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se peuvent compter, non pas par centaines, mais par milliers; que le contenu de la plupart nous est encore entièrement inconnu; que partant, il est impossible d'écrire une histoire complète, circonstanciée de la Confédération, sans avoir accès à ces sources de renseignements. A peine une des grandes capitales de l'Europe, une des villes maritimes de la France, notre ancienne mère-patrie, qui n'en possède quelque riche dépôt ou quelques fragments: Londres, Paris, St. Petersbourg, Rome, Copenhague, Amsterdam, Madrid, Bruxelles, Berlin, Rouen, Rochefort, Le Havre, Dieppe, Bordeaux, Marseilles, etc.; au reste sur ce point, si vous désirez vous renseigner spécialement, consultez l'excellent rapport que M. l'Abbé Verreau présentait à la Législature fédérale le 31 décembre 1874.

Je n'ai jamais été plus vivement impressionné de l'importance que les grandes nations de l'Europe attachent aux dépôts de leurs archives nationales, que lorsque je pénétrais tout récemment dans la vaste salle circulaire du British Museum à Londres. Après avoir contemplé les amas de parchemins, de records, de rôles, etc., enfouis sur les rayons des magnifiques bibliothèques de l'université de Cambridge, du War office, de la Tour de Londres, etc. Il m'eut fallu des mois entiers pour compulser les 2,647 volumes de la collection qui m'intéressait le plus, la collection Haldimand et les nombreux volumes MSS. du colonel Bouquet. Si notre métropole est si riche en matériaux pour son histoire et pour l'histoire de ses grandes colonies, il ne faut pas oublier qu'elle s'étudie à collectionner et à conserver ses archives publiques depuis huit cents ans. Une partie notable de ces mêmes archives, comme vous savez, a été perdue de 1135 à 1272, aussi bien que pendant les guerres sanglantes des deux Roses (1455 à 1461).

Edouard III, en 1473, dans une ordonnance faisait déclarer que "les archives publiques sont considérées comme le témoignage de la nation, et il est ordonné qu'elles soient accessibles à tous les sujets du roi.”

Sous le règne d'Elizabeth (1559-1603) une enquête fut instituée au sujet des archives du Parlement. "Jacques I (1617) eut l'idée de créer un bureau des papiers d'Etat et un bureau des archives générales. Charles I nomma une commission chargée de rechercher toutes les archives appartenant à la couronne." J'emprunte ces citations à M. Brymner. Au reste ces enquêtes furent continuées par la Reine Anne, par George I, George II, George III. Et si la Couronne crut devoir intervenir et affecter de fortes sommes pour sauvegarder, restaurer, recueillir et classer les archives du royaume, ce n'était pas sans besoin. Il n'y a pas qu'en Canada, où des documents précieux pour la science et l'histoire ont été perdus à jamais, relégués qu'ils étaient dans d'humides caveaux, tels que nos palais de justice en avaient encore tout récemment, tels qu'il en existe encore, je regrette de l'avouer; "ainsi, on découvrit que les archives de la chancellerie de l'Echiquier, à Londres, étaint entassées dans 600 sacs, excessivement sales, dans des hangards formant dépendances des écuries du Roi. Ces hangards contenaient, entassés, dans l'état le plus déplorable, 4,136 pieds cubes d'archives nationales; à part la poussière accumulée pendant plusieurs siècles, on trouva tous les documents excessivement humides, lorsque les opérations commencèrent. Quelques-uns étaient inséparablement collés aux murs de pierre. On pouvait voir de nombreux fragments qui avaient échappé aux complets ravages de la vermine, et plusieurs en étaient au dernier degré de putréfaction. La détérioration et l'humidité en avaient rendu un grand nombre si fragiles que l'on pouvait à peine les toucher; d'autres, particulière* Le British Museum contenait 47,693 volumes manuscrits, lors de la visite de M. D. Brymner. (Voir Rapport 1881, p. 40.)

ment ceux qui étaient en forme de rouleaux, étaient tellement collés ensemble, qu'il était impossible de les dérouler. On y trouva empâtés cinq ou six squelettes de rats, et des os de cette vermine étaient distribués dans toute la masse; c'était un véritable charnier, et lorsque l'on commença à remuer ces archives nationales, on employa un chien pour faire la chasse aux rats que l'on avait dérangés dans leurs retraites." Sous des formes non moins déplorables, la même incurie, les mêmes désastres ont frappé, ont détruit même en Canada, une majeure partie des matériaux les plus indispensables pour compiler nos annales.

Vous connaissez l'histoire du MSS. du Journal des Jésuites, arraché à la boîte au bois du gardien de l'ancien parlement à Québec, juste au moment où il allait servir de combustible une partie au moins, comme par miracle, a échappé au vandalisme.

