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remettrait le pied dans le monde, et il se tint parole; mais bientôt je le vis retomber dans l'ennui sombre dont il s'était quelque temps émancipé. Il ne pouvait même plus toucher sa pension tout entière, un créancier impitoyable avait mis arrêt sur le tiers. Vint alors le capitaine Rolf, ancien protégé de mon père, brave soldat qui malgré ses mérites n'aurait pu sans cette protection parvenir au rang d'officier. Dès avant ma naissance il avait été brosseur, même un peu domestique à tout faire chez mes parens. Sa sœur fut ma nourrice, et, ma mère étant morte peu après ma naissance, la bonne femme fit de son mieux pour que je ne sentisse pas cette perte cruelle; malheureusement elle n'avait ni l'éducation ni le caractère qu'il aurait fallu pour une pareille tâche. Avec les meilleures intentions, elle me gâta de son mieux, aidée par son frère, le sergent Rolf, qui aurait mieux aimé se montrer insubordonné devant son colonel que ne pas obéir à un des caprices de celle qu'il appelait déjà son « petit major. » Sa visite au château fut une diversion pour mon grand-père. Il était arrivé au rang de capitaine retraité; la distance des grades n'empêchait plus les relations suivies, il pouvait tout aussi bien manger sa pension ici qu'ailleurs. Il avait du reste hérité d'un petit bien dans le Nord-Brabant. Bref, il s'installa chez nous; je repris mon commandement sur lui; ses plaisanteries, bien que vulgaires, déridaient mon grand-père, et je calculais que la quote-part du capitaine dans les dépenses domestiques nous permettrait de procurer au vieillard certaines jouissances auxquelles il tient beaucoup. Rolf et lui sont tous les deux gourmands et friands. Vous ne sauriez croire ce que je souffre quand je les vois tous deux rivaliser d'entraînement pour les plaisirs de la table, et que j'assiste chaque jour à l'humiliation, à l'abaissement de mon pauvre grand-père...

Au même instant, Fritz apporta le plateau pour le thé, le général et le capitaine le suivirent. La conversation était pénible et Frances ne faisait rien pour m'aider à l'animer, quand tout à coup le capitaine remarqua le désordre de sa chevelure. Ah, ah! dit-il, la

lionne secoue sa crinière pour nous faire peur.

Frances prit la balle au bond et se retira dans sa chambre sous prétexte de ramener ses beaux cheveux dans leur prison. Le général trouva que ce brusque départ était une impolitesse, puis tout à coup proposa de jouer une partie. Cette proposition fut pour moi la bienvenue, quoique je n'aime pas les cartes. J'échappais en tout cas au supplice de faire causer des gens qui ne causent pas. On commença une partie d'hombre, et je trouvai que, pour un homme ruiné, le général mettait la fiche à un taux fort élevé.

Je ne tardai pas à m'apercevoir que j'avais affaire à des joueurs

pour qui le jeu était plus qu'une distraction. Le vieux baron surtout se montrait passionné. Ses yeux endormis jetaient des étincelles quand il relevait ses cartes, ses doigts tremblaient, ses narines se gonflaient ou se rétrécissaient selon les chances du jeu. Il devinait le mien avec une certitude mathématique. Il était hardi, téméraire même, dans sa manière de jouer, et cela lui réussissait presque toujours. Quant à moi, je commis fautes sur bévues; cela dérida mes compagnons, j'avais déjà perdu bon nombre de fiches quand la porte du salon s'ouvrit; Frances reparut, elle était en toilette.

Je jetai mes cartes sur la table et me précipitai à sa rencontre. Le général ne savait à quoi attribuer ce qui lui paraissait de la dernière inconvenance. Le capitaine s'écria: Le major en grande tenue! Je lui offris mon bras, qu'elle voulut bien accepter, pour la conduire au canapé.

Quel diantre de caprice vous a donc saisie, Frances? dit d'un ton courroucé son grand-père, qui avait en main des cartes superbes, vous courez toute la journée comme une cendrillon...

