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Je paraissais, avant que d'avoir offensé Dieu, avoir de l'esprit, et je ne saurais me souvenir qu'avec douleur du mauvais usage que j'ai fait des bonnes inclinations que Notre-Seigneur m'avait données. J'étais en cela d'autant plus coupable, que je ne voyais rien faire à mes frères qui m'empêchât d'en profiter. Quoique je les aimasse tous extrêmement et que j'en fusse fort aimée, il y en avait un pour qui j'avais une af— ¡ fection encore plus particulière. Il était environ de mon âge, et nous lisions ensemble les Vies des saints. Il me parut, en voyant le martyre que quelques-uns d'eux ont souffert pour l'amour de Dieu, qu'ils avaient acheté à bon marché le bonheur de jouir éternellement de sa présence; et il me prit un grand désir de mourir de la même sorte, non par un violent mouvement d'amour que je me sentisse avoir pour lui, mais afin de ne point différer à jouir d'une aussi grande félicité que celle que je lisais que l'on possède dans le ciel. Mon frère entra dans le même sentiment; et nous délibérions ensemble du moyen que nous pourrions tenir pour venir à bout de notre dessein. Nous nous proposâmes de passer dans les pays occupés par les Maures, et de demander à Dieu qu'il nous fit la grâce de mourir par leurs mains. Et, quoique nous ne fussions encore que des enfants, il me semble qu'il nous donnait assez de courage pour exécuter cette résolution, si nous en pouvions trouver le moyen; et ce que nous étions sous la puissance d'un père et d'une mère, était la plus grande difficulté que nous y voyions. Cette éternité de gloire et de peines que ces livres nous faisaient connaître, frappait notre esprit d'un étrange étonnement; nous répétions sans cesse : Quoi! pour toujours, toujours, toujours ! Et, bien que je fusse dans une si grande jeunesse, Dieu me faisait la grâce, en prononçant ces paroles, qu'elles imprimaient dans mon cœur le désir d'entrer et de marcher dans le chemin de la vérité.

Lorsque nous vîmes, mon frère et moi, qu'il nous était impossible de réussir dans notre dessein de souffrir le martyre, nous résolûmes de vivre comme des ermites, et nous travaillâmes à faire ces ermitages dans le jardin ; mais les pierres que nous mettions pour cela les unes sur les autres, venant à tomber, parce qu'elles n'avaient point de liaison, nous ne pûmes en venir à bout. Je ne saurais encore maintenant penser, sans en être beaucoup touchée, que Dieu me faisait dès-lors des grâces dont j'ai si peu profité.

Je donnais l'aumône autant que je le pouvais, et mon pouvoir était petit. Je me retirais en solitude pour faire mes prières, qui étaient en grand nombre, avec le rosaire, pour lequel ma mère avait une grande dévotion, et nous l'avait inspirée. Lorsque je me jouais avec les petites filles de mon âge, mon grand plaisir était de faire des monastères et d'imiter les religieuses; et il me semble que je désirais de l'être, quoique non pas avec tant d'ardeur que les autres choses dont j'ai parlé.

J'avais environ douze ans quand ma mère mourut, et, connaissant

la perte que j'avais faite, je me jetai toute fondante en larmes, aux pieds d'une image de la sainte Vierge, et la suppliai de vouloir être ma mère. Quoique je fisse cette action avec une grande simplicité, il m'a paru qu'elle me fut fort avantageuse; car j'ai reconnu manifestement que je ne me suis jamais recommandée à cette bienheureuse Mère de Dieu, qu'elle ne m'ait assistée. Elle m'a enfin appelée à son service, et je ne puis penser qu'avec douleur que je ne persévérai pas aussi fidèlement que je devais dans les bons désirs que j'avais alors: «< Seigneur << mon Dieu, puisque j'ai sujet de croire que, me faisant tant de grâces, << vous aviez dessein de me sauver, n'aurait-il pas fallu que, par le << respect qui vous est dû, encore plus que pour mon intérêt, mon « âme, dans laquelle vous vouliez habiter, n'eût point été profanée << par tant de péchés ? Je ne saurais en parler sans en être vivement « touchée, parce que je n'en puis attribuer la cause qu'à moi seule, « étant obligée de reconnaître qu'il n'y a rien que vous n'ayez fait pour « me porter, dès cet âge, à être absolument toute à vous, et que mon « père et ma mère ont pris tant de soin de m'élever dans la vertu, et « m'ont donné de sí bons exemples, qu'au lieu de me pouvoir plaindre « d'eux, j'ai tous les sujets du monde de m'en louer. >>

