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lettres, de rhétorique, de sciences naturelles, etc., etc., destinés aux classes. Les livres étaient rares, et il était difficile de s'en procurer, même au prix de l'or.

Il ne faut pas oublier que, pendant près d'un siècle, nous avons été complètement séparés de la France, notre foyer de lumière. La guerre de l'indépendance américaine avait suivi de près celle de la conquête, puis étaient venues la révolution française et les guerres de l'Empire. Les rares communications avec la France qui avaient été commencées sous la Restauration, furent de nouveau interrompues à l'époque des troubles de 1837. Ce ne fut qu'après 1840 que nos relations commerciales s'établirent définitivement avec l'ancienne mère-patrie.

Aujourd'hui que nous sommes plus rapprochés de Paris que ne l'étaient Marseille et Toulouse au commencement du siècle, on a du mal à se rendre compte des difficultés que nos devanciers ont eu à surmonter pour se frayer un chemin dans la carrière des lettres.

Leurs créations en acquièrent à nos yeux un prix qui nous en fait peut-être exagérer l'importance et le mérite un petit trop, comme on disait au temps de Champlain. Elles ressemblent à ces joyaux de famille un peu démodés, comme leur écrin, mais dont on aime à se parer, parce qu'ils gardent quelque chose de ceux qu'on a le plus aimés.

III.

On a dit que la France était la seule nation qui se dévouât pour une idée. Nous sommes les fils de la France et fiers de réfléter son génie. Nés d'une grande pensée, l'idée civilisatrice et religieuse, sous sommes restés les fils de la pensée plus que de l'action. Dans cette fiévreuse Amérique, où tout le monde fait une course effrénée à la fortune, au mighty dollar, nous nous attardons au travail de l'idée.

L'américain qui nous coudoie, nous voyant courbés sur cette œuvre ingrate, hausse les épaules, sourit et passe. Il ne comprend pas. Lui n'agit guère que pour le présent, nous créons (du moins c'est notre conviction), nous créons pour l'avenir: æternitati pingo.

Vous vous rappelez ce personnage de Notre-Dame de Paris que Victor Hugo place, un livre à la main, en face d'un monument gothique et à qui il fait dire ce mot devenu célèbre Ceci tuera cela. Dans cet ordre d'idées, aucun Canadien ne fut plus Français que notre historien national. Toute la vie de Garneau se résume dans le beau vers de Lamartine:

Sans haine et sans amour, tu vécus pour penser.

Au lendemain de sa fin prématurée, un de ceux qui l'avait le mieux connu, grand esprit comme lui, a écrit toute sa vie en quelques lignes émues qui le peignent au vrai:

"Il est mort à la tâche notre cher et grand historien. Il n'a connu ni les splendeurs de la richesse, ni les enivrements du pouvoir. Il a vécu humble, presque pauvre, loin des plaisirs du monde, cachant avec soin les rayonnements de sa haute intelligence pour les concentrer sur cette œuvre qui dévora sa vie en lui donnant l'immortalité. Garneau a été le flambeau qui a porté la lumière sur notre courte, mais héroïque histoire, et c'est en se consumant lui-même qu'il a éclairé ses compatriotes."

Rarement historien n'a travaillé dans des circonstances plns dramatiques : c'était après 1840. L'œuvre de l'Union venait d'être consommée, et les ennemis de notre race s'applaudissaient, croyant par là avoir donné le coup de grâce à notre jeune nationalité.

Souvent, dans le silence de ses méditations, l'historien se demandait à lui-même s'il écrivait sur un berceau ou sur une tombe. Ce doute qui planait dans son esprit et qui se trahit sous sa plume, répand sur son histoire une teinte de mélancolie touchante qui en relève l'intérêt. La pensée du lecteur se reporte avec celle de l'historien sur l'avenir, et vacille, comme la sienne, entre le doute et l'espérance.

