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en tout temps et en tout lieu, si l'on peut parler de la sorte, dans les asiles de la prière et de la ferveur chrétienne : il composa les Elévations sur les mystères et les Méditations sur l'Evangile.

Si l'on veut montrer ici-bas la vérité divine avec ses ravissantes splendeurs, qu'on la fasse ressortir dans sa simplicité majestueuse, pure des vains ornemens du langage humain, telle que la dévoilent à nos yeux les célestes oracles interprétés par l'Eglise. Déjà Bossuet avoit exposé pour l'instruction du dauphin, au milieu du faste et des bruits de la Cour, les principaux dogmes de la foi; dans les Elévations sur les mystères, il entoura ces dogmes d'un nouvel éclat, en les exposant sur un plan plus large à la lumière des Ecritures. Partant du sein de l'éternité pour arriver à la plénitude des temps, il suit les âges progressifs de la religion, depuis son origine jusqu'à la prédication du Sauveur; la fécondité du Père, la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit; la catastrophe des anges rebelles, la déchéance de l'homme et la promesse de sa réhabilitation; la vie des patriarches, les prodiges de Moïse et les prédictions des prophètes; Jésus né d'une Vierge mère, vivant caché en Dieu et soumis à ses parens : voilà les sujets qu'il traite avec la hauteur de la foi, voilà les mystères auxquels il nous élève dans les Elévations. Lorsque Jésus-Christ se fut préparé à sa mission libératrice, il prêcha l'Evangile, et c'est ici que commencent les Méditations. Comme on le verra dans l'Avertissement de l'auteur, le divin Maitre nous a donné ses principaux enseignemens, d'abord dans le discours sur la montagne, ensuite dans les paroles si touchantes qu'il a prononcées vers la fin de sa vie, depuis son entrée triomphante à Jérusalem jusqu'à sa mort. De là, comme deux parties: dans la première, le grand écrivain, suivant la marche du texte sacré, développe les vérités méconnues ou altérées par la philosophie profane, les principes du vrai bonheur; dans la seconde, il dévoile l'œuvre de la rédemption, les moyens du salut, les merveilles de la grace, l'union de l'homme avec Dieu.

Les Elévations se distinguent par la grandeur de la pensée et par l'éclat du style. Lorsque Bossuet aborde l'éternelle génération du Verbe, il fend les airs et s'élève dans son vol rapide à la hauteur de l'aigle des évangélistes, de Jean, « enfant du tonnerre, qui ne parle point un langage humain, qui tonne, qui étourdit, qui abat tout esprit créé sous l'esprit de la foi; » il s'écrie : « Où vais-je donc me perdre? dans quelle profondeur, dans quel abime?» Partout il plane, audessus des nuages et des séraphins, dans les régions de l'infini, contemplant l'Etre immense, distinct dans son unité substantielle par la fécondité de la pensée, la filiation de la parole et la procession de la volonté aimante; exaltant les Personnes adorables dans la création qui tire l'univers du néant, dans la diffusion de la vérité qui produit

un nouveau monde intellectuel, et dans la justification qui dépose au sein de la nature corrompue le germe de la glorification. — Le style des Méditations est moins élevé, mais non moins touchant. Dans cet ouvrage, ce n'est plus le Dieu de gloire et de majesté, semant les astres à travers l'espace et tenant le monde en sa main, qui abat nos esprits interdits; c'est le Dieu fait homme, doux, charitable et miséricordieux, pardonnant aux pécheurs et ne déployant sa puissance que pour soulager toutes les infortunes, portant lui-même la croix sur ses épaules et nous donnant jusqu'à la dernière goutte de son sang, c'est le Dieu sauveur qui parle au fond des cœurs et fait naître les plus nobles et les plus tendres sentimens. Ainsi le sage et pieux pontife conduit, par les voies de la spiritualité la plus sûre et la plus profonde, l'ame fidèle à l'école de Jésus et de Jésus crucifié, pour lui apprendre la reconnoissance et l'amour, la pénitence et la mortification, la prière et la vie en Dieu. La Harpe, qui s'étoit avisé de juger le grand homme et de le trouver médiocre dans les sermons, disoit, avec vérité cette fois : « Ceux qui n'ont pas lu les Méditations ne connoissent pas Bossuet. »>

