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raient ainsi classés implicitement parmi les corps moraux investis de la personnalité civile, pouvant fonder des institutions d'enseignement supérieur. C'est un simple mot en apparence; seulement ce mot est peut-être plus grave qu'il n'en a l'air. A quel titre le « diocèse » se trouvet-il là? L'évêché a la personnalité civile, certains établissemens ecclésiastiques ont le même caractère; ils peuvent acquérir, aliéner, ils ont en un mot tous ces droits qu'une fiction de la loi peut attacher à cet être collectif et anonyme qui s'appelle une personne civile. Le « diocèse » n'a été jusqu'ici qu'une circonscription, comme l'arrondissement administratif. De deux choses l'une ou bien ce que proposait M. Chesnelong était une surérogation, puisque l'évêque a incontestablement le droit de créer des établissemens d'instruction supérieure, ou bien c'était une manière de trancher à l'improviste et incidemment une question controversée. Elle n'est plus controversée, dit-on; le conseil d'état a reconnu récemment la personnalité civile du diocèse. Le conseil d'état a pu en juger ainsi dans ces derniers temps, il en a jugé différemment dans d'autres circonstances. Il y a donc un doute, un conflit d'interprétations, une difficulté de jurisprudence. Il y a cela pour le moins, et ce qui est grave, ce qui est malheureusement fréquent et redoutable, c'est cette facilité avec laquelle on se laisse aller, sous des préoccupations particulières, à introduire brusquement, par un mot, dans une loi spéciale, une disposition qui tranche une question au moins douteuse, qui peut être une dérogation de droit civil. L'assemblée a imprudemment voté ce que lui demandait M. Chesnelong. Ce n'est qu'après le vote qu'on a vu la gravité de cette résolution improvisée, et il y a eu comme un accord tacite pour ajourner une solution définitive jusqu'à la troisième lecture. La décision a été réservée, d'autant plus que M. le ministre de l'instruction publique aurait à sa disposition, paraît-il, un moyen assez expéditif de sortir d'embarras en supprimant les départemens et les communes, aussi bien que les diocèses, dans l'article contesté.

Une autre question bien autrement grave, qui touche au plus profond des choses, c'est celle qui s'agite encore aujourd'hui même, c'est la question de la collation des grades. Elle n'avait été qu'effleurée il y a quelques mois à la première lecture, elle avait été renvoyée à la commission, qui propose une transaction, et c'est sur ce terrain que s'est engagée une discussion des plus sérieuses, des plus animées, dont le dénoûment décidera de ce que doit être cette réforme si longtemps poursuivie. Au fond, de quoi s'agit-il? Il s'agit de savoir si dans ce mouvement d'instruction libre où vont s'agiter les destinées de la jeunesse, et on peut le dire de la société française, l'état se désintéressera absolument, s'il se laissera dépouiller du droit de vérifier, de constater les titres sous lesquels les avocats, les médecins, se présentent à la confiance publique, si ce droit sera exercé ou partagé par tout le monde. C'est là

ce qu'on demande, c'est là ce qu'on propose d'inscrire dans la loi nouvelle comme la sanction et le couronnement de l'indépendance de l'enseignement supérieur. Ceci, nous ne craignons pas de le dire, serait une nouveauté redoutable devant laquelle l'assemblée reculera vraisemblable. ment. Elle résistera à la séduisante éloquence de M. l'évêque d'Orléans, elle rendra à l'église elle-même le service de lui refuser les périlleuses responsabilités qu'on revendique pour elle, qui ne lui seraient pas plus profitables qu'à la société elle-même. Y a-t-on bien réfléchi? Ainsi, à l'heure où nous sommes, dans les conditions où nous vivons, l'état ne serait plus rien en matière d'enseignement supérieur, ou du moins il ne serait qu'un rival, un simple concurrent pour les institutions indépendantes. Les écoles libres feraient ce qu'elles voudraient, elles distribueraient des grades, elles fixeraient elles-mêmes l'étalon de l'instruction supérieure, elles n'auraient pas seulement la liberté des méthodes scientifiques ou littéraires, elles resteraient les juges de la mesure de capacité publique ! Qu'en résulterait-il? Ou bien la conséquence serait ce qu'elle a été partout où ce système a été expérimenté, le niveau des connaissances s'abaisserait par degrés, les études s'aviliraient, bien, si l'on veut, on arriverait à un résultat tout opposé et tout aussi périlleux d'une autre façon ce régime créerait des puissances enseignantes concentrées qui envahiraient tout, qui tiendraient l'état en échec et finiraient par mettre en présence deux sociétés animées d'esprits différens, ayant pour ainsi dire des âmes différentes. C'est un double péril que la prévoyance de tous les esprits réfléchis doit écarter en laissant à l'état un droit dont il ne doit pas se laisser dépouiller, qu'il ne peut pas même consentir à partager sans abdiquer.

