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Répondit aussitôt, essuyant sa paupière :

-Nous avons demeuré bien longtemps à St-Pierre,
Saint-Pierre d'Orléans.

Et, parlant presque bas,

L'homme reprit alors:

-Mon nom est Jean Dumas.

-Jean Dumas, dites-vous ? Et Jean Dumas, de l'Ile,
Cria le forgeron? Non! non! c'est inutile,

Tu n'es point Jean Dumas. Je te reconnaîtrais,.....
Approche donc un peu que je lise tes traits!......

Ah! sous nos cheveux blancs et sous nos peaux tannées
On ne retrouve plus nos jeunesses fanées!

-Quoi! vous me connaissez! quoi! vous m'avez connu !
Lorsque j'étais heureux êtes-vous donc venu,

Comme je fais ici, vous asseoir à ma table?

Ah! j'en éprouverais un bonheur véritable!

-Nous nous sommes connus, mais voilà bien longtemps;
Nous sommes à l'hiver, nous étions au printemps.

-Vraiment, c'est bien heureux ! mais dites-moi, brave homme
En quel endroit c'était et comment l'on vous nomme.

-C'était à l'Ile, Jean, reprend le forgeron,
Et je me nomme, moi, Cyprien Bergeron.

Dumas reste muet de stupeur; et sa femme,
Poussant de ces sanglots qui vous déchirent l'âme
Et fondant tout à coup en pleurs, s'écrie alors,
-Vengez-vous, Cyprien, et jetez-nous dehors!

Et Dumas, demandant le pardon de sa faute,
Tomba dans la poussière aux genoux de son hôte.
Viens, dit le forgeron tout ému; lève-toi!
Ne t'agenouille point comme ça devant moi,
Cela me rend honteux, et je crois qu'on me raille.
Entrons.

Le crucifix pendait à la muraille.
Il s'en fut à ses pieds se jeter à genoux

Et dit, levant les mains:

Mon Dieu, pardonnez-nous

Comme nous pardonnons à ceux qui nous offensent!

Puis, quand il fut debout:

-Jean, les moissons commencent

Et je cultive un peu tout en forgeant beaucoup.
J'ai besoin que l'on m'aide, et je fais un bon coup
En vous gardant ici, toi, ta femme et ta fille.
Nous ferons désormais une seule famille.

Les jeunes gens rentraient juste à ce moment-là :

-Mon père, ajouta Paul, je songeais à cela.

Etude sur les commencements de la poésie francaise au Canada et en particulier sur les poésies de M. Francois-Xavier Garneau.

Par M. CHAUVEAU.

(Lu le 26 Mai, 1883.)

Toutes les littératures ont commencé par la poésie. L'histoire, la science, la législation, la religion elle-même ont parlé à l'origine des sociétés le langage que l'on a appelé la langue des dieux.

"Ceux qui ont recherché l'origine des langues, dit un écrivain contemporain, s'accordent à reconnaître qu'elles ont débuté par la poésie.

“Cette méthode, ajoute-t-il, semble contraire à la marche de l'esprit humain, qui d'ordinaire procède du simple au composé, du facile au difficile. Et cependant si l'on y réfléchit sérieusement on arrive à se convaincre qu'elle y est plus conforme qu'on ne l'imagine généralement."*

Ce n'est cependant pas à mon avis par la raison que donne M. Henriot, ce n'est point "parce que l'homme à l'état sauvage pense moins qu'il ne sent, parce qu'il a plus de sensations que d'idées " qu'il est poète même avant d'être versificateur.

Et d'abord les anciens grecs aux temps d'Hésiode et d'Homère, les Hindous à l'époque où furent composées leurs immenses épopées, les Hébreux aux temps de leur poésie sacrée même la plus ancienne, étaient bien loin de la vie sauvage qu'il ne faut pas confondre avec la vie pastorale.

Les Français à l'époque de leurs chansons de gestes, les Espagnols à celle de leurs romanceros, étaient des civilisés. Le sauvage comme l'ont soutenu M. de Bonald et M. de Maistre n'est lui-même qu'un civilisé déchu et dégénéré. J'en vois une preuve irréfragable dans le mécanisme savant des langues anciennes de ce continent que M. Cuoq et d'autres philologues étudient avec l'espoir de résoudre bientôt le problème de l'origine de nos indigènes.