Le lecteur l'a remarqué sans doute, les Elévations et les Méditations ne forment qu'un seul tout, et voilà pourquoi je parle ici de ces deux ouvrages en même temps. On trouve dans le premier les principales vérités du dogme chrétien, et l'on apprend dans le second les préceptes les plus importans de la morale. Toutefois l'auteur n'a pas voulu faire, selon les procédés didactiques de l'Ecole, un traité de théologie scientifique : « Vous croyez que j'irai, nous dit-il, résoudre tous les doutes et contenter vos désirs curieux; vous vous trompez : je n'ai pas pris la plume pour vous apprendre les pensées des hommes. » Qu'est-ce donc qu'il va nous apprendre? Les pensées de la Sagesse éternelle, les inventions du Verbe incarné, les merveilles de la grace, et cela sans raisonnement purement humain, sans discussion contentieuse, en dehors de tout système préconçu.

Ainsi les Elévations et les Méditations traitent des vérités les plus touchantes et les plus élevées du christianisme, et ces deux ouvrages doivent le jour au zèle épiscopal pour la sanctification des ames : mais à quelle époque ont-ils été composés? L'abbé Ledieu dit dans ses Mémoires écrits en 1704 : « Bossuet composa, il y a dix ou douze ans, une explication de toute la religion; » il la composa dans sa retraite de Germigny, à deux lieues de Meaux, pour se reposer en Dieu des nouveaux travaux qu'il venoit d'entreprendre pour la défense de l'Eglise, au commencement de la lutte qu'il soutint si glorieusement contre la plus dangereuse des hérésies, contre le quiétisme. D'après les dates qu'on vient de lire, il faut fixer l'origine de nos deux chefsd'œuvre entre 1694 et 1696; et voici une indication plus précise encore.

En envoyant les Méditations aux religieuses de la Visitation de Meaux, Bossuet leur fit tenir la lettre suivante :

« Je vous adresse, mes Filles, ces Réflexions sur l'Evangile, comme à celles en qui j'espère qu'elles porteront les fruits les plus abondans. C'est pour quelques-unes de vous qu'elles ont été commencées; et vous les avez reçues avec tant de joie, que ce m'a été une marque qu'elles étoient pour vous toutes. Recevez-les donc comme un témoignage de la sainte affection qui m'unit à vous, comme étant d'humbles et véritables filles de saint François de Sales, qui est l'honneur de l'épiscopat et la lumière de notre siècle. Je suis dans le saint amour de Notre-Seigneur, mes Filles, votre très-affectionné serviteur. J. Bénigne, évêque de Meaux. A Meaux, ce 6 juillet 1695. »

Les Méditations étoient donc terminées dans le milieu de l'année 1695, et les Elévations le furent bientôt après.

Dans la maladie qui le ravit aux lettres, à la science, à l'Eglise, pendant quinze mois de souffrances, il lit sans cesse, non-seulement les Livres divins 1, mais aussi les Elévations et les Méditations; il corrigeoit avec soin ces deux ouvrages, vérifiant les interprétations des Ecritures et la concordance des faits évangéliques, mêlant aux considérations de la science les plus ardentes effusions de la prière et de la piété, ajoutant quelquefois et le plus souvent effaçant 2. « Ce fut là, dit un témoin de sa ferveur; ce fut là sa consolation et sa joie dans les souffrances; il y trouva un avant-goût du bonheur éternel. »

II.

Malgré cette vive sollicitude, Bossuet ne publia lui-même ni les Elévations ni les Méditations; il chargea de ce soin, par disposition testamentaire, l'abbé Bossuet, son neveu, qu'il institua son légataire universel.