Si nous en étions encore au temps des parallèles, ce serait ici le lieu d'établir en quoi nos deux historiens, Garneau et Ferland, se ressemblent, en quoi ils diffèrent, sans toutefois faire du parallèle un prétexte à antithèse.

Il y a deux écoles, ou si l'on veut, deux races d'historiens: ceux qui effacent et ceux qui accusent leur personnalité; ceux qui se désintéressent du présent et qui se contentent de narrer et d'expliquer les événements, et ceux qui, en étudiant le passé, n'oublient pas le présent, qui embrassent une doctrine ou une cause, la font ressortir des faits et en poursuivent le développement.

Je ne dissimule pas ma préférence pour cette dernière école. C'est, au reste, la grande manière, celle dont Bossuet est un maître immortel.

Garneau appartient à cette race d'ihistoriens; l'abbé Ferland relève plutôt de la pre

mière.

Chacun d'ailleurs s'est placé à un point de vue différent. Garneau s'adressait au public européen, pour le moins autant qu'à ses nationaux. C'était une conséquence de sa thèse qui peut se formuler ainsi : Défense des Canadiens devant l'Angleterre.

L'abbé Ferland, caractère timide à force d'être modeste, n'ambitionnait guère d'autre auditoire que le nôtre. Plus complet que Garneau, surtout pour les origines de notre histoire, qu'il a mieux comprises, il n'a pas été surpassé comme narrateur facile et consciencieux. L'un a plus les qualités de l'annaliste; l'autre celles de l'historien. Enlevé prématurément comme Garneau, l'abbé Ferland n'a pas eu, comme son émule, la bonne fortune de mettre le couronnement à son œuvre. Interrompue brusquement à l'époque de la conquête, elle ne donne pas la mesure de son talent. Il n'a eu le temps de mettre la dernière main qu'au premier volume de son Cours d'Histoire ; c'est la meilleure page qui ait été écrite sur nos origines historiques.

Si on n'avait pas tant abusé de la comparaison sous prétexte de mieux faire comprendre son sujet, j'en hasarderais une qui me semble représenter assez bien le caractère distinctif de nos deux historiens, et que jè prendrais sur le théâtre même de leurs travaux.

Ceux qui sont familiers avec le paysage de Québec, connaissent le délicieux parcours de la rivière Saint-Charles, aussi bien que les bords autrement accidentés de la rivière Montmorency. La première qui serpente paisiblement à travers des vallons qu'elle embellit et fertilise et qui se jette sans bruit dans le fleuve, rappelle le talent facile, calme et modeste de l'abbé Ferland; tandis que la course ardente, l'air de sauvagerie du Montmorency qui se décharge en écume, fait songer à la manière plus âpre, plus mouvementée de l'historien Garneau. L'un et l'autre sont des sources de science et de patriotisme dignes de la réputation qui leur a été faite.

IV.

Lorsque Dante entreprit son immortel voyage à travers les mondes de l'autre vie, il sentit d'abord son courage fléchir, et il n'osa s'aventurer seul ni dans cette nuit ni dans

Sec. I., 1882. 12.

ces lumières. Alors deux figures bienfaisantes, celles de Virgile et de Béatrix, lui apparurent, le rassurèrent et lui servirent de guides.

Vous avez entrevu ma pensée, messieurs. Nous voici à l'entrée d'une carrière toute nouvelle et inconnue, mêlée de clartés et d'ombres. Plus d'un écueil nous attend sur la route. Comme le pèlerin de Florence, nous avons besoin de guides et de soutiens. En est-il de meilleurs que les deux nobles figures que je viens d'évoquer devant vous ? Il n'en est pas de plus pures, ni de plus sereines dans toute notre histoire littéraire. Si nous marchons sur leurs traces, si nous suivons leurs exemples, apportant toujours la même conscience dans les recherches, la même sincérité dans les discussions, nous ne risquerons guère de nous égarer ni dans la voie de la science, ni dans celle du patriotisme.