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On en prend vraiment trop à l'aise avec cet être moral, souvent insaisissable, très réel cependant, qui s'appelle l'état, et qu'on s'efforce de dépouiller ou de doter de prérogatives démesurées, selon qu'on est dans l'opposition ou au pouvoir. Tantôt ce sont les républicains, les libéraux exclusifs qui, par défiance, par indiscipline, désarmeraient l'état de ses droits les plus essentiels, tantôt ce sont les conservateurs religieux ou politiques qui l'annuleraient par antipathie pour la société civile, pour les intérêts modernes, qu'il personnifie. Ni les uns ni les autres ne voient que, sous la république comme sous la monarchie, l'état existe avec le même caractère, avec les mêmes prérogatives, les mêmes droits inaliénables. C'est toujours la France, c'est ce qu'il y a de permanent et de supérieur. L'état représente les traditions nationales, les grands intérêts civils, et ce qu'on pourrait appeler la haute police de la société. C'est à ce titre qu'il ne peut se dessaisir du droit de vérifier les résultats de l'enseignement supérieur; tout ce qu'on peut lui demander, c'est de remplir son rôle avec une impartialité complète, sans imposer des entraves gênantes, sans humilier ou diminuer la liberté qu'il reconnaît, qu'il doit respecter. Ce droit même qu'il

exerce, qu'il doit exercer, lui impose un autre devoir, c'est d'élever sans cesse l'enseignement qu'il distribue en son nom; mais ici c'est l'affaire de M. le ministre de l'instruction publique, qui n'a pas paru jusqu'ici d'une manière des plus brillantes, dont l'intervention ne serait pas cependant de trop dans une discussion où tous les intérêts de l'état et de la société sont en jeu.

La France et l'assemblée nationale, la politique et les lettres viennent de perdre un homme qui a été jusqu'au bout l'honneur de son temps et de son pays. M. Charles de Rémusat a été enlevé au monde qu'il aimait et dont il était aimé par une courte maladie. Il est mort presque debout, n'ayant pas connu le déclin, sentant à peine le poids de l'âge, passant de ses occupations ou de ses distractions habituelles dans l'inconnu, dans cet inconnu que sa pensée pénétrante interrogea plus d'une fois. La veille encore, il allait à Versailles, remplissant fidèlement son devoir de député, il allait à l'Académie, où il discutait avec sa vivacité ingénieuse sur la langue, et il prenait même son plaisir à l'Opéra; il y a quelques jours tout au plus, il publiait un livre sur la philosophie anglaise un courant d'air a suffi pour avoir raison de cette verte vieillesse, et ce qu'on peut dire de mieux de cet homme si éminent et si séduisant, c'est que jamais la place qu'il occupait dans la société française n'a paru plus grande que le jour où il l'a laissée vide. Il est mort entouré de considération et de sympathies, ne laissant après lui que des regrets et pas une inimitié. C'est qu'en effet cette existence qui vient de s'éteindre a été une des plus droites, une des plus loyales dans un siècle de versatilités et de contradictions. Politique, philosophe ou écrivain, M. de Rémusat a été un de ces hommes privilégiés qui peuvent ne point atteindre aux rôles exceptionnels, qui ne les ambitionnent même pas, mais qui savent conduire une vie, fût-ce une longue vie de près de quatre-vingts ans, sans fatigue, sans défaillance, avec une dignité simple et invariable devant laquelle expirent les haines.

M. de Rémusat datait de l'autre siècle, de 1797. Né d'un père qui fut un des fonctionnaires supérieurs du premier empire, et d'une mère qui tenait à la famille de M. de Vergennes, qui était aussi distinguée par le mérite que par la naissance, formé dans l'atmosphère vivifiante de la restauration, doué d'un esprit à la fois mesuré et hardi qu'il devait à sa nature autant qu'à son éducation, il n'a cessé depuis sa jeunesse d'être mêlé à tous les mouvemens politiques et littéraires qui ont passionné la France. Il a été un des personnages de cette période heureuse qui a été suivie de tant de déceptions. M. de Rémusat commençait dès 1820 cette carrière publique, où il se rencontrait bientôt avec M. Guizot son aîné, puis avec M. Thiers et avec bien d'autres, où à travers les vicissitudes l'homme n'a fait que grandir en s'affermissant dans ce qui a été sa première inspiration politique. Polémiste sous la restauration, député après 1830, sous-secrétaire d'état dans un cabinet conservateur,

ministre en 1840, membre de l'opposition aux derniers temps du règne de Louis-Philippe, représentant dans les assemblées de 1848, victime du coup d'état de décembre 1851, et condamné à la retraite par le second empire, M. de Rémusat est au fond toujours le même. C'est un vrai libéral pour qui la monarchie constitutionnelle est certainement restée l'idéal, et qui, à défaut de cette monarchie, ne repousse point une république parlementaire, libérale, conservatrice, celle à laquelle il n'avait point hésité à se rallier.