Mais la fée est venue, et je reparais en princesse, répliqua Frances. Et la jolie pantoufle de vair est à vos pieds, ajoutai-je en montrant du doigt les petits souliers de salon qui dépassaient le bord de sa robe. Peut-être; mais j'aurai soin de ne pas la perdre. Pourquoi pas? lui dis-je hardiment en la fixant. Parce que je ne veux pas faire du roman d'une heure une question de vie.

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-Tout ce que vous dites à Frances peut être du dernier galant, s'écria le terrible général; cependant il n'est pas poli, mon cher Léopold, de quitter ainsi une table de jeu.

Je dus retourner en pénitence, pendant que Frances allait dans la salle à manger, s'asseyait au piano et laissait errer ses doigts sur les touches comme sa fantaisie l'inspirait. Elle était bonne musicienne et devait avoir eu d'excellens maîtres. Son jeu fut d'abord fantasque et bizarre comme toute sa personne; peu à peu il devint doux et mélancolique à faire pleurer. Vous comprenez que je prêtais bien plus d'attention au piano de ma belle cousine qu'aux cartes que je ramassais et abattais machinalement. Le général en était furieux et me le laissait bien voir. Naturellement je perdis jusqu'à ma dernière fiche. Je voulais payer ma dette, lorsque Frances entra précipitamment et déclara d'un ton décidé, si décidé même qu'il me déplut, que je ne paierais pas. Je lui répondis sur le même ton, et de manière à couper court à toute nouvelle instance, que je paierais. Ne voulait-elle pas arracher à Rolf le billet de banque que je lui avais remis pour qu'il fit le compte! Je dus lui signifier que je trouvais son intervention fort peu convenable. Elle retourna fâchée

et piquée au piano, tandis que le général, qui s'était tu pendant cette petite scène, savourait visiblement le plaisir de palper son gain. Dans d'autres circonstances, pauvre comme je l'étais encore huit jours, j'aurais eu le droit de considérer comme un guetla partie qu'il avait proposée à son neveu inexpérimenté dans les mystères de l'hombre.

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y a

apens

En ce moment, je ne croyais pas avoir payé trop cher l'avantage de lire à livre ouvert dans le caractère et les défauts d'un homme dont le passé avait dû avoir une influence fatale sur le présent de Frances. J'allai la rejoindre près du piano. — Voulez-vous jouer? me dit-elle brusquement. Je ne m'y sens pas disposé. A votre aise. Et se retournant vers l'instrument, tandis que je faisais semblant de parcourir un vieux journal, elle se mit à frapper les touches comme si elle eût voulu les briser. A la fin, elle joua un prélude et se mit à entonner l'air de Ketly dans le Chalet. Elle possède une voix d'alto forte et vibrante, et il y avait quelque chose d'ironique, une sorte de défi à mon adresse dans la manière dont elle lançait le fameux refrain: Liberté chérie, règne toujours là. Savez-vous, lui dis-je à l'oreille, comment finit ce charmant petit opéra? Assurément; cela finit toujours ainsi au théâtre; mais dans la vie réelle c'est tout le contraire, et moi je tiens à la réalité.

La soirée se termina bientôt, et à la façon dont Frances me tendit le bout de ses doigts quand nous nous séparâmes pour gagner nos chambres, je vis bien qu'elle continuait à me bouder.

L'étrange et incompréhensible caractère! Fière, généreuse, le cœur noble, de l'esprit, de la beauté, un charme que je ne ressens déjà que trop, et tout cela gâté par une éducation détestable, par des manières de cantinière et une rudesse de mauvais genre, sans compter que je ne sais rien encore de son passé, de ce terrible passé qu'on m'a dépeint sous de si noires couleurs! Et quand même je verrais qu'elle a été calomniée sur tous les points, pourrais-je envisager sans crainte la vie en tête-à-tête avec un caractère aussi emporté, aussi dominateur? pourrais-je supporter longtemps ses bizarreries? Que dis-je? le major Frans, avec son antipathie contre les hommes et le mariage, consentira-t-il jamais à devenir. Mine Frances de Zonshoven? - Voilà toutes les questions que je roulais dans ma tête en m'allongeant dans le vaste lit aux rideaux rouges, où, je dois l'avouer, je dormis délicieusement d'un seul trait jusqu'au matin.