Lorsque je fus un peu plus avancée en âge, je commençai à connaître les dons de la nature dont Dieu m'avait favorisée, et que l'on disait être grands; mais au lieu d'en rendre grâces à Dieu, je m'en servis pour l'offenser, ainsi que je le dirai dans la suite.

CHAPITRE II.

Préjudice que reçut la Sainte de la conversation d'une de ses parentes. Combien il importe de ne fréquenter que des personnes vertueuses. On la met en pension dans un monastère.

romans,

Il me semble que ce que je vais rapporter me nuisit beaucoup, et il me fait quelquefois considérer combien grande est la faute des pères et mères qui ne prennent pas soin d'empêcher leurs enfants de rien voir qui ne les puisse porter à la vertu. Car, ma mère étant telle que je l'ai dit, tant de bonnes qualités que je voyais en elle firent peu d'impression sur mon esprit, lorsque je commençai à devenir raisonnable; et ce qu'elle avait de défectueux me fit grand tort. Elle prenait plaisir à lire des et ce divertissement ne lui faisait pas tant de mal qu'à moi ; car elle ne laissait pas de prendre tout le soin qu'elle devait avoir de sa famille, et peut-être ne le faisait-elle que pour occuper ses enfants, afin de les empêcher de penser à d'autres choses qui auraient été capables de les perdre; mais nous oubliions nos autres devoirs, pour ne penser qu'à cela seul. Mon père le trouvait si mauvais, qu'il fallait bien prendre garde qu'il ne s'en aperçût pas. Je m'appliquai donc entièrement à une si dangereuse lecture; et cette faute, que l'exemple de ma mère me fit faire, causa tant de refroidissement dans mes bons désirs, qu'elle m'en fit commettre beaucoup d'autres. Il me semblait qu'il n'y avait point de

mal à employer plusieurs heures du jour et de la nuit à une occupation. si vaine, sans que mon père le sût, et ma passion pour cela était si grande, que je ne trouvais de contentement qu'à lire quelqu'un de ces livres que je n'eusse point encore vu.

Je commençai à prendre plaisir à m'ajuster et à désirer de paraître bien; j'avais un grand soin de mes mains et de ma coiffure; j'aimais les parfums et toutes les autres vanités; et comme j'étais fort curieuse, je n'en manquais pas. Mon intention n'était pas mauvaise, et je n'aurais pas voulu être cause que quelqu'un offensât Dieu pour l'amour de moi. Je demeurai durant plusieurs années dans cette excessive curiosité, sans comprendre qu'il y eût du péché; mais je vois bien maintenant qu'il était fort grand.

Comme mon père était extrêmement prudent, il ne permettait l'entrée de sa maison qu'à ses neveux, mes cousins germains; et plût à Dieu qu'il la leur eût refusée aussi bien qu'aux autres! Car je connais maintenant quel est le péril, dans un âge où l'on doit commencer à se former à la vertu, de converser avec des personnes qui non seulement ne connaissent point combien la vanité du monde est méprisable, mais qui portent les autres à l'aimer. Ces parents dont je parle n'étaient qu'un peu plus âgés que moi; nous étions toujours ensemble, ils m'aimaient extrêmement, mon entretien leur était fort agréable; ils me parlaient du succès de leurs inclinations et de leurs folies, et, qui pis est, j'y prenais plaisir; ce qui fut la cause de tout mon mal.