La fortune lui avait réservé au lendemain des dernières catastrophes une suprême et douloureuse faveur en allant le chercher dans la retraite que l'empire lui avait faite pour lui offrir de travailler à la libération du territoire, à la réparation des malheurs que sa prévoyance avait plus d'une fois redoutés. Après avoir refusé toute candidature aux premières élections de l'assemblée nationale et l'ambassade de Vienne que lui offrait M. Thiers, il s'était prêté à être ministre des affaires étrangères dans l'épreuve commune. Il avait accepté cette mission délicate sans empressement d'ambition à coup sûr, par patriotisme, comme aussi pour rester fidèle à la vieille amitié d'un demi-siècle qui l'appelait, - et une fois là il avait dirigé nos relations avec autant de tact que d'expérience, en homme qui savait relever une situation difficile par la dignité personnelle. Il s'était laissé nommer ministre des affaires étrangères par dévoûment en 1871; au 24 mai 1873, il quittait le pouvoir sans amertume, satisfait d'avoir pu conduire jusqu'au bout avec M. Thiers la délivrance du pays. C'était l'honneur de son nom et comme le couronnement d'une carrière que les événemens ont pu interrompre quelquefois sans l'altérer.

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M. de Rémusat a eu d'ailleurs une ressource invariable contre tous les accidens de la vie publique. Chez lui, à côté du politique il y avait le penseur, l'écrivain revenant sans peine au travail, se remettant à l'étude des problèmes philosophiques ou des phénomènes de l'histoire, à la recherche du vrai sous toutes les formes. Il avait commencé par les lettres, il était toujours resté un lettré supérieur se retrouvant et survivant à travers tout. A la veille d'entrer au pouvoir, en 1840, il traçait ici-même son beau portrait de Washington; au bruit des coups d'état (1er-15 décembre 1851), entre l'incarcération et la proscription il publiait son essai sur Junius, et on pourrait presque dire que la plus brillante époque pour son talent a été cette période où l'empire, en condamnant l'homme public à un repos forcé, a été un stimulant de plus pour l'écrivain. M. de Rémusat nous appartenait, il a été notre exemple, nous mettons notre orgueil à le revendiquer, et cette Revue, dont il a été pendant trente ans le collaborateur fidèle, garde à toutes les pages la marque de cette infatigable activité. C'est pour la Revue et pendant les années de l'empire qu'il écrivait ces vives et fortes études sur Horace Walpole, sur Bolingbroke, sur Charles Fox, sur Burke, et tous ces bril

lans ou solides essais sur le mouvement religieux et philosophique en Angleterre, sur la politique, sur la littérature: œuvres d'une intelligence cultivée, pénétrante et curieuse, qui s'intéressait à tout!

Politique ou écrivain, du reste, M. de Rémusat ne faisait que se peindre lui-même, et ce qu'il y avait encore de meilleur en lui, c'était l'homme. L'homme était supérieur par l'indépendance, par une dreiture innée, par le caractère. Il savait allier la bonne grâce mondaine et les préoccupations les plus sérieuses de la pensée, l'intégrité des convictions et les ménagemens pour toutes les opinions, même quelquefois l'indulgence pour les faiblesses. Il était de ceux qui, sans admettre tout, essaient de tout comprendre sans affectation, par une sorte de passion de sincérité et de vérité. Nature essentiellement libre et ouverte, il se défendait des exclusions moroses, d'un pessimisme découragé; volontiers il aurait eu plutôt un certain optimisme aimable et rassurant qui tenait peut-être à une singulière fermeté d'âme voilée de politesse. Tolérant pour les autres, il savait bien, quant à lui, ce qu'il devait faire, où il devait s'arrêter, et c'est lui qui écrivait un jour dans l'intimité : « Personne, dans le plus profond de sa pensée, n'a plus que moi tout rattaché, tout subordonné à la même cause, n'a plus ramené à l'unité ses idées, ses intérêts et ses passions. Cela m'a nui souvent. » Non, cela ne lui a pas nui. Cette unité des idées, c'est au contraire ce qui a fait l'unité de sa vie, c'est ce qui a fini par lui assurer cette considération qu'il a conquise sans rien sacrifier pour l'avoir, et il est mort comme il a vécu, simplement, sans faste, se faisant lire quelques heures avant sa fin un livre latin pour échapper au sentiment de la souffrance physique, s'endormant dans la sérénité d'une vieillesse honorée.

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Et maintenant qu'on couvre cette tombe d'hommages intéressés en essayant d'enrôler M. de Rémusat sous le drapeau d'un parti, c'est possible. Ceux qui déploient un zèle si nouveau devraient se souvenir qu'il y a deux ans à peine ils ont attiré sur Paris l'humiliation, le ridicule de préférer un concurrent, dont il serait même déplacé de rappeler le nom, à ce galant homme qui venait d'aider à la délivrance du pays, qui n'a jamais servi que la France et la liberté. Non, M. de Rémusat n'était ni d'un parti, ni d'une secte, c'était un patriote et un libéral, c'est par là qu'il a mérité l'universel et affectueux respect qui l'accompagne jusque dans la mort.

ESSAIS ET NOTICES.

CH. DE MAZADE.

Du Relèvement de la France, par M. C. Sédillot, membre de l'Institut, Paris 1874. graphie figurée de la France, par M. le Dr Bertillon, Paris 1874.

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A en croire certaines théories venues de l'Allemagne, les peuples, comme les individus, ont une existence limitée; il y a des peuples

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