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II.-Discours D'Inauguration.

Par FAUCHER DE SAINT-MAURICE.

(Lu le 25 Mai 1882.)

EXCELLENCE, (1)

MESSIEURS,

L'an dernier je revenais de Venise, où s'était tenue l'Exposition internationale de Géographie. J'étais en mer, lorsqu'un télégramme daté de Wyoming, Minnesota, le 6 octobre 1881, arriva à Québec, à mon adresse. Il disait :

"Veuillez descendre chez mois le quinze du présent mois. Je désire avoir votre avis sur un sujet que je considère être très important. Répondez-moi à Winnipeg."

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A quelques jours de là, j'étais à Rideau Hall, où Son Excellence le marquis de Lorne honorait de son hospitalité M. le principal Dawson, et MM. Lawson, Grant, Selwyn, Bourinot. Nous causâmes de la création de la Société Royale du Canada.

Le Marquis de Lorne la voulait peu nombreuse, difficile d'accès. Il désirait que l'élément canadien-français y fut largement représenté, et il tenait à ce que chaque séance annuelle eût lieu dans une ville différente du Canada. Comme cela, disait-il, les membres de la Société auront l'agrément de voyager, et ils acquerront une parfaite connaissance de

leur pays.

Le point de départ une fois établi, il fallait choisir ceux qui feraient partie de la Société. Ma tâche fut l'une des plus difficiles à leur honneur, mes compatriotes ont beaucoup travaillé, beaucoup écrit. Une réunion eut lieu à Montréal, à l'Université McGill, le 29 décembre, 1881. Quatre-vingt-huit noms français furent soumis à l'approbation de qui de droit. Une condition avait été imposée par le marquis de Lorne; chaque sociétaire devait avoir publié un livre. A quelque temps de là, le choix de Son Excellence s'arrétait sur les dix-neuf personnes distinguées qui font partie de la section française, et à qui j'ai l'honneur de souhaiter la bienvenue au nom des lettres canadiennes.

Son Excellence a tenu à ce que je fusse président de la première séance tenue par la section des lettres françaises. En vain lui ai-je dit que cet honneur appartenait à plus expérimenté, à plus méritant que moi, j'ai dû m'incliner devant un désir qui devenait un ordre. Voilà comment il se fait que je suis appelé, à mon grand étonnement et malgré mon peu de mérite, à présider à des juges, à des anciens ministres, à des lauréats de l'Académie française, à des officiers de l'Instruction Publique de France, à des docteurs-ès-lettres, à des officiers d'académie, à des savants, à des érudits, dont les noms appartiennent déjà à l'histoire littéraire de notre pays.

(1) Son Excellence le Marquis de Lorne, gouverneur-général du Canada, assistait à cette séance d'ouverture de la Section française de la Société Royale du Canada.

Quant à vous, messieurs, en énonçant ici quelques-uns de vos titres, je suis l'écho affaiblie de l'opinion publique, qui a ratifié par ses acclamations, le choix que Son Excellence a fait de vos personnes. Dans cette enceinte l'histoire, la poésie, la littérature, l'archéologie, sont représentés par des œuvres qui ont attiré sur vous l'attention et les éloges du dehors.

La politique, malgré les soucis qu'elle impose, n'a-t-elle pas laissé à notre ancien premier ministre, l'honorable M. Chauveau, le temps d'écrire un livre précieux sur notre instruction publique? Cette étude historique et statistique fait autorité sur nous en France; en Allemagne on la traduisait, pendant qu'ici, un peu partout, on relisait encore l'intéressant roman que l'auteur fit dans sa jeunesse, Charles Guérin.

Entre une cause prise en délibéré et un réquisitoire au jury, l'honorable juge Routhier a trouvé le temps de se recueillir et de nous donner ses impressions de touriste. Son voyage "En canot" au Saguenay, est intéressant; ses Causeries du Dimanche ont passionné plus d'une discussion. Son dernier livre A travers l'Europe est rempli d'observations fines, mordantes, au dire même de ceux qui ne partagent pas les idées de l'auteur. Tous admettent la pureté de style de l'écrivain.

L'Académie française n'a-t-elle pas couronné dernièrement un des vôtres, M. Louis Fréchette? Poète, te rappelles-tu de notre jeunesse, de ce temps.

Où nous révions gloire, amour et fortune......
Et, comme en rêvant l'homme s'étourdit,
Nous nous découpions des fiefs dans la lune,
Le soir, en allant souper à crédit.