Que si j'avais à donner conseil aux pères et aux mères, je les exhorterais de prendre bien garde de ne laisser voir à leurs enfants à cet âge, que ceux dont la compagnie peut leur être utile, rien n'étant plus important, à cause que notre naturel nous porte plutôt au mal qu'au bien. Je le sais par ma propre expérience; car ayant une sœur plus âgée que moi, fort sage et fort vertueuse, je ne profitai point de son exemple, et je reçus un grand préjudice des mauvaises qualités d'une de mes parentes qui venait souvent nous voir. Comme si ma mère, qui connaissait la légèreté de son esprit, eût prévu le dommage qu'elle devait me causer, il n'y avait rien qu'elle n'eût fait pour lui fermer l'entrée de sa maison; mais elle ne le put à cause du prétexte qu'elle avait d'y venir. Je m'affectionnai extrêmement à elle, et ne me lassais point de l'entretenir, parce qu'elle contribuait à mes divertissements, et me rendait compie de toutes les occupations que lui donnait sa vanité. Je veux croire qu'elle n'avait point d'autre dessein dans notre amitié que de satisfaire son inclination pour moi, et le plaisir qu'elle prenait à me parler des choses qui la touchaient.

J'arrivai ainsi à ma quatorzième année, et il me semble que, durant ce temps, je n'offensai point Dieu mortellement, ni ne perdis point sa crainte; mais j'en avais davantage de manquer à ce que l'honneur du monde oblige. Cette crainte était si forte en moi, qu'il me paraît que rien n'aurait été capable de me la faire perdre. Que j'aurais été heu

reuse si j'avais toujours eu une aussi ferme résolution de ne faire jamais rien de contraire à l'honneur de Dieu! mais je ne prenais pas garde que je perdrais, par plusieurs autres voies, cet honneur que j'avais tant de passion de conserver, parce qu'au lieu de me servir des moyens nécessaires pour cela, j'avais seulement un extrême soin de ne rien faire contre ce qui peut ternir la réputation d'une personne de mon sexe.

Mon père et ma sœur voyaient avec un sensible déplaisir l'amitié que j'avais pour cette parente, et me témoignaient souvent de ne la point approuver; mais, comme ils ne pouvaient lui défendre l'entrée de la maison, leurs sages remontrances m'étaient inutiles, et il ne se pouvait rien ajouter à mon adresse pour réussir dans les choses où je m'engageais si imprudemment.

Je ne saurais penser sans étonnement au préjudice qu'apporte une mauvaise compagnie; et je ne le pourrais croire si je ne l'avais éprouvé, principalement dans une si grande jeunesse. Je souhaiterais que mon exemple pût servir aux pères et aux mères, pour les faire veiller attentivement sur leurs enfants; car il est vrai que la conversation de cette parente me changea de telle sorte, que l'on ne reconnaissait plus en moi aucune marque des inclinations vertueuses que mon naturel me donnait, et qu'elle et une autre, qui était de son humeur, m'inspirèrent les mauvaises qu'elles avaient. C'est ce qui me fait connaître combien il importe de n'être qu'en bonne compagnie, et je ne doute point que, si j'en eusse rencontré à cet âge une telle qu'il eût été à désirer, et que l'on m'eût instruite dans la crainte de Dieu, je me serais entièrement portée à la vertu, et fortifiée contre les faiblesses dans lesquelles je suis tombée.

Ayant ensuite entièrement perdu cette crainte de Dieu, il me resta seulement celle de manquer à ce qui regardait mon honneur, et elle me donnait des peines continuelles. Mais, me flattant de la créance que l'on n'avait point de connaissance de mes actions, je faisais plusieurs choses contraires à l'honneur de Dieu, et même à celui du monde, pour lequel j'avais tant de passion.