Le légataire universel n'attendit point la mort du donateur pour s'emparer des manuscrits; sitôt qu'on eut perdu l'espoir de conserver l'illustre malade, il mit en sûreté, lui et son frère, les Elévations et les Méditations, de même que la Politique sacrée et la Connoissance de Dieu et de soi-même 3. Pourquoi tant d'empressement? vouloit-il imprimer ?

'Le prêtre qui l'assista pendant ces jours cruels, dit dans la Relation de sa mort : « Lorsqu'il se sentoit soulage, sa principale occupation étoit la lecture de l'Ecriture sainte; et ceux qui l'approchoient aussi bien que moi, savent que nous lui lumes presque tout le Nouveau Testament et plus de soixante fois tout l'évangile de saint Jean, particulièrement le xvIIe chapitre et tous les endroits qui excitent la confiance, parce que c'étoit la voie par où Dieu le conduisoit. » — 2 Journal de l'abbé Ledieu, 11 novembre 1703; 9 décembre, même année; 13 décembre, même année; 28 janvier 1704, et passim. L'historiographe dit au dernier endroit indiqué : • Il vouloit essayer de faire des Elévations et des Méditations un ouvrage digne du public. » 8 septembre 1703.

3 Ibid.,

Non : déjà il s'étoit emparé secrètement des honoraires de son oncle1: « Il étoit fort attentif, dit l'abbé Ledieu, et portoit sa prévoyance sur l'argent et sur ce qui pouvoit donner de l'argent 2. >>

Enfin, le voilà maître de la succession : il enlève de la bibliothèque épiscopale les plus beaux livres3, et fait estimer par un tapissier venu de Paris les meubles de Meaux et ceux de Germigny. Le compte fait d'après barême, il demanda vingt et un mille livres pour ces meubles; le successeur de son oncle, M. de Byssi, offre vingt mille livres, en se réservant quelques orangers comme cadeau; le tapissier de Paris promet vingt mille huit cents livres, sans rien exiger « par-dessus le marché. » A la suite de nombreuses ambassades, après d'interminables débats qui retiennent pendant longtemps le nouvel évêque loin de son diocèse, les négociations sont rompues. L'exécuteur testamentaire fait alors une nouvelle visite à l'évêché : « il emporte, non-seulement les bons meubles, mais même tous les gros et de vil prix ;... tous les livres absolument sont ôtés de la bibliothèque, et tous les ornemens avec leurs armoiries emportés de la sacristie, même les livres à l'usage de l'église cathédrale ". Tout bien préparé, il vend ce mobilier à la criée publique, et répète à Germigny la même opération coup de maître, spéculation heureuse, car la piété s'empresse d'acquérir les ornemens sacrés du saint évêque, et l'admiration paie cher les plumes, les porte-feuilles, les secrétaires du sublime écrivain. En même temps l'habile et zélé représentant de Bossuet soutenoit à la fois, debout sur la brèche, deux procès, l'un contre le chapitre et l'autre contre l'évêque, pour les réparations de la cathédrale et de l'évêché. Au milieu de tout cela, comment s'occuper de travaux scientifiques et littéraires?

Et ce n'est pas tout. Les habitudes qui l'avoient trahi dans son voyage à Rome, et dont le bruit vint jusqu'à Meaux 7, interdisoient à ce « petit neveu d'un grand homme, » pour l'appeler comme Joseph de Maistre, toute occupation sérieuse. Il en faut dire autant de l'ambition; dans l'espoir d'avancer ses projets de grandeur, en politique industrieux «< qui n'épargne ni dépense ni bon accueil pour s'attirer les gens,» il tenoit table ouverte dans plusieurs résidences. Les visites et les promenades n'étoient pas moins de son goût; lorsqu'il n'attendoit pas debout sur ses membres dans une antichambre, on le voyoit sur toutes les routes « marchant comme le vent dans sa berline avec six

