintes un peu salies; il faudrait donner à cette bouche vermeille un sourire un peu malin, à cet œil noir un peu plus de développement. On est assuré du modèle; il posera demain, après-demain, à volonté. Ce qui presse le plus, c'est d'envoyer Marie aux bains Vigier, d'emprunter à la fille du concierge quelques vêtements, d'écrire à l'Auvergnat Ubsac un billet, qu'il trouve en revenant d'Auteuil; de charger de ce billet un commissionnaire, auquel on recommandera de s'informer des nouvelles de Jacquot, et enfin d'appeler une couturière du voisinage, pour qu'elle adapte, le plus promptement possible, la robe de Me Derville à la taille de Marie. Encore sera-t-elle aidée dans ce soin par l'artiste en personne.

Notre tâche touche à sa fin; il nous suffira d'ajouter à notre récit que Marie habite sous le toit de sa jeune maîtresse, du consentement du père Ubsac, consentement qu'il n'a pas fallu payer fort cher; que, presque au sortir du bain, elle s'est trouvée vêtue, chaussée et coiffée, de manière à s'étonner elle-même devant sa propre image; qu'elle adore sa bienfaitrice, dont le nom se trouve placé dans toutes ses prières, dussions-nous avouer que ces prières ne s'achèvent pas sans un retour de pensée de Marie sur sa jolie métamorphose, et que, finalement, tout cela s'est effectué en vingt-quatre heures, parce qu'une petite fille de douze ans a ramoné une cheminée chez Mme de Saint-Alban, dans la ruc Richelien.

Cependant on nous pardonnera une légère esquisse des sensations éprouvées par cette enfant dans son nouvel état, et surtout en essayant sa nouvelle couchette.

Ce fut presque un délire... On en sera peu surpris, quand on se sera rappelé que cette infortunée créature se glissait chaque soir, avec ses guenilles, dans un sac à moitié plein de suie, et que c'était dans cet état qu'elle attendait la douce invasion du sommeil. Aujourd'hui, se sentir presque soulevée par les ressorts d'un matelas élastique, reposer entre deux draps de perkale fraîchement lessivés, incliner sa tête sur le duvet d'un moelleux oreiller! quel contraste! quelle incroyable transformation! Aussi cette première soirée eut, pour Marie, tous les caractères d'une volupté extatique. L'aimable ensant nageait presque d'un bout à l'autre de sa couchette, comme pour en explorer les limites; tantôt s'y enfonçant jusqu'aux pieds et se dérobant alors la tête sous les tapis, tantôt remontant vers le chevet et y montrant ses yeux noirs et son joli front, sur lequel s'échappaient des mèches de cheveux d'ébène, pareille au poisson qui, dans une belle journée d'été, vient respirer à fleur d'eau.

Les lambeaux qui déguisaient le sexe de Marie Ubsac ont été gardés. Ils lui serviront deux ou trois fois, quand, posant dans l'atelier, et devenant encore petit ramoneur, elle réveillera chez sa maîtresse l'un de ces souvenirs de bonté, images des fleurs qui, longtemps après avoir été cueillies, ont conservé un doux reste de leurs parfums. Mais qui répondra des suites d'un aussi rapide changement de fortune, et Marie ne sera-t-elle pas un peu gàtée?

KÉRATRY.

Marie fut gâtée, en effet ; mais elle n'en resta pas moins au service de Moe de Mirbel. Qu'est-elle devenue depuis la mort de sa maîtresse? c'est ce que nous n'avons pu découvrir. Qu'importe sa mémoire, maintenant que son image est immortelle !

La curieuse miniature de la petite fille ramoneur appartient aujourd'hui à un abonné du Musée des Familles. Il a bien voulu passer à nos bureaux, sur notre annonce de la Nouvelle de M. de Kératry; mais il a eu la distraction ou la modestie de ne point décliner son nom. Maintenant qu'il a lu l'histoire du portrait dont il est l'heureux possesseur, nous le prions de se faire connaître à nous, et de nous permettre de juger si ce portrait est susceptible d'être gravé pour nos lecteurs.

P.-C.

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