(La seconde partie au prochain no.)

SOUVENIRS

D'UN VOYAGE SCOLAIRE

EN ALLEMAGNE

II.

LA REALSCHULE ET LES ÉCOLES TURGOT.

L'un des objets d'étude les plus intéressans que présente l'organisation de l'instruction publique en Allemagne sont ces établissemens, connus sous le nom de realschulen, qui offrent à la jeunesse un enseignement moins littéraire et plus pratique que celui des gymnases. Je m'étais promis, durant mon voyage en 1873, de les examiner avec une attention particulière. Précisément dans le temps où je me rendais à Berlin, le conseil supérieur de l'instruction pu blique était occupé chez nous à faire disparaître la trace des réformes de M. Jules Simon. Des innovations accueillies avec empressement par une portion du public étaient suivies d'un prompt retour à l'ancien état de choses. Ces brusques reviremens (car une tentative du même genre s'était déjà produite sans plus de succès à une autre époque), ces tiraillemens périodiques, montrent que notre système scolaire ne laisse pas assez de choix aux besoins de la société et aux exigences des familles. Partout où l'on constate de ces soubresauts, on peut être sûr que les voies ne sont pas samment ouvertes à la jeunesse. A des intervalles plus ou moins

suffi

rapprochés, les diverses sortes d'éducation se disputent les colléges de l'état comme les différentes opinions politiques se disputent le pouvoir. Il y a deux ans, ces questions se mêlaient de controverses personnelles irritantes; aujourd'hui, grâce à la diversion amenée par d'autres débats, une sorte de trêve est intervenue sur ce point. Le moment est donc favorable pour étudier une question aussi importante, et il ne sera pas inutile de consulter l'expérience d'une nation voisine, qui, moins de dessein prémédité que grâce aux circonstances, a su donner une solution au problème qui nous occupe. En Allemagne comme chez nous, l'enseignement classique s'est vu en butte à des attaques: le gymnase (on sait que c'est le nom donné aux établissemens qui correspondent à nos colléges) a eu sa période de contestations et de luttes; mais depuis vingt ans, outre une prospérité qui n'avait jamais été atteinte jusque-là, il a retrouvé la sécurité : il doit ce repos à la realschule.

I.

L'histoire de la realschule contient plus d'une sorte de leçon. Ce n'est pas du premier coup ni sans tâtonnemens que l'Allemagne est arrivée à placer à côté du gymnase un établissement parfaitement distinct et non moins complet, ayant un enseignement à part et poursuivant un but qui lui est propre. On fait d'habitude remonter jusqu'au XVII siècle les premiers essais de l'Allemagne en ce genre. Sous l'influence des écrits de Bacon, Amos Comenius (1592-1681), le dernier évêque des frères moraves (1), publia le plan d'un nouvel enseignement qui obtint une grande célébrité. Il s'agissait de substituer aux livres l'étude directe de la nature. « Ne demeuronsnous pas aussi bien que les anciens dans le jardin de la nature? Pourquoi ne pas ouvrir ce livre vivant?.. Ce ne sont pas les ombres des choses, ce sont les choses elles-mêmes qu'il faut présenter à la jeunesse. L'enseignement doit commencer par la vue des objets, et non par leur description en paroles. Si quelquefois les objets manquent, il faut au moins en présenter les images. » Il réalisa cette idée dans son Orbis pictus, ouvrage longtemps populaire, et qui encore aujourd'hui, sous une forme renouvelée, sert à l'éducation de la jeunesse. Les sciences physiques et naturelles devaient tenir dans l'instruction la première place. A côté du latin, la langue maternelle obtenait une plus grande part d'attention qu'on ne lui en avait accordé jusque-là. Toutes ces idées frappèrent vivement l'at

(1) Son véritable nom était Komensky, du nom de Komna en Moravie, sa ville natale.

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