Obrazy na stronie
PDF
ePub

«

«

<< pientiam hominis aliud quam animam. » Il y aurait ici bien des explications à demander. Mais saint Anselme va plus loin; il reproche à Roscelin de ne pas savoir distinguer la couleur d'un corps de ce corps, «< colorem non aliud queunt intelli<< gere quam corpus; » et plus bas : «< cujus mens << obscura est ad discernendum inter equum suum « et colorem ejus. » Entendons-nous. Roscelin n'avait pu nier que l'esprit de l'homme a la faculté de considérer une qualité à part de son sujet ; mais il avait nié qu'une qualité ainsi abstraite de son sujet eût aucune réalité. C'est la réalité de cette abstraction et non pas sa possibilité qui était en cause; et, ou le reproche que saint Anselme adresse au nominalisme n'a pas de sens, ou il en faut conclure que saint Anselme admettait que la couleur a de la réalité hors du corps coloré, comme le genre humain a sa réalité indépendamment des individus qui le composent. Or, cette assimilation du prétendu universel, la couleur, avec les vrais et légitimes universaux, n'est pas soutenable. Le nominalisme pouvait répondre à saint Anselme, et aujourd'hui toute saine philosophie répondrait que la couleur est à-la-fọis une sensation de l'âme et une modification des corps, qu'une sensation n'existe que dans l'âme qui l'éprouve, et une modification dans le sujet modifié; que, dans cette modification, les seuls éléments réels sont, d'une part, la lumière, de

l'autre, le corps avec ses formes et ses propriétés, et que c'est la combinaison de ces éléments qui produit l'accident appelé la couleur. On peut bien dire que cet accident a sa réalité comme accident, mais rien de plus ; et il n'y a point là d'universel. Sans trop insister, car il nous faut bien subordonner la discussion philosophique à l'histoire, on voit poindre déjà une de ces abstractions réalisées, une de ces entités imaginaires qui ont fait si beau jeu à l'école nominaliste et ont tant nui à la réputation des universaux et aux véritables réalités.

le

Nous venons de reconnaître pour ainsi dire le champ de bataille de la scholastique naissante, caractère, les prétentions, les vices et les avantages des deux écoles qui la constituent en la divisant. L'école réaliste admet la réalité des universaux 2 c'est-à-dire des espèces et des genres, du genre humain par exemple, et cet exemple, qui remonte à Aristote, une fois mis en circulation par Boëce, et accepté par saint Anselme, comme il l'avait été très-probablement par Roscelin, devient l'exemple sur lequel les deux partis se donnent rendezvous. Dans ces limites, l'école réaliste a raison; mais elle en sort, et, confondant avec les vrais universaux, avec les vrais genres, de pures abstractions comme la couleur séparée du corps coloré, elle tombe dans le vice célèbre de réaliser des abstractions. D'un autre côté le nomina

lisme montre l'illusion des abstractions réalisées, et il en donne le secret; ce secret c'est la puissance du langage, qui réalise en quelque sorte les conceptions de l'esprit en les revêtant d'une forme à laquelle ensuite on s'arrête, comme si elle avait une réalité intrinsèque. Le nominalisme a donc raison à son tour, et il est utile, en signalant le danger des abstractions réalisées et en appelant l'attention sur la merveille du langage; mais il a tort, et il est lui-même profondément dangereux, lorsqu'il réduit des attributs essentiels à des qualités accidentelles, et confond avec des conceptions purement verbales des existences immatérielles, il est vrai, mais réelles, qui sans doute sont des conceptions dans la pensée de l'homme et des mots dans le langage, mais qui sont indépendantes des conceptions que l'homme s'en forme et des mots dont il les revêt; des existences sans lesquelles les conceptions que nous nous en formons, et toute conception générale, et par conséquent le langage lui-même, serait impossible; des existences enfin dont la réalité détruite emporte avec elle celle de toutes nos sciences avec leurs classifications, et les réduit à des arrangements conventionnels dépourvus de vérité et indignes d'occuper un seul jour un homme sérieux. Ne voir partout que des conceptions abstraites empruntées aux données sensibles et réalisées par des mots, c'est la tendance du nominalisme et de

scientifique de

l'école dont il est l'expression extrême mais fidèle, à savoir, l'école empirique ; et réaliser des abstractions est la tendance de l'école opposée et la pente fatale où la pousse le génie de l'idéalisme. Telles sont les deux écoles que représentent, à la fin du x1° siècle et au commencement du XII, Roscelin et saint Anselme. Nous allons les voir en se développant manifester leurs qualités et leurs défauts, et par les uns comme par les autres servir presque également à leur insu la véritable philosophie.

Réalisme plus Le traité de la Trinité, composé quelque temps
Guillaume de après le concile de Soissons, peut être considéré
Champeaux. comme le manifeste du christianisme contre le

nominalisme. Dans la polémique que nous venons
de retracer, saint Anselme représente l'Église;
Guillaume de Champeaux est en quelque sorte le
représentant de la science. L'archevêque de Can-
torbéry n'avait touché la philosophie de Roscelin
que pour arriver à sa théologie; Guillaume de
Champeaux paraît s'être attaqué spécialement à
la partie philosophique du nominalisme. Saint An-
selme est réaliste presque sans le savoir et sans le
vouloir : Guillaume l'est, le sachant et le voulant,
et c'est sans doute
pour cela que les historiens
de la philosophie le considèrent comme le fonda-
teur de l'école réaliste et le véritable adversaire
de Roscelin.

Guillaume de Champeaux est ainsi appelé du

village de Champeaux en Brie, près de Melun, où il était né vers le milieu du x1a siècle. La date précise de sa naissance est inconnue, ainsi que les événements de sa jeunesse. L'histoire ne le rencontre que dans les premières années du XIIe siècle, à Paris, archidiacre de Notre-Dame, et enseignant lui-même dans l'école de la cathédrale, avec le plus grand succès. C'est dans cette position que nous le fait voir, en 1103, la chronique de Landulphe (1). Guillaume continua son enseignement, à Notre-Dame, jusqu'en 1108, où il quitta l'école du cloître et sa vie de savant et de professeur pour se faire moine. Il se retira dans un faubourg de Paris, auprès de la chapelle de Saint-Victor. Mais il ne put échapper à sa renommée et résister longtemps aux sollicitations de ses amis et de ses élèves, qui le supplièrent de reprendre ses leçons. Il le fit gratuitement pendant cinq années, et c'est ainsi que s'établirent l'abbaye et l'école de Saint-Victor. Il faut donc reconnaître que Guillaume de Champeaux est le fondateur de cette grande école de Saint-Victor de Paris, qui jeta depuis un si grand éclat sous Hugues et sous Richard; comme il est le premier maître célèbre de l'école de la cathédrale, où professèrent après lui Abelard et Pierre le Lombard. C'est le talent de Guillaume qui donna du lustre à l'école

(1) Muratori, Rer. Italic., tom. v, pag. 485.

« PoprzedniaDalej »