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compensés. Y avait-il quelque part, à Stuttgart ou à Francfort, quelque feuille importante et très lue dont on redoutait l'influence, on lui suscitait une concurrence inquiétante par la création d'une autre feuille, qu'on lançait et qu'on accréditait au prix des plus grands sacrifices. Y avait-il ailleurs un journal gêné dans ses affaires, soucieux de son avenir, on attendait «<le moment psychologique » pour lui faire accepter des subsides qui le remettaient à flot et l'obligeaient tout au moins à des égards. A d'autres journaux, on demandait seulement, à titre de complaisance, d'ouvrir leurs colonnes aux envois qui leur seraient faits; libre à eux d'exercer comme ils l'entendaient leur droit d'appréciation et de réponse. << Tout ce que je désire, a dit un jour M. de Bismarck, c'est que les feuilles politiques me réservent assez de papier blanc pour les communications que je leur fais envoyer de Berlin; elles peuvent remplir le reste de leurs colonnes comme il leur plaira. »>

Les résultats qu'obtient en peu de temps un bureau de la presse bien administré et bien dirigé dépassent ce qu'on peut croire. « Nous avons vu dernièrement, disait en 1872 dans la chambre des députés de Prusse M. Eugène Richter, un journal acheté par un employé du bureau de la presse pour quelque cent mille thalers. D'où cet homme tenait-il cet argent? Dans telle ville de province, dans telle autre ville située hors de Prusse, nous voyons tout à coup paraître une nouvelle feuille. Personne ne sait qui l'a fondée, d'où elle tire ses ressources, d'où viennent ses rédacteurs. On sait seulement que le président de la police, le président du gouvernement, et, si la chose se passe à l'étranger, la légation prussienne s'intéressent à cette nouvelle entreprise. On voit aussi de soudaines métamorphoses s'opérer dans les feuilles existantes. Le grand public ne soupçonne pas dans quelle mesure colossale la presse officieuse s'est accrue pendant ces dernières années. » Le 3 décembre 1873, M. Windthorst affirmait devant la même assemblée que, du train dont allaient les choses, avant peu l'industrie de la presse deviendrait un monopole dans les mains du gouvernement. « J'affirme, ajoutait-il, que non-seulement en Prusse un nombre considérable de journaux sont rédigés directement par le gouvernement, mais que dans beaucoup d'endroits de l'Allemagne il existe d'autres journaux qui sont écrits ici, à Berlin, pour le compte du ministère. J'affirme de plus qu'avec un nombre beaucoup plus considérable d'autres feuilles en Prusse et hors de Prusse un accord a été conclu moyennant lequel certaines colonnes de ces feuilles doivent toujours être ouvertes aux communications du bureau de la presse. Quiconque lit avec quelque attention la Gazette d'Augsbourg, la Gazette de Cologne, reconnaîtra sans peine que certains chiffres ou certains signes y représentent la signature de gens attachés à ce bureau. L'action secrète du fonds des reptiles se fait sentir jusque dans les pays étrangers. » Comme l'ancien ministre de Hanovre, M. Wuttke se fait fort de prouver que les

premiers journaux de l'Allemagne comptent parmi leurs collaborateurs habituels un ou plusieurs écrivains appartenant au bureau de la presse, et il cite le mot d'un publiciste bien informé qui lui écrivait récemment : « Je ne connais guère de journaux allemands dans la rédaction desquels ne siége pas quelque amateur des bains de boue. » A quoi les reconnaît-on, ces baigneurs? Non-seulement à leurs opinions, à leurs tendances, à leur zèle infatigable pour la cause sainte, mais encore à leur style libre et dégagé, à je ne sais quelle désinvolture cavalière, à ce ton de supériorité morgueuse qu'affecte l'initié de Berlin, lorsqu'il daigne expliquer les grands mystères aux Allemands qui n'ont pas eu le bonheur de naître Prussiens et qui ne seront jamais que des Prussiens de seconde classe.