Les érudits discutent encore pour savoir si la "loi des douze tables a été originairement composée ou mise plus tard en vers. "Discebamus enim pueri duodecim (tabulas) ut carmen necessarium quas jam nemo discit." Vico, cité par M. Giraud, interprète ce passage de Cicéron dans le sens de la première hypothèse, et il ajoute que les enfants des Crétois chantaient aussi les lois de leur pays, que, d'après les traditions, les lois égyptiennes auraient été écrites en vers par la déesse Isis, que Lycurgue et Dracon donnèrent leurs loix en vers, le premier aux Spartiates, le second aux Athéniens, enfin que Jupiter dicta en vers les lois de Minos. †

Est-ce une condition de la jeunesse des peuples, de leur inexpérience, de la vivacité de leur imagination, qui fait qu'ils débutent généralement par la poésie? Est-ce au contraire parce que, plus rapprochés des traditions primitives, des véritables sources de toute inspiration, la plus haute expression de la pensée humaine leur est plus familière? La

* HENRIOT-Mœurs juridiques et judiciaires de l'ancienne Rome d'après les poètes.

+ GIRAUD-Histoire du droit romain.

Sec. I., 1882. 9.

supposition de l'intervention de la divinité que font Platon, Plutarque et les autres auteurs cités par Vico confirmerait cette dernière manière de voir.

Des causes d'un ordre moins élevé peuvent aussi entrer en ligne de compte; telle est celle que Cicéron indique assez clairement : la facilité avec laquelle les vers se gravent dans la mémoire, facilité qui avait bien son importance lorsque l'imprimerie n'était pas encore découverte et que l'écriture elle-même était d'un usage assez restreint. La mémoire des enfants valait bien toutes les tables d'airain, de marbre ou d'ivoire !

Quoiqu'il en soit, dans un pays comme le nôtre où la civilisation d'une grande nation européenne fut pour bien dire transplantée tout d'une pièce, il semble qu'aucune des raisons que l'on a données pour expliquer le phénomène littéraire, qui nous occupe, ne s'applique. En voyant chez nous la poésie précéder la prose on serait tenté de se croire en présence d'une loi fatale dont les causes sont encore ignorées.

Remarquons cependant que nos poètes sont, plus que nos prosateurs, dégagés d'une entrave, qui dans le principe surtout a géné notre mouvement littéraire, entrave qui provient de l'habitude de lire et de parler une autre langue concurremment avec notre langue maternelle. Le vers est de sa nature rebelle à toute influence de ce genre; la muse rejette avec fierté tout ce qui n'est point dans le génie de la langue, et c'est chez les poètes surtout que se trouve l'idiome national dans toute sa pureté. Les traces que la langue anglaise a laissées chez un grand nombre de nos prosateurs ne se voient point chez nos poètes, et cette circonstance n'est certainement point étrangère au rôle que la poésie a joué dans notre littérature.

M. Garneau qui restera comme un de nos premiers prosateurs a été d'abord connu comme poète et il l'était depuis longtemps déjà lorsqu'il entreprit d'écrire son Histoire du Canada. La plupart de ses poésies se trouvent dans le Répertoire national ou Recueil de littérature nationale publié par M. Huston de 1845 à 1850.

Un coup d'œil rapide sur les deux premiers volumes de cet intéressant recueil donnera une idée des débuts de notre littérature et du mérite relatif des poésies de M. Garneau, car la critique pour être juste doit se reporter à l'époque où les œuvres qu'elle étudie ont été publiées.

Le travail de la formation d'une littérature vu à distance laisse aux productions de la pensée humaine les plus vigoureuses et les plus puissantes, quelque chose d'incertain dans la forme, de disparate, d'incohérent, d'inachevé. Et c'est le cas même lorsqu'il s'agit d'une littérature qui parle dans un pays nouveau une langue parvenue à son plein développement, à son apogée, dans la vieille contrée où elle s'est formée. Telle est l'impression qu'ont produite en Angleterre les premiers livres publiés aux Etats-Unis, et il a fallu tout le talent et toute l'originalité de Washington Irving et de Fenimore Cooper pour en triompher.

