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l'incertitude de notre origine qui enferme celle de notre nature; à quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le monde dure.

Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il 238 faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au dogmatisme ou au pyrrhonisme; car' qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence. Cette neutralité est l'essence de la cabale : qui n'est pas contre eux est excellemment pour eux. Ils ne sont pas pour eux-mêmes : ils sont neutres, indifférents, suspendus à tout, sans s'excepter.

Que fera donc l'homme en cet état? Doutera-t-il de 146 tout? doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle? Doutera-t-il s'il doute? doutera-t-il s'il est? On n'en peut venir là; et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point.

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Dira-t-il donc, au contraire, qu'il possède certainement la vérité, lui qui si peu qu'on le pousse ne peut en montrer aucun titre, et est forcé de lâcher prise?

Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige! Juge de toutes choses. imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers. Qui démêlera cet embrouillement? La nature con

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'Pascal avait mis d'abord : « Car la neutralité, qui est le parti des sages, est le plus ancien dogme de la cabale pyrrhonienne. »

'Le mot cloaque est effacé dans la copie de Saint-Germain-desPrés et remplacé de la main d'Arnauld par le mot amas qui a passé dans les éditions.

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fond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatiques'. Que deviendrez-vous donc, ô homme, qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune.

Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisezvous, nature imbécile; apprenez que l'homme passe 'infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoutez Dieu 2,

Car enfin, si l'homme n'avait jamais été corrompu, 264 il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes et plus que s'il n'y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et ne pouvons y arriver; nous sentons une image de la vérité, et ne possédons que le mensonge incapables d'ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de

'D'abord : « On ne peut être pyrrhonien sans étouffer la nature; on ne peut être dogmatiste sans renoncer à la raison, »

2 A la place de ces deux paragraphes, Pascal avait écrit d'abord ce passage qui est barré dans le MS.

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Qui démêlera cet embrouillement ? Certainement cela passe dogmatisme et pyrrhonisme et toute la philosophie humaine. L'homme passe l'homme. Qu'on accorde donc aux pyrrhoniens ce qu'ils ont tant crié que la vérité n'est pas de notre portée et de notre gibier ; qu'elle ne demeure pas en terre; qu'elle est domestique du ciel ; qu'elle loge dans le sein de Dieu et que l'on ne la peut connaître qu'à mesure qu'il lui plaît de la révéler. Apprenons donc de la vérité incréée et incarnée notre véritable nature. »

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perfection dont nous sommes malheureusement déchus! Chose étonnante cependant que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nousmême! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui étant si éloignés de cette source semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très-injuste car qu'il y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être? Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant sans ce mystère le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n'est inconcevable à l'homme '.

'A la suite de ce paragraphe, Pascal avait écrit la page suivante qu'il a ensuite barrée.

« D'où il paraît que Dieu voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible à nous-mêmes, en a caché le nœud si haut ou pour mieux dire si bas que nous étions bien incapables d'y arriver; de sorte que ce n'est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison que nous pouvons véri– tablement nous connaître.

« Ces fondements solidement établis sur l'autorité inviolable de la religion, nous font connaître qu'il y a deux vérités de foi également

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XXVI. Le péché originel est folie devant les hommes; mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes sapientius est hominibus 1. Car, sans cela, que dira-t-on qu'est l'homme? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en fût-il aperçu par sa raison, puisque c'est une chose au-dessus de sa raison; et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en éloigne quand on le lui présentę 2?

XXVII. * Dira-t-on que pour avoir dit que la justice 834 est partie de la terre, les hommes aient connu le péché originel? Nemo antè obitum beatus est ; c'est-à-dire qu'ils aient connu qu'à la mort la béatitude éternelle et essentielle commence.

constantes: l'une que l'homme dans l'état de la création ou dans celui de la grâce est élevé au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu et participant de sa divinité; l'autre qu'en l'état de la corruption et du péché, il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. L'Écriture nous les déclare manifestement lorsqu'elle dit en quelques lieux: Deliciæ meæ esse cum filiis hominum. Effundam spiritum meum super omnem carnem. Dii estis, etc. Et qu'elle dit en d'autres: Omnis caro fænum. Ilomo assimilatus est jumentis insipentibus et similis factus est illis. Dixi in corde meo de filiis hominum....(a) Eccles. 5.

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Par où il paraît clairement que l'homme par la grâce est rendu comme semblable à Dieu et participant de sa divinité, et que, sans la grâce, il est comme semblable aux bêtes brutes. >>

'Quod stultum est Dei sapientius est hominibus. I. Cor. 1. 25.
2 Dans la copie seulement.

(a) Dixi in corde meo de filiis hominum, ut probaret cos Deus et ostenderet similes esse bestiis. Eccles. III. 48.

XXVIII.

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Contre le pyrrhonisme '.

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67 Nous supposons que tous les conçoivent de même 197 sorte mais nous le supposons bien gratuitement; car nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien qu'on applique ces mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient un corps changer de place, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par le même mot, en disant l'un et l'autre qu'il s'est mu; et de cette conformité d'application on tire une puissante conjecture d'une conformité d'idée mais cela n'est pas absolument convaincant de la dernière conviction, quoiqu'il y ait bien à parier pour l'affirmative, puisqu'on sait qu'on tire souvent les mêmes conséquences des suppositions différentes.

* Cela suffit pour embrouiller au moins la matière ; non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses, les académiciens auraient gagné, mais cela la ternit et trouble les dogmatistes à la gloire de la cabale pyrrhonienne qui consiste à cette ambiguité ambiguë et dans une certaine

'Un signe de renvoi, qui est dans le haut de la page du MS., à gauche, et le chiffre 2 qui est à droite, indiquent que ce morceau est une suite. Cette conjecture se trouve d'ailleurs confirmée par les lignes suivantes qui commençaient d'abord le même morceau et qui sont barrées « C'est donc une chose étrange qu'on ne peut définir ces choses sans les obscurcir »>

'Les copies mettent... « que tous les hommes conçoivent de même, » ce qui est inexact.

Les, c'est-à-dire sans doute les choses dont Pascal parlait dans la `première page, aujourd'hui perdue, de ce fragment.

Les copies mettent gagé, ce qui fait un non-sens.

Arnauld, dans la copie, a écrit dans au lieu de ȧ.

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