Nous aurions voulu, tant nous sentions battre
D'ardeur et d'espoir nos cœurs de vingt ans,
Ivres de désirs, monter quatre à quatre,
Fous que nous étions! l'échelle du temps.

Eh bien, tu l'a montée quatre à quatre cette échelle du temps! La coupole de l'Institut a répété les applaudissements de la France qui acclamait en toi, pour la première fois depuis la cession, un fils de la Nouvelle France. Lauréat, vous en souvenez-vous?

Et vous, M. l'abbé Casgrain? Nos saintes, nos héroïnes par l'abnégation, par le travail, par la charité, ont su fasciner votre imagination délicate, sensitive. Votre nature de poète, d'ascète, s'est tourné vers la vie du cloître. Causeur charmant vous nous avez donné la Jongleuse, les Légendes canadiennes; vous nous avez fait aussi un tableau vrai et saisissant de la vie des religieuses de l'Hôtel-Dieu de Québec, et de celle de la mère Marie de l'Incarnation, première supérieure des Ursulines de la Nouvelle-France.

L'Acadie, ce pays tout parfumé par les varechs, baigné d'un côté par l'océan glauque, de l'autre par le plus beau golfe du monde; l'Acadie, ce pays de l'héroïsme, de la guerre chevaleresque; ce coin de la patrie française témoin de la lutte la plus désespérée et d'un fait terrible que l'histoire moderne n'a pas eu le temps d'expliquer; l'Acadie, cette terre de la fierté, des larmes, du souvenir, n'a-t-elle pas trouvé dans Jacques et Marie de Napoléon Bourassa, un peintre fidèle, passionné, convaincu ? Je dis peintre avec intention. Notre collègue, M. Bourassa, est non-seulement un écrivain de valeur, mais le ciseau, le pinceau n'ont guère de secrets pour lui. Allez voir dans son atelier son modèle de la statue de Maisonneuve, le fondateur de Montréal allez rêver devant ses belles fresques de Notre Dame de Lourdes de Ville-Marie.

Le côté pittoresque, le côté néologique de notre langue ont frappé l'un des nôtres dont le nom écossais cache une nature profondément française. D'ailleurs Ecossais et Français ne sont-ils pas noms de frères depuis le jour où Marie Stuart chantait

Adieu, plaisant pays de France?

Notre confrère, M. Oscar Dunn, auteur de Dix ans de journalisme, ancien rédacteur du Journal de Paris, a publié un curieux glossaire canadien-français. Ce travail lui a valu quelques critiques, mais M. Dunn s'en console en lisant une étude faite sur son livre par la plume athénienne de Francisque Sarcey.

Pendant que M. Dunn poursuivait ainsi ses recherches sur notre langue, M. Paul de Cazes faisait connaître notre pays. Au point de vue historique, statistique, chronologique, ses Notes sur le Canada sont complètes. Elles ont fort intéressé les savants qui s'en sont servilors du congrès international de géographie tenu à Venise, et elles ont valu à l'auteur les éloges du jury international de l'Exposition.

A côté de cet esprit pratique, de ce profil breton, j'entrevois la tête fine et sarcastique d'un vrai gaulois. Chroniqueur de la force d'Auguste Villemot, notre confrère M. Hector Fabre sait donner au journalisme et à ses amis ce qu'il refuse au Sénat dont il fait partie, cette verve que Champfort lui aurait enviée. Paris nous enlève M. Fabre trop souvent. Il finira peut-être par nous le garder.

Au moins qu'il n'en soit pas ainsi de M. Joseph Marmette. Quand on a écrit l'Intendant Bigot, le Chevalier de Mornac, François de Bienville, on ne saurait rester longtemps hors du pays. Le passé du Canada a trop d'attraits pour celui qui lui a consacré sa jeunesse ainsi que l'a fait M. Marmette. A Paris même où il doit passer quelques temps, je suis certain qu'il reviendra à ses notes, à ses études. Souvent sous le manteau il se Souvent sous le manteau il se plaira à raconter à nos frères d'outre-mer "les faits et prouesses des pays de Nouvelle-France." Une fois que l'on s'est retourné vers ce passé fascinateur on ne peut plus s'en détacher. M. Marmette le sait mieux que personne. Combien de fois, les soirs d'hiver, dans le vieux Québec, pendant que nous tisonnions notre feu, n'avons nous pas causer des ancêtres? On les voyait s'enfoncer sous les bois sombres. Ils couraient à la découverte des lacs, des mers intérieures, du Mississippi; ils s'emparaient de la baie d'Hudson en faisant une course à la raquette; érigeaient des forts, créaient des postes dans l'extrême ouest, fondaient la Nouvelle-Orléans, régnaient en maîtres depuis la Louisiane jusqu'à Terreneuve, restaient toujours grands, généreux, plus souvents vainqueurs que défaits, et mouraient en gentilshommes et en chrétiens.