Dans les deux premiers volumes du Répertoire, qui contiennent toutes les poésies de M. Garneau, on peut suivre le progrès de la forme chez nos écrivains et particulièrement chez les poètes. Assez singulièrement c'est dans les pièces où l'on remarque le plus d'originalité et de vigueur, que se trouvent le plus de vers faibles à côté de vers bien frappés, le plus d'expressions triviales ou bizarres, de chutes prosaïques.

On pourrait diviser les poètes de la première moitié du Répertoire national en trois catégories : la première se composerait des classiques, comme Michel Bibaud, imitateurs plus ou moins heureux de la poésie du dix-septième siècle; la seconde, d'un groupe qui procède

de la littérature de la fin du dix-huitième siècle et de celle de l'empire, et dont M. Joseph Quesnel serait la figure principale; enfin la troisième comprendrait ceux qui ont plus ou moins subi l'influence de l'école européenne de 1830, et MM. Turcotte, Réal Angers, Barthe, Derome et Garneau en seraient les meilleurs types. Il faudrait rejeter dans une quatrième catégorie M. Joseph Lenoir et quelques autres plus décidément romantiques et qui furent comme les précurseurs de la petite pléïade qui brille aujourd'hui.

M. Bibaud et en général les poètes qui se peuvent ranger autour de lui, ont peu d'originalité; mais sauf quelques vers durs, quelques archaïsmes, et aussi quelques expressions canadiennes dont je ne serais pas disposé à trop blâmer l'emploi, on trouve là une prosodie assez correcte, des alexandrins qui marchent bravement sur leurs pieds et marquent bien la mesure.

Du reste, comme l'a dit M. Isidore Lebrun dans son ouvrage sur le Canada, M. Bibaud a entrevu le parti que l'on pouvait tirer d'un pays neuf, d'une nature encore vierge; il a senti que ce qui lui manquait, c'était ce que l'on n'appelait pas encore de son temps, la couleur locale.

C'est avec raison qu'il se fait dire par un interlocuteur imaginaire :

"Des bords du Saguenay peignez-nous la hauteur,

Et de son large lit l'énorme profondeur,

Ou du Montmorency l'admirable cascade,

Ou du cap Diamant l'étonnante esplanade."

Le second groupe, dont plusieurs poètes étaient nés en France, comme M. Mermet et M. Quesnel lui-même, ✶ a généralement traité des sujets légers, et semble une petite colonie d'agréables versificateurs qui continuent sur les rives du Saint-Laurent des vaudevilles, des ariettes, des madrigaux et des épigrammes commencés sur les bords de la Seine. C'est surtout de leurs disciples que j'ai dit ailleurs: "De petits écrits anonymes, qui sans doute intriguaient beaucoup le public d'alors et faisaient les délices du cercle des initiés, de petites pièces de vers, des bouquets à Chloé, signés de quelque pseudonyme doux et transparent, et jetés d'une main timide dans la boîte aux correspondances, faisaient tous les frais de notre littérature."†

Mais ce n'est pas seulement dans le Répertoire que se trouvent ces premières fleurs assez modestes de notre Hélicon, c'est dans les journaux, les magazines, les almanachs et surtout dans les albums des demoiselles, alors à la mode, dans des recoins de tiroirs avec des tresses de cheveux et mille autres souvenirs, qu'il faudrait les chercher. Mais hélas! où sont les neiges d'antan?

La muse patriotique ne date guère que de 1830; ses accents sont sincères et touchants, s'ils ne sont pas toujours entraînants; la tristesse, tout au moins la mélancolie forme la note dominante; les différentes phases de notre politique s'y trouvent indiquées, et à part le mérite incontestable d'un bon nombre de ces productions, toutes, même en apparence les plus insignifiantes, ont une double valeur; d'abord au point de vue de l'histoire politique, ensuite au point de vue de l'histoire littéraire.

Chose assez remarquable, plusieurs des hommes politiques eux-mêmes qui ont charmé

* M. Mermet a cependant traité quelque fois des sujets canadiens: sa pièce sur la victoire de Chateauguay a été souvent reproduite.

† L'Instruction publique au Canada. 1 vol. in-8. Québec, 1878.

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