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Quand Harvey eut découvert les lois de la circulation du sang, on se rendit compte d'un grand nombre de faits tenus jusqu'alors pour inexplicables. Il est d'autres phénomènes bizarres qui s'expliquent fort bien quand on connaît les méthodes employées par les bureaux de la presse pour faire circuler les opinions. Qui de nous ne s'est émerveillé plus d'une fois de l'inconcevable rapidité avec laquelle se propagent dans la presse d'outre-Rhin certains courans de pensées, certains bruits, certains mots d'ordre, certaines imputations peu fondées? Il y a quelques semaines par exemple, nous avons eu une alerte. Les étrangers en séjour à Paris savent combien la France est aujourd'hui peu guerroyante; ils savent que tout entière à ses propres affaires, qui lui donnent quelque souci, plus désireuse que jamais de se refaire de ses désastres, elle demande au ciel et à son gouvernement de lui assurer pour de longues années les bienfaits de la paix. Et pourtant un journaliste allemand s'avisa naguère de crier à l'Europe du haut de sa tête qu'on nourrissait à Paris les plus ténébreux desseins la France, disait-il, achète des chevaux, et cet indice, joint à d'autres, prouve jusqu'à l'évidence qu'avant trois mois elle se jettera sur l'Allemagne comme le vautour sur sa proie. Ce que disait ce journaliste, à cinquante lieues de là un de ses confrères ou de ses compères le répétait. Le même jour, à la même heure, la sinistre nouvelle circulait à Francfort, à Leipzig, à Stuttgart, et le lendemain cent journaux, invoquant le témoignage les uns des autres, s'écriaient en chœur : Avant trois mois, la France nous déclarera la guerre ! Et ils ajoutaient: - Il faut bien que cela soit, puisque tout le monde l'affirme. A quoi la France aurait pu répondre par le mot d'Almaviva : Il y a de l'écho ici! Mais devant un tel concert d'accusations son innocence a failli se troubler, peu s'en est fallu qu'elle ne se crût coupable, qu'elle ne rougît des mauvaises pensées qu'elle n'avait pas eues, et qu'elle n'avouât, en se frappant la poitrine, que l'Allemagne avait raison de ne plus vouloir lui vendre de chevaux. « On échauffe les oreilles du bon Michel, disait un journal TOME IX. 1875.

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viennois, jusqu'à ce qu'il crie vengeance pour le soufflet qu'il vient d'administrer à son voisin. » Michel n'est pas sot, il sait lire; avant de se fâcher, il devrait méditer cette parole de M. Wuttke: « L'outre d'Éole est dans le nord, les vents qu'on en laisse sortir soufflent avec fureur d'un bout à l'autre de l'Allemagne. Pareils aux flocons d'un tourbillon de neige, les articles de fond tombent à terre jusqu'à ce qu'ils aient formé un tapis blanc. » De toutes les figures de rhétorique, la répétition est la plus puissante, et on peut calculer, avec la précision d'un algébriste, combien il faut d'articles de fond disant tous la même chose dans cinquante endroits différens pour fabriquer une opinion publique.

Nous ne voudrions pas qu'on se méprît sur notre pensée. Les conclusions de M. Wuttke ne sont pas tout à fait les nôtres, et avec quelque intérêt que nous ayons lu son livre, il nous permettra de faire nos réserves. Nous lui accorderons sans difficulté que le bureau central et le Reptilienfond exercent une influence notable sur la presse allemande, et partant sur la foule des badauds qui ne lisent qu'avec les yeux et sont incapables de distinguer un écrivain consciencieux d'un reptile. Gardons-nous cependant de trop attribuer aux petits moyens, aux petites et aux grandes corruptions dont usent les habiles pour se soumettre les esprits; gardons-nous surtout de nous imaginer que tout soit factice dans les entraînemens auxquels nos voisins sont sujets, dans leurs enthousiasmes, dans leurs colères. L'extrême facilité avec laquelle ils croient tout ce qu'on est intéressé à leur faire croire résulte moins des ingénieux artifices qu'on emploie pour les persuader que des dispositions d'esprit que leur ont inspirées les événemens. Ce qui n'est point artificiel, c'est la popularité immense dont jouit parmi eux celui qui fut jadis le plus impopulaire des hommes. M. de Bismarck a fait son chemin dans le monde par le mépris de l'opinion. En 1866, quand il contraignit la Prusse à déclarer la guerre à l'Autriche, il avait contre lui le parlement, les partis, la cour, la presse, les villes et les campagnes, les inquiétudes de l'armée et les scrupules de son souverain. Il n'est pas d'exemple dans l'histoire qu'un homme ait tant osé, tant pris sur lui, jeté d'une main si audacieuse le gant à la destinée. La destinée a justifié son audace, aussi bien que sa clairvoyance et la sûreté de ses calculs, et l'opinion qu'il avait bravée est devenue sa très humble servante. Comment ne serait-il pas populaire? Avant lui, l'Allemagne possédait sans doute la paix, la prospérité, les douceurs d'un ménage bien tenu, la gloire scientifique et littéraire; une chose lui manquait, la fierté politique. L'homme qui a procuré à un peuple le plaisir de s'admirer et la joie de faire peur peut le conduire où il lui plaît.

