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Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir su éviter une sottise. » C'est une figure heureuse que celle qui transforme ainsi en sensation le sentiment qu'on veut exprimer.

L'énergie de l'expression dépend de la force avec laquelle l'écrivain s'est pénétré du sentiment ou de l'idée qu'il a voulu rendre. Ainsi La Bruyère s'élevant contre l'usage des sermens, dit : « Un honnête homme qui dit oui ou non, mérite d'être «< cru: son caractère jure pour lui. >>>

Il est d'autres figures de style, d'un effet moins frappant, parce que les rapports qu'elles expriment demandent, pour être saisis, plus de finesse et d'attention dans l'esprit je n'en citerai qu'un exemple.

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:

<< Il y a dans quelques femmes un mérite paisible, mais solide, accompagné de «< mille vertus qu'elles ne peuvent couvrir « de toute leur modestie. »>

Ce mérite paisible offre à l'esprit une combinaison d'idées fines et délicates, qui doit, ce me semble, plaire d'autant plus qu'on aura le goût plus délicat et plus exercé.

En parlant de ces artifices de toilette, par lesquels les femmes gâtent souvent leurs

grâces naturelles, il dit : « Ce n'est pas sans

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peine qu'elles plaisent moins. » Il faut un peu d'attention pour saisir la finesse de

cette tournure.

Mais les grands effets de l'art d'écrire, comme de tous les arts, tiennent sur-tout aux contrastes.

Ce sont les rapprochemens ou les oppositions de sentimens et d'idées, de formes et de couleurs qui, faisant ressortir tous les objets les uns par les autres, répandent dans une composition la variété, le mouvement et la vie. Aucun écrivain peut être n'a mieux connu ce secret, et n'en a fait un plus heureux usage que La Bruyère. Il a un grand nombre de pensées qui n'ont d'effet que par le contraste.

« Il s'est trouvé des filles qui avaient de << la vertu, de la santé, de la ferveur et une bonne vocation; mais qui n'étaient pas << assez riches pour faire dans une riche abbaye vœu de pauvreté. »

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Ce dernier trait, rejeté si heureusement à la fin de la période pour donner plus de saillie au contraste, n'échappera pas à ceux qui aiment à observer dans les productions des arts les procédés de l'artiste. Mettez à

la place, « qui n'étaient pas assez riches. « pour faire vœu de pauvreté dans une << riche abbaye; » et voyez combien cette légère transposition, quoique peut-être plus favorable à l'harmonie, affaiblirait l'effet de la phrase. Ce sont ces artifices que ·les anciens recherchaient avec tant d'étude, et que les modernes négligent trop. Lorsqu'on en trouve des exemples chez nos bons écrivains, il semble que c'est plutôt l'effet de l'instinct que de la réflexion.

Montesquieu cite ce beau trait de Florus, lorsqu'il nous montre Scipion, encore enfant, qui croît pour la ruine de l'Afrique : Qui in exitium Africae crescit. Ce rapport supposé entre deux faits naturellement indépendans l'un de l'autre, plait à l'imagination et attache l'esprit. Je trouve un effet semblable dans cette pensée de La Bruyère :

Pendant qu'Oronte augmente, avec «<ses années, son fonds et ses revenus, «< une fille naît dans quelque famille, s'é« lève, croît, embellit et entre dans sa «< seizième année il se fait prier à cin« quante ans pour l'épouser, jeune, belle, spirituelle cet homme sans naisance,

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<< sans esprit et sans le moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux. >>

Si je voulais, par un seul passage, donner à-la-fois une idée du grand talent de La Bruyère et un exemple frappant de la puissance des contrastes dans le style, je citerais ce bel apologue qui contient la plus éloquente satire du faste insolent et scandaleux des parvenus.

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<< Ni les troubles, Zénobie, qui agitent «< votre empire, ni la guerre que vous sou<< tenez virilement contre une nation puis<< sante, depuis la mort du roi votre époux, << ne diminuent rien de votre magnificence: «< vous avez préféré à toute autre contrée <«<les rives de l'Euphrate, pour y élever un superbe édifice; l'air y est sain et tempéré, la situation en est riante; un bois << sacré l'ombrage du côté du couchant; les «< dieux de Syrie, qui habitent quelquefois <«< la terre, n'y auraient pu choisir une plus << belle demeure. La campagne autour est <«< couverte d'hommes qui taillent et qui <<coupent, qui vont et qui viennent, qui <«< roulent ou qui charrient le bois du Liban, « l'airain et le porphyre: les grues et les << machines gémissent dans l'air, et font es

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pérer à ceux qui voyagent vers l'Arabie, « de revoir à leur retour en leurs foyers ce palais achevé, et dans cette splendeur où << vous désirez de le porter, avant de l'ha<< biter vous et les princes vos enfans. N'y épargnez rien, grande reine: employez-y «<l'or et tout l'art des plus excellens ou«<vriers; que les Phidias et les Zeuxis de

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votre siècle déploient toute leur science << sur vos plafonds et sur vos lambris: tra<< cez - y de vastes et de délicieux jardins, « dont l'enchantement soit tel qu'ils ne pa<< raissent pas faits de la main des hommes: épuisez vos trésors et votre industrie sur <<< cet ouvrage incomparable; et après que « vous y aurez mis, Zénobie, la dernière «< main, quelqu'un de ces pâtres qui habi<<< tent les sables voisins de Palmyre, de<< venu riche par les péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comptans «< cette royale maison, pour l'embellir et << la rendre plus digne de lui et de sa for

«<< tune. >>

Si l'on examine avec attention tous les détails de ce beau tableau, on verra que tout y est préparé, disposé, gradué avec un art infini pour produire un grand effet.

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