Je me rappellerai toujours, quoiqu'avec regret, un petit incident dont je fus témoin dans mes tournées officielles, dans le comté de Portneuf. On m'avait invité à inspecter le site et les ruines de l'historique Fort Jacques-Cartier sur la rive escarpée de la rivière qui porte ce nom, à vingt-sept milles en haut de Québec.

J'étais en effet bien curieux d'aller étudier, sur les lieux même, le fier donjon où l'héroïque Lévis, après la terrible journée du 13 septembre 1759, était allé caserner sa poignée de braves, et où les troupes françaises sous le marquis d'Albergotti avaient tenu bon jusqu'au 1er septembre 1760; plusieurs familles françaises occupaient les environs du fort, et communiquaient chaque jour par lettre ou autrement avec la garnison. Il y avait, m'avait-on dit, chez une famille des environs, portant un vieux nom historique, des liasses de lettres se rattachant à cette désastreuse période. Après avoir scruté les fossés, les ravelins, les ouvrages en terre du fameux fort, j'allai cogner à la porte d'une opulente métairie qui était censée posséder les trésors que je viens d'indiquer. Je demandai ce que l'on avait fait de toutes ces lettres, etc. On me répondit que le temps avait été où le grenier regorgeait de lettres et paperasses écrites avec cette antique calligraphie française que vous connaissez tous, mais qu'il n'en restait plus; que la portion que la vieille ménagère de céans n'avait pas employée à allumer son feu, un marchand de guenilles de Québec, M. Reed, l'avait achetée à trois centins la livre pour le convertir en papier.

Voilà la triste histoire de mille et un documents historiques de valeur qui existaient naguère chez nous, et qui maintenant sont introuvables.

Messieurs, les temps ont changé; une ère nouvelle, une ère de réhabilitation a lui pour les lettres. Nos hommes d'Etat pris d'un beau zèle pour tout ce qui se rattache au progrès intellectuel ou moral, se sont donné la main, ont déclaré la guerre aux préjugés du passé; voilà, comment, il se fait que depuis dix ans, d'innombrables séries de lettres, de mémoires, de documents officiels, de papiers de famille même, oubliés dans les grands dépôts d'archives au-delà des mers, ont repris le chemin de la patrie et n'attendent dans les voûtes du bureau à Ottawa, que la main ou l'œil scrutateur de l'archéologue ou de l'historien, pour les mettre au grand jour. Avant bien longtemps, le reproche que l'on nous jette à la figure qu'il est impossible d'écrire une histoire complète du Canada, n'aura plus de raison d'être.

L'avenir nous prépare, osons le croire, de douces surprises; la collection de documents, classés et soigneusement gardés à Ottawa, se développera avec le concours des provinces en un vaste dépôt d'archives nationales, et préparera, pour nos historiens, le couronnement du majestueux édifice auquel servent d'appuis et de colonnes, les noms vénérés de Bibaud, de Garneau, de Ferland, de Faillon.

Louis Turcotte.

Par FAUCHER DE SAINT-MAURICE.

(Lu le 25 Mai, 1883.)

Dernièrement, je lisais les "Poésies d'un Voyageur." Ce livre est rare aujourd'hui. Il n'est pas signé mais la renommée l'attribue à celui dont nous regrettons tous l'absence ici, à celui que l'Académie française nous avait délégué: M. Xavier Marmier. Sous le titre, une vignette en taille douce représente des sapins se mirant mélancoliquement dans un lac. Au-dessous, ces mots:

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Et capricieuse, ma pensée quittant le livre de l'illustre voyageur, se prit à songer à nos morts oubliés, parmi lesquels se détacha la figure résignée de Louis Turcotte. Cette vie doit être racontée; et c'est l'histoire de ce travailleur que je viens vous dire. modeste, sans prétention, comme l'a été celui qui en est le sujet.

Elle sera Louis-Philippe Turcotte est né à Saint-Jean de l'Ile d'Orléans, le 11 juillet 1842. Les débuts de sa vie furent une pastorale. Dans l'air pur, sous le beau ciel où se passe son enfance, rien ne fait encore présager les mauvais jours, la souffrance, l'isolement. Dans une autobiographie inédite que de pieuses mains m'ont permis de feuilleter, Louis Turcotte nous décrit ces jours ensoleillés passés dans cette île charmante que Jacques-Cartier a baptisé du nom d'île de Bacchus, pays des légendes au coin du feu, des souvenirs, des ballades, des complaintes, pays où est né l'un de nos plus regretté et de nos meilleurs écrivains, Hubert LaRue, pays où le souvenir de la France se conserve toujours vivace et pur comme dans une autre Alsace-Lorraine. Fils d'un paysan qui, à ses heures était un rude marin, les premières années de Louis se passent à courir pieds nus sur le sable doré des grèves, à jouer, à pêcher sur les bords de la rivière Bellefine, à lire dans le grand livre de la nature. Dans ses mémoires, comme il sait nous faire respirer le parfum des gerbes, l'odeur des foins! comme nous frémissons avec lui en écoutant les plaintes du fleuve qui gémit sous les rafales du Nord-Est! Et l'hiver, donc! Allons, houp en traineau! N'y a-t-il pas près de la maison une côte escarpée d'où l'on prend d'interminables glissades? Demain, si le temps le permet, nous irons avec la famille faire du sucre dans cette érablière qui se "trouve là-bas, à douze arpents de la chaumière."