La popularité de M. de Bismarck s'accroît de jour en jour. En 1870, on ne voyait encore en lui qu'un Prussien; par la campagne qu'il a en

treprise contre Rome, il s'est fait l'homme de l'Allemagne. Depuis qu'il est le champion « des droits de l'esprit, de la liberté de l'intelligence, >> contre les envahissemens de la hiérarchie romaine, il a rallié à sa personne et à ses projets les trois quarts des Allemands du midi, les universités, et tous ces instituteurs primaires, tous ces maîtres d'école qu'il conviait dernièrement à soutenir avec lui le grand combat contre les ennemis de la civilisation, den Kulturkampf. Il connaît mieux que personne le tempérament de sa nation et ses cordes sensibles. La prose des plus habiles journalistes produit moins d'effet sur les âmes allemandes que les emportemens involontaires ou calculés de son éloquence nerveuse et saccadée, que certaines paroles prononcées par lui dans le Reichstag ou dans la chambre des députés de Prusse, et qui, traversant l'Allemagne comme un éclair, vont remuer profondément des cœurs souabes ou francfurtois qui s'étaient promis de lui demeurer à jamais fermés. Dix articles rédigés par les plumes les mieux taillées du bureau de la presse font moins pour sa popularité que l'altière ironie avec laquelle il s'écriait dernièrement : « Messieurs, nous sommes en présence d'un Italien élu par les prélats italiens, poursuivant des intérêts étrangers aux nôtres et qui n'ont rien de commun avec l'empire allemand; de même que, selon la parole du poète, la goutte d'eau d'une urne ne pèse rien et disparaît dans l'océan des mondes, de même ce qui se passe sur cette pauvre motte sablonneuse de terre qui s'appelle la Prusse ne pèse rien en regard des intérêts sacrés de la cour de Rome. » Après avoir représenté la politique de la résistance, cet homme extraordinaire, qui avait en lui de l'étoffe pour plus d'un rôle, est devenu le tribun de l'Allemagne, et il allume dans les esprits des passions avec lesquelles nous ferons bien de compter. Assurément il nous est permis de blâmer les solutions radicales qu'il propose et d'en patronner d'autres; mais qu'on ne puisse pas nous soupçonner de conspirer secrètement avec ses ennemis, de vouloir défendre contre lui l'Encyclique et le Syllabus, l'enthousiasme qu'il excite deviendrait du fanatisme. Paul-Louis Courier écrivait en 1823 : « Serons-nous capucins? ne le serons-nous pas? Voilà aujourd'hui la question. » Non, cette question n'en est pas une, nous ne serons pas capucins. Il y va de notre honneur autant que de notre sûreté.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

30 avril 1875.

Les étrangers qui accusent volontiers les Français d'ignorance et de légèreté commettent souvent eux-mêmes de singulières méprises dans leurs jugemens sur notre pays. Évidemment ils en sont restés à des impressions d'un autre temps. Ils ont l'air de croire à une France agitée, inquiète, livrée tout entière aux passions de partis ou dévorée d'impatiences vengeresses, toujours prête à se jeter dans la révolution ou dans la guerre. Ils ne peuvent se figurer une France tranquille, assez indifférente à toutes les excitations dont on l'assourdit, modeste et recueillie dans sa vie de labeur, résolûment attachée à ses affaires, la vraie France en un mot, telle qu'elle existe aujourd'hui, telle que les événemens l'ont faite.

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Cette France nouvelle, beaucoup d'étrangers ne la connaissent pas, ils la voient de loin, ils continuent à la juger sur la foi des faux bruits, des témoignages intéressés ou des correspondances de fantaisie, en lui attribuant toute sorte d'intentions et de préméditations. Si ceux qui parlent légèrement de notre pays l'étudiaient un peu plus en toute sincérité et sans parti-pris, ils s'apercevraient bien vite qu'une métamorphose profonde s'accomplit depuis quelques années, que jamais la France n'a été moins disposée à courir les aventures, pas plus les aventures de révolution que les aventures de guerre, qu'il n'y a en définitive qu'une nation éprouvée cherchant uniquement la sécurité intérieure et la paix extérieure. Oui, avec un peu d'équité et de clairvoyance, les étrangers qui n'ont point de rôle dans les hautes comédies diplomatiques démêleraient la vraie nature du travail qui se poursuit en France, et ils comprendraient que dans cette reconstitution intérieure que tout rend laborieuse, dans cette réorganisation de nos forces qu'on se plaît parfois à dénaturer, il n'y a rien qui ne soit une garantie pour les intérêts de l'Europe, pour la paix du monde. On peut vraiment être fort tranquille; les v siteurs, princes ou simples touristes, peuvent venir à Paris, ils ne rencontreront pas sur leur chemin ces masses de cavalerie que les lynx

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