Ce que je viens de rapporter fut donc, à ce qui m'en paraît, le commencement de mon mal, et je ne dois pas peut-être en attribuer la cause aux personnes dont j'ai parlé, mais à moi-même, puisque ma seule malice suffisait pour me faire commettre tant de fautes, joint que j'avais auprès de moi des filles toujours disposées à me fortifier dans mes manquements; et s'il y en eût eu quelqu'une qui m'eût donné de bons conseils, je les aurais peut-être suivis ; mais leur intérêt les aveuglait, de même que j'étais aveuglée par mon affection à suivre mes sentiments. Néanmoins, comme j'ai naturellement de l'horreur pour les choses déshonnêtes, j'ai toujours été très-éloignée de ce qui peut blesser l'honneur; et je me plaisais seulement dans les divertissements et les conversations agréables; mais parce qu'en ne fuyant pas les occasions on s'expose à un péril évident, je me mettais au hasard de me

perdre, et d'attirer sur moi la juste fureur de mon père et de mes frères. Dieu m'en garantit par son assistance, quoique ces conversations dangereuses ne purent être si secrètes qu'elles ne donnassent quelque atteinte à ma réputation, et que mon père n'en soupçonnât quelque chose.

Trois mois, ou environ, s'étaient passés de la sorte, lorsque l'on me mit dans un monastère de la ville où j'étais, et où l'on élevait des filles de ma condition, mais plus vertueuses que moi. Cela se fit avec tant de secret, qu'il n'y eut qu'un de mes parents qui le sut. On prit pour prétexte le mariage de ma sœur, et ce que, n'ayant plus de mère, je serais demeurée seule à la maison. L'affection que mon père avait pour moi était si extraordinaire, et ma dissimulation si grande, qu'il ne me pouvait croire aussi mauvaise que je l'étais; ainsi je ne tombai point dans sa disgrâce, et bien qu'il se répandît quelque bruit de ces entretiens trop libres que j'avais eus, l'on n'en pouvait parler avec certitude, tant parce qu'ils durèrent peu, qu'à cause que ma passion pour l'honneur faisait qu'il n'y avait point de soin que je ne prisse pour les cacher, sans considérer, mon Dieu, qu'ils ne pouvaient être cachés à vos yeux, qui pénètrent toutes choses. « Quel mal, ô mon Sauveur, n'arrive-t-il « point de ne se pas représenter cette vérité, et de s'imaginer qu'il << puisse y avoir quelque chose de secret de ce qui se fait contre votre « volonté ! Pour moi je suis persuadée que l'on éviterait beaucoup de <«< maux, si l'on se mettait fortement dans l'esprit que ce qui nous im« porte n'est pas de cacher nos fautes aux hommes, mais de prendre « garde à ne rien faire qui vous soit désagréable. »>

Les huit premiers jours que je passai dans cette maison me furent fort pénibles, non pas tant par le déplaisir d'y être, que par l'appréhension que l'on eût connaissance de la mauvaise conduite que j'avais eue; car j'en étais déjà lasse; et parmi tous ces entretiens si vains et si dangereux, je craignais beaucoup d'offenser Dieu, et me confessais fort souvent. Au bout de ce temps, et encore plus tôt, ce me semble, cette inquiétude se passa, et je me trouvais mieux que dans la maison de mon père.

Les religieuses étaient fort satisfaites de moi, et me témoignaient beaucoup d'affection, parce que Dieu me faisait la grâce de contenter toutes les personnes avec qui je me trouvais. J'étais alors très-éloignée de vouloir être religieuse, mais j'avais de la joie de me voir avec de si bonnes filles; car celles de cette maison avaient beaucoup de vertu, de piété et de régularité. Le démon ne laissa pas néanmoins, pour me tenter, de pousser des personnes du dehors à tâcher de troubler le repos dont je jouissais; mais, comme il n'était pas facile d'entretenir un tel commerce, il cessa bientôt : je commençai à rentrer dans les bons sentiments que Dieu m'avait donnés dès mon enfance; je connus combien grande est la grâce qu'il fait à ceux qu'il met en la compagnie des gens de bien, et il me semble qu'il n'y avait point de moyen dont son infinie

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