Et c'est ainsi qu'arrivent sept ans, et qu'il faut dire adieu à ces douces choses pour prendre le chemin de l'école. Ah! ce fut rude! mais l'enfance oublie vite, et l'institutrice, mademoiselle Hervieux, était si bonne !

L'année suivante, on monte en grade. On a pour professeur maître Magloire Langlois, instituteur, "muni d'un diplôme d'école modèle." Celui-là fut aussi un ami pour Louis Turcotte. Plus tard, il se plaît à dire que c'est à ce brave homme qu'il doit son goût pour l'histoire et les livres.

A l'école de Saint-Jean, on travaillait dur: on apprenait tant bien que mal. Quelquefois, l'été, le jeune Louis passait deux ou trois jours sans se présenter devant le maître.

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"Depuis l'âge de six ans, écrit-il dans ses mémoires, j'abandonnais l'école dès qu'arrivait le temps de la moisson. Je suivais alors mon père et ma mère aux champs. Faner, fauciller le grain, engerber, tels étaient mes travaux annuels. J'étais loin de les aimer, car je songeais toujours à mes livres cependant je m'en acquittais avec exactitude, dans le but de plaire et d'aider à mes parents." L'agriculture n'a jamais été mon faible, ajoute-t-il un peu plus loin; mais tout de même, mon père d'une taille robuste comme ses ancêtres, tourné comme eux aux travaux de la terre et de la mer, m'avait presque décidé à faire un effort en ce sens, et plus j'y songe, plus je m'aperçois aujourd'hui que j'ai failli aimer l'agriculture. Le désir de ma mère était aussi de me voir cultiver. Petite de taille sans être délicate, elle passait dans sa jeunesse pour une belle brune. Pour moi elle n'a toujours été qu'une sainte. A soixante-et-dix ans, elle était encore d'une activité extraordinaire. Tout était à sa place dans la maison, depuis le rouet jusqu'au rosaire, depuis la branche de sapin, béni le jour des Rameaux, jusqu'à la huche. Elle passait ses jours à travailler, à prier. De bonne heure elle sut nous habituer au labeur, et dans le but de nous encourager, elle nous faisait cultiver tous les ans, à notre profit, un petit morceau de terre. A l'automne, elle nous envoyait à Québec y vendre nos produits. Ah! plus j'y songe maintenant, plus j'ai failli aimer l'agriculture!"

Que dites-vous de ce tableau d'intérieur? Que pouvons-nous ajouter à ce portrait maternel? sinon que chacun d'entre nous, messieurs, retrouve sa mère dans la personne de cette sainte et douce travailleuse qui fut la mère de Louis Turcotte.

C'est sous cet égide charmant que s'écoule l'enfance de Louis. A cette époque elle fut traversée par une grande douleur. Sa petite sœur Agnès, "son ange charmant" comme il la nomme, est ravie par la mort.

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Je l'aimais, dit-il simplement dans ses mémoires; et ces deux mots suffisent." Ce départ fut terrible. Louis connut ce jour-là l'amertume des vraies larmes. Sa chair trembla sous l'aiguillon. Il venait de se trouver pour la première fois en face de la souffrance, de la souffrance qui allait être la compagne de sa vie.

Esprit rêveur, tourné vers l'étude, Louis faisait contraste avec la vivacité de ses frères. Par la mort de sa sœur, il était devenu le cadet de la famille. Autour de lui on grandissait : ses frères étaient déjà des cultivateurs, des négociants. Sa mère attristée par le départ des morts refaisait un nouvel avenir pour son Benjamin.

-Peut-être un jour, se disait-elle, sera-t-il l'oint du Seigneur?

Le père songeait à autre chose. Il espérait en faire un marin. Plusieurs fois déjà il l'avait mené faucher les foins sauvages qui poussent sur les battures de l'île aux Oies, de l'île aux Grues, de l'île Madame. La main sur la barre du gouvernail, l'œil au vent, le jeune Louis conduisait gaillardement la chaloupe sur les vagues moutonnantes, pendant que le père le suivant du regard et courant dans les années, voyait déjà son fils pilote ou capitaine au long cours.

Ce projet attristait la mère. Son aîné Jean-Baptiste avait étudié le pilotage. Ses cinq années d'apprentissage étaient données: il ne lui restait plus qu'un voyage à faire avant d'être reconnu pilote. Au milieu de septembre de l'année 1839, il s'était embarqué sur la goëlette le Saint-Laurent. Depuis on ne l'avait plus revu.

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