Demandez à MM. LeMoine, Sulte et Tassé ce qu'ils pensent de ces époques? Les beaux livres qu'ils ont signés et qui leur donnent admission parmi vous, en sont l'éclatant témoignage.

Demandez aux abbés Bois et Verreau tout ce qu'il y a encore d'inconnu dans notre histoire. Ils vous diront qu'il y a un travail de géant à faire pour la compléter. A vous penseurs, à vous chercheurs, ils indiqueront les arcanes les plus cachés de nos archives. Ces savants ne cessent de vivre dans ce passé qu'ils étudient avec amour, qu'ils connaissent mieux que personne. MM. Bois, Verreau, Le Moine, Sulte, Tassé et toute une école qui marche sur leurs traces, n'ont-ils pas été formés par les recherches fructueuses et par les méthodes de Viger, de Faribault, de Garneau, de Plante, de Ferland, de Laverdière ?

Une autre de ces érudits que je suis heureux de voir ici, s'est imposé, seul, une tâche de bénédictin. Il a voulu que le peuple canadien français eût son Livre d'or. Le dictionaire généalogique de l'abbé Tanguay est unique en son genre. Déjà nous avons la première partie de ce travail. Quand il sera complet, nous pourrons nous vanter d'être le seul peuple au monde qui ait son histoire de famille. La Société Royale du Canada attend avec impatience la fin de cette entreprise patriotique.

M. Fréchette, M. Sulte, le doux chantre des Laurentiennes, ne sont pas les seuls poètes qu'il y ait parmi vous. Il me fait plaisir de saluer un Lauréat de l'Université Laval, M. Pamphile LeMay, l'élégant traducteur de l'Evangeline de Longfellow, l'auteur d'Une gerbe et de plusieurs romans populaires.

Je suis ravi aussi d'accueillir en votre nom un écrivain et un poète qui s'est fait une réputation par son style correct, élégant. M. Napoléon Legendre a publié pour l'enfance des petits livres qui se lisent en Europe, et M. Marmier, de l'Académie Française, le peignait dernièrement d'une façon charmante en me disant :

-C'est l'ami des enfants.

La Société Royale du Canada ne saurait oublier que les petits livres lus par les enfants font souvent les hommes.

Ainsi que pour l'honorable M. Chauveau, la politique a tourné l'honorable M. Marchand vers la littérature-à cette différence près: le parlement lui a donné le goût du théâtre. Au sortir d'un discours il se délasse en écrivant une comédie, et notre répertoire s'est augmenté ainsi de pièces et de vaudevilles fort bien tournés. Erreur n'est pas compte, Fatenville, les Faux Brillants sont là pour promettre à la Société Royale du Canada que M. Marchand ne s'arrêtera pas en chemin. D'ailleurs ses électeurs ont la conscience du rôle que peut jouer sa plume parmi nous. Pour ne pas trop prendre du temps qu'il consacre aux lettres, ils l'élisent par acclamation.

Que puis-je ajouter pour bien finir cette nomenclature? N'avons-nous pas parmi nous un de nos confrères que nous envie l'Europe? Je ne vous apprendrai rien en vous disant que cet homme est un linguiste, un théologien, un écrivain de haute valeur. Ces peu de mots vous font nommer l'abbé Bégin, auteur de l'Infaillibilité des Papes. Je regrette de froisser ainsi son humilité; vos marques d'approbation me disent que je ne fais que lui rendre et lui apprendre ce qui lui est dû.

Voilà, messieurs, les états de service de ceux que vient de choisir Son Excellence pour former partie des deux sections françaises de la Société Royale du Canada. Par un esprit de délicatesse qui honore notre fondateur, le marquis de Lorne s'est rendu à notre demande. Il a voulu que nous fussions vingt dans notre section; que ce nombre, sur quatre-vingt, fût immuable, et que l'élément français en eût le contrôle absolu.

A l'œuvre, messieurs, et puissent nos travaux créer de l'émulation parmi nos compatriotes!

