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mais par-tout où des circonstances quelconques tendront à changer les lois d'un peuple, les mœurs se détruiront sans être remplacées par d'autres ; les lois pourraient revenir, les mœurs ne reviendront pas; le lien une fois brisé se retrouvera trop court; l'opinion, sans aucun point qui la fixé, sera interprétée au caprice de chacun; la vanité remplacera l'orgueil, et le besoin de se faire remarquer, celui de se voir honoré ; le desir de se distinguer cédera à celui de s'enrichir; on ne voudra plus faire son chemin que pour arriver au moyen de faire sa fortune; et alors tous les chemins seront bons, pourvu qu'ils aboutissent à ce point. Ce n'est pas la peine d'aller au Congo pour voir cela.

P.

CONTE MORAL,

OU HISTOIRE SCANDALEUSE.

E

Je viens d'apprendre la mort de ce pauvre Cléon ; j'en suis fàché je l'ai beaucoup connu, c'était un bon homme. Toute sa vie, il ne pensa, ne dit, ne fit que ce qu'il croyait devoir plaire aux personnes avec qui il vivait. Il était né avec une de ces ames souples et mobiles, qui reçoivent toutes les impressions et n'en conservent aucune. Il avait l'imagination gaie, vive et sensible; tout venait s'y peindre, et s'en réfléchissait avec des couleurs agréables. Il paraissait s'intéresser à tout, aimer tous les gens qui il parlait ; il intéressait lui-même, et on l'aimait, du moins on croyait l'aimer.

Il eut tous les goûts sans avoir jamais de passion. Il avait de l'esprit, des connaissances, du tact, et tout ce qu'il fallait pour bien juger les hommes et les choses; mais ses principes n'étaient qué dans sa tête,

et aucun n'avait pris racine dans son ame; ne réglait ses sentimens, n'influait sur sa conduite.

Il avait le talent de la plaisanterie ; mais il ne l'employait jamais contre ses amis, que lorsqu'ils étaient absens; et c'était toujours pour amuser, jamais pour nuire.

Il était toujours prêt à sacrifier ses opinions, ses goûts et ses sentimens à ceux des autres il ne croyait pas que la vanité de défendre son avis sur quoi que ce fût, valût la peine de contredire un galant homme. Il ne mettait point son amour-propre à avoir plus d'esprit qu'un autre, et tout le monde lui en trouvait beaucoup. Il n'avait de prétention que celle d'être l'homme de Paris le plus sociable; et personne ne lui refusait ce mérite-là.

Son caractère se montra dès l'enfance: Cette facilité le rendit docile à toutes les leçons de ses maîtres; il en profita, fit trèsbien ses exercices, et fut jeté de bonne heure dans le monde, avec les avantages que peuvent donner l'esprit, la figure, la politesse et les talens.

Les femmes les plus à la mode s'empres sèrent de lui plaire, et y réussirent aisément.

Aucune ne put le fixer ; mais on lui pardonnait ses infidélités, même ses indiscrétions; car, comme il n'avait rien de caché pour ses amis, il n'avait jamais une femme sans leur en faire confidence. Cependant les soins qu'exigeaient les honnêtes femmes même les moins exigeantes, le gênaient et le rebutaient. Il se répandit parmi les beautés complaisantes qui ornent la capitale. La facilité de ce commerce lui plut beaucoup; mais ses plaisirs ne furent pas toujours purs, et il y trouva quelque amertume.

Sa santé n'était pas forte; cependant il mangeait et buvait comme les hommes les plus robustes. Il ne voulait pas troubler la gaîté d'un souper agréable par une sobriété déplacée, presque toujours incommode pour les autres, et souvent susceptible de ridicule, car il aimait mieux une indigestion qu'un ridicule.

En passant de plaisirs en plaisirs, il se trouva bientôt avec un corps épuisé et une fortune délabrée. On lui dit qu'il fallait songer à prendre un état ; il le sentit et y songea.

Il avait inspiré une véritable passion à Elmire, jeune veuve, belle, honnête et trèsintéressante, qu'il aimait lui-même autant

fendait l'eau-de-vie à un prince maure, et prétendait que l'usage immodéré des plaisirs pouvait avoir quelques rapports avec le mal des yeux. Mais ces dangers qu'avait fait naître l'envie des courtisans, n'étaient rien auprès des dégoûts que lui préparait l'ingratitude du maître.

Il avait presque guéri le prince, lorsqu'il fut contraint de se rendre à Maroc d'après les ordres de l'empereur qui, pour prix de ses soins, l'obligea à se justifier de l'intention d'avoir voulu empoisonner son fils. Il y par vint sans l'intervention de Muley Absulem qu'il avait mis en état de se passer de lui, et qui par conséquent ne crut pas devoir dire un mot en sa faveur. Il se présenta chez ce prince, qui lui envoya deux pièces d'or indépendamment d'un cheval dont il lui avait fait présent pendant le traitement, et que même Lemprière ne pouvait pas emmener avec lui lorsqu'il quitterait l'empire de Maroc. Mais ce départ, qui faisait désormais l'objet de ses voeux, qu'il demandait pour toute récompense qu'on lui permît d'effectuer, il était bien loin d'en voir le moment. Il avait cependant, pour obtenir sa demande, payé le ministre qui partageait

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