'Journal de l'abbé Ledieu, 6 septembre 1703: « Depuis dix ou douze jours, M. l'abbé Bossuet s'est saisi des quittances de M. de Meaux, pour recevoir au trésor royal ses appointemens de précepteur et de conseiller d'Etat, qui montent à 17,000 francs; et en les prenant, il recom manda bien à M. l'abbé Janel, qui avoit sollicité et obtenu les ordonnances, de n'en rien dire.» -2 Ibid., 8 septembre 1703. -3 Ibid., 10 avril 1705. Ibid., 2 mai 1705. 5 Ibid., 1 et 2 mai 1705. 6 Ibid., 9 et 11 juillet 1705. 7 Ibid., 28 décembre 1704. 10 avril 1705.

s Ibid.,

bons chevaux 1. Faudra-t-il dire que ses connoissances étoient médiocres? Ce Jacques-Bénigne Bossuet d'une nouvelle sorte ignoroit les choses les plus élémentaires; les signes de la correction typographique furent toujours pour lui lettre close ; et dans la crainte de compromettre sa dignité, il repoussoit les conseils et le secours d'autrui 3. Aussi l'abbé de Beaufort, l'abbé Fleury, tout le monde disoit qu'on ne pouvoit attendre de lui rien de bon pour les œuvres posthumes *. Et comment auroit-il pu les publier? Il avoit rarement sous la main les manuscrits qui lui avoient été confiés; les Méditations et les Elėvations se trouvoient tantôt chez Mme de Maintenon ou le duc de Bourgogne, tantôt sur le secrétaire du Dr Pirot ou de l'évêque de Mirepoix ; « faisant sa cour par toute sorte de breloques, » dit toujours notre historiographe ",» il distribuoit partout les lettres, les sermons, les écrits qu'il devoit publier, et c'est ainsi qu'il en a perdu plusieurs. Cependant il pria l'abbé Ledieu de corriger les Elévations et les Méditations; de corriger ces chefs-d'œuvre, dis-je, car ils blessoient en plusieurs choses la rigidité de ses principes et la délicatesse de son goût; on vouloit dans son conseil en faire disparoître les fautes de langage et les inexactitudes de doctrine; « le style passionné » de l'auteur, «< sa tendresse spirituelle, sa manière de dire dans les choses de piété » faisoit naître des inquiétudes d'esprit et des scrupules de conscience; on étoit fort embarrassé de plusieurs expressions que le grand évêque avoit souvent écrites et prononcées plus souvent encore; par exemple on ne savoit que faire de cette phrase: Dans l'Eucharistie, Jésus-Christ s'unit à l'homme esprit à esprit, cœur à cœur, corps à corps, « par où des libertins pouvoient entendre à la lettre ipsa copula 7. » Avant que ces doutes fussent résolus, pour endormir l'impatience du public, il adopta des mesures qui annonçoient une publication prochaine il fit successivement, avec les libraires Dezallier et Cot, deux traités d'impression qu'il laissa tomber; il prit aussi, l'un après l'autre, deux priviléges qu'il laissa périmer 3.

Enfin les ouvrages si longtemps attendus, si vivement désirés parurent, quand? Les Elévations en 1727 et les Méditations en 1731, par conséquent 23 et 27 ans après la mort de l'auteur. Comme l'éditeur avait été revêtu pendant la régence de la dignité épiscopale qu'il avoit courue vainement sous Louis XIV, dans l'instruction pastorale qui annonçoit sa publication, il dit que « son oncle lui avoit commandé de faire imprimer les Elevations et les Méditations, comme des monumens

'Journal de l'abbé Ledieu, 6 juin 1705.- 2 Ibid., 19 mars 1708.- 3 Ibid., 16 novembre 1706. - Ibid., 23 juin 1705, et ailleurs. . — 5 Ibid., 5 janvier 1705; 10 avril, même année; 13 novembre, même année. 6 Ibid., 17 mars 1708. Ibid., 17 novembre 1703. — Ibid., 1er juillet 1703; 31 janvier 1708. Dans le premier de ces traités, l'abbé Bossuet se réservoit comme honoraires deux cents exemplaires sur mille; dans le second, il s'en assuroit trois cents, dont soixante reliés en maroquin.

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