Que si l'on jette un regard sur les groupes qui forment avec nous la Société Royale du Canada, on lit, entre autres, les noms de Goldwin Smith, de Todd, du docteur Wilson, de Sandford Fleming, de Sterry Hunt, de Bell, du principal Dawson, de Selwyn, du professeur Lawson, de Carpmael, du docteur Grant, du Colonel Denison, de Bourinot, de Lespérance.

Ces lettrés, ces savants sont reconnus comme étant des autorités. Ils sont pour la société de hautes garanties de succès. Plusieurs de nos compatriotes ont été choisis par Son Excellence pour faire partie de ces groupes. C'est ainsi que dans la section des sciences

mathématiques, physiques et chimiques nous trouvons M. le grand vicaire Hamel, recteur de l'université Laval, M. Baillargé, dont les travaux ont été couronnés en France, en Italie, en Russie, et le capitaine Deville, ancien officier distingué de la marine française et membre de la Société Royale de Géologie de Londres. D'autre part, M. l'abbé Laflamme, le commandant Fortin et M. Saint Cyr forment partie du groupe de la géologie et des sciences naturelles. De pareils érudits feraient honneur à n'importe quel pays, et le Canada peut être fier de leur choix. Nos travaux géologiques font l'admiration de l'étranger, et le rapport du comte Viola, notre représentant à l'Exposition internationale de Géographie, tenue à Venise en septembre dernier, dit, en les mentionnant :

"-Par ses cartes et dessins géognostiques, votre pays était au premier rang à l'Exposition. Il me fait plaisir de constater ici la supériorité de ces travaux, non seulement comme valeur intrinsèque, mais comme études comparées aux études exposées par les autres pays. Les travaux de la commission géologique du Canada nous ont fait connaître toute l'importance que vos savants attachent à la Géologie, à la Paléontologie et à la Minéralogie. Ces explorations ont été dirigées sur des territoires d'une immense étendue. Il fallait que ces travaux s'étendissent de l'est d'un océan à l'ouest d'un autre. Les reliefs que la commission géologique du Canada a fait de vos bassins miniers, peuvent, par les résultats obtenus, lutter avec les travaux plus complets en ce genre que vient de terminer le corps des ingé nieurs des mines de France et de Vienne. Nous devons à vos géologues canadiens la découverte de plusieurs terrains nouveaux, et surtout le complément de la série de ceux qui se trouvent entre les paléozoïques. Tous les savants présents à l'Exposition, s'accordent pour féliciter le Canada sur les progrès rapides et incontestables qu'il à fait faire à la Géologie. Ils reconnaissent l'énergie, le tact, la constance avec lesquels vos hommes publics ont encouragé cette science depuis ses commencements, et ils applaudissent à la mission intelligente et pratique que ne cesse de se donner votre jeune nation dans la connaissance de

son territoire."

A ces paroles flatteuses le jury international de l'Exposition a voulu ajouter quelque chose de plus tangible. Il a décerné à la Commission géologique du Canada, représentée dans la Société Royale par MM. Bailey, Bell, Selwyn et Whiteaves, la plus haute récompense qu'il pouvait donner, une lettre de haute distinction.

Nous sommes un jeune peuple, mais nous sommes un peuple de travailleurs. Voyez ce qui se passe autour de nous. Notre horizon s'élargit; notre pays grandit. De la Colombie anglaise à la Nouvelle Ecosse une voie ferrée qui comptera comme une des merveilles du XIXe siècle, va faire sur un territoire à nous le raccordement entre le Pacifique et l'Atlantique. Notre marine marchande occupe le troisième rang parmi celles du monde entier. Nos travaux de statistique, de géologie, nos études scientifiques, comme on vient de le voir, sont applaudis par les savants et les sociétés les plus compétentes. Notre commerce fixe l'attention du capital étranger. Nos livres sont appréciés par les bibliophiles et les lettrés. Notre histoire est tout simplement une des pages les plus héroïques de l'histoire de France et d'Angleterre. Que pouvons-nous envier de plus comme passé? Que pouvonsnous désirer de mieux comme avenir? Dieu est avec nous. Il nous sauvera comme il a sauvé nos ancêtres, mais il met deux conditions aux grandes destinées qu'il nous réserve: -Le Travail, L'Union.

Le travail, l'union: voilà les deux idées fondamentales qui ont présidé à la création de

Sec. I., 1882. 3.

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