Vive la France!

Par LOUIS FRÉCHETTE.

(Lu le 26 mai 1882.)

C'était après les jours sombres de Gravelotte:

La France agonisait. Bazaine Iscariote,
Foulant aux pieds honneur et patrie et serments,

Venait de livrer Metz aux reîtres allemands.

Comme un troupeau de loups sorti des steppes russes,
Vrai torrent déchaîné, des hordes de Borusses,
Féroces, l'œil en feu, sabre aux dents, vingt contre un,
Après avoir conquis Strasbourg, Sedan, Verdun,
Incendiant les bourgs, détruisant les villages,
Ivres de vin, de sang, d'horreurs et de pillages,
Et ne laissant partout que carnage et débris,
Nouveau fléau de Dieu, s'avançaient sur Paris.

Vols, attentats sans nom, horribles hécatombes,
Rien ne rassasiait ces noirs semeurs de tombes.
La province, à demi-morte et saignée à blanc,
Se tordait et râlait sous leur talon sanglant.
Seule, et voulant donner un exemple à l'histoire,
Paris, ce boulevard de dix siècles de gloire,
Orgueil et désespoir des rois et des césars,
Foyer de la science et temple des beaux arts,
Folle comme Babel, sainte comme Solime,
En un jour transformée en guerrière sublime,
Le front haut, l'arme au bras, narguant la trahison,
Par-dessus ses vieux forts regardait l'horizon!

Au loin, le monde ému frissonnait dans l'attente;
Qu'allait-il arriver?

L'Europe haletante

Jetait, soir et matin, sur nos bords attérés,
Ses bulletins de plus en plus désespérés...
On bombardait Paris!

Or, tandis que la France,

Jouant sur un seul dé sa dernière espérance,

Se roidissait ainsi contre le sort méchant,

Un poème naïf, douloureux et touchant
S'écrivait en son nom sur un autre hémisphère;
Tandis que d'un œil sec d'autres regardaient faire-
D'autres pour qui la France, ange compatissant,
Avait cent fois donné le meilleur de son sang -
Par delà l'Atlantique, aux champs du nouveau monde,
Que le bleu Saint-Laurent arrose de son onde,
Des fils de l'Armorique et du vieux sol normand,
Des Français, qu'un roi vil avait vendus gaîment:
Une humble nation qu'encore à peine née,
Sa mère avait, un jour, hélas! abandonnée,
Vers celle que chacun reniait à son tour
Tendit les bras avec un indicible amour!
La voix du sang parla; la sainte idolâtrie,
Que dans tout noble cœur Dieu mit pour la patrie,
Se réveilla chez tous; dans chacun des logis,
Un flot de pleurs brûlants coula des yeux rougis;
Et, parmi les sanglots d'une douleur immense,
Un million de voix cria: Vive la France!...

Sous les murs de Québec, la ville aux vieilles tours,
Dans le creux du vallon que baignent les détours
Du sinueux Saint-Charles aux rives historiques,
Autour de vingt clochers se groupent vingt fabriques;
C'est le faubourg Saint-Roch, où vit en travaillant
Une race d'élite au cœur fort et vaillant.

Là surtout, ébranlant ces poitrines robustes,

Où trouvent tant d'écho toutes les causes justes,
Retentit douloureux ce cri de désespoir :

La France va mourir!...

Ce fut navrant.

Un soir,

Un de ces soirs brumeux et sombres de l'automne,
Où la bise aux créneaux chante plus monotone,
De ces donjons, à l'heure où les sons familiers

De la cloche partout ferme les ateliers,
La haute citadelle, avec sa garde anglaise,
Entendit tout à coup tonner la Marseillaise,

Mêlée au bruit strident du fifre et du tambour...

Les voix montaient au loin; c'était le vieux faubourg

Qui, grondant comme un flot que l'ouragan refoule,
Gagnait la haute ville, et se ruait en foule

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