CHAPITRE XXXI Mort de Gamaliel. C'est cette année ou l'année suivante que mourut, à l'âge de quatre-vingts ans, Gamaliel, maître de saint Paul. Il était le trente-cinquième dans la succession des Pères de la loi et des gardiens de la tradition ou du Talmud et de la Cabale. Mais avec lui périt l'honneur de la loi; car son plus illustre disciple s'était fait chrétien, et presque tous les autres furent enveloppés dans la ruine de leur patrie. Onkelos lui fit de magnifiques funérailles. C'était un docteur indulgent et célèbre par ses connaissances astronomiques. Moins étroit dans son pharisaïsme que beaucoup d'autres, il fit un jour, raconte le Traité Derech Ezer, une visite à un philosophe païen, et le nomma son collègue. C'est lui aussi qui le premier permit aux Juifs d'écrire la sainte Écriture en langue grecque. Mais lorsque le grand conseil à Jérusalem, effrayé de la propagation rapide du christianisme, reconnut combien les circonstances étaient graves, il parut sous le nom de Gamaliel, quoiqu'elle fût de son disciple Samuel Caton ou le Petit, une prière contre les hérétiques, c'est-à-dire contre les chrétiens, que les Juifs devaient réciter chaque jour. Avec ce Caton s'éteignit la secte des pharisiens. C'est pour cela que l'on enterra avec lui dans son tombeau les clefs de la science; car il était le dernier de sa tribu et de sa profession. Trois siècles plus tard, la conversion du second Hillel, le dernier nasi d'Israël, qui sur son lit de mort embrassa le christianisme à Tibériade, entraîna la ruine du sanhédrin. Un prince juif nommé Joseph, et très-considéré parmi ses compatriotes, se convertit aussi au christianisme dans une mission donnée aux synagogues répandues parmi les Gentils; et il fonda ensuite les premières églises chrétiennes dans la Galilée. CHAPITRE XXXII Faux mysticisme à Corinthe. Première lettre de saint Paul Paul envoya d'Éphèse, l'an 53, sa première lettre aux Corinthiens. Mais ses adversaires trouvèrent le moyen de la supprimer; de sorte qu'elle est perdue pour la chrétienté. Il y avait en effet à Corinthe des judaïsants du parti des sadducéens qui niaient la résurrection de la chair, et qui avaient formé dans la ville des partis très-acharnés les uns contre les autres. Ils distinguaient le christianisme de Pierre, celui de Paul, d'Apollon, de Jacques et du Christ, à peu près comme le font aujourd'hui les protestants. Ils voulaient par là faire croire, malgré saint Paul, que le mosaïsme était encore obligatoire. Ils prenaient avec cela trop à la lettre les paroles du Christ sur la douceur du joug de l'Évangile; et leur relâchement, les idées fausses qu'ils avaient de la liberté évangélique étaient tels, qu'ils voulaient transporter dans le christianisme le culte de Vénus, à l'égard duquel Corinthe rivalisait avec toutes les autres villes de l'antiquité. De plus, beaucoup de Juifs passaient au christianisme afin de pouvoir se séparer de leur femme, supposé qu'elle ne se convertit pas. L'un d'eux osa même épouser sa propre belle-mère. D'autres, par une piété mal entendue, refusaient le devoir du mariage. C'est probablement à Corinthe que Paul apprit à connaître les vices et la vie criminelle des païens, comme il les dépeint si énergiquement au premier chapitre de son Épître aux Romains. Ainsi, la lumière et les ténèbres étaient en présence, et dans toute la force de leur contraste. D'après ce principe, que l'esprit de Dieu se manifeste comme il veut, chacun prétendait suivre ses propres inspirations. Il résultait de là une confusion déplorable, et chez quelques-uns une exaltation et un mysticisme qui rendaient très-communs les phénomènes de clairvoyance et les extases prophétiques. Cet état s'annonçait ordinairement par des sons et des mots inintelligibles; et comme ce phénomène était encore nouveau à cette époque, on croyait que ceux chez qui il se manifestait parlaient des langues étrangères, ou prophétisaient. Et comme, d'un autre côté, c'était presque toujours dans l'église que se produisaient ces choses extraordinaires, les cérémonies du culte étaient continuellement troublées et interrompues. L'Eglise de Corinthe donnait donc à peu près le spectacle de ces égarements qu'on a reprochés de nos jours aux méthodistes. C'était encore le mauvais esprit du judaïsme qui avait semé cette zizanie. Ces désordres, en effet, avaient commencé à propos d'une question capitale chez les Juifs, c'est-à-dire du mariage entre les chrétiens juifs et les chrétiens venus du paganisme. Nous trouvons presque jusqu'à notre époque les ramifications et les racines de l'erreur contre laquelle saint Paul s'éleva avec tant d'énergie. Ainsi nous lisons dans le canon Lebusch Hilcoth Gerim, prescriptions pour les prosélytes, de Mardochée Japhe, qui mourut en 1611, les paroles suivantes, pour expression de la tradition des rabbins: « Nos maîtres, bénie soit leur mémoire! ont ensei«gné qu'un prosélyte qui a pris sur lui le joug de la loi <«<est animé d'un nouvel esprit. Il reçoit une nouvelle « âme, il est devenu un autre homme, et semblable à un « nouveau-né. Le temps qu'il a vécu auparavant n'est « donc plus rien pour lui. Les parents qu'il avait lorsqu'il « était encore infidèle ne sont plus ses parents, et il n'y a << plus pour lui de degrés de parenté défendus dans le ma«riage; car il n'a plus au monde ni parents ni amis; mais <<< il est seul comme le premier homme. Sa mère et ses <«< sœurs ne sont donc plus pour lui ce qu'elles étaient aupa«ravant. Si elles restent dans le paganisme, et qu'il se marie avec l'une d'elles, c'est comme s'il épousait une « étrangère. Que si elles sont devenues prosélytes comme <«<lui, la loi lui permet, à bien plus forte raison encore, de «se marier avec elles. Car remarquez-le bien, elles aussi « sont comme des enfants nouveau-nés, et n'ont avec lui « aucun rapport de parenté. >> Les pharisiens, animés de cet esprit, cherchaient partout des prosélytes, et en faisaient ainsi, selon la parole du Sauveur, des enfants de Bélial. Ce désordre en était venu à un tel point que le Talmud crut devoir en arrêter les progrès, afin, dit-il, «qu'il ne semble pas que les nouveaux « croyants ont passé d'une loi sainte à une autre loi qui <«<l'est moins. » Si le prosélyte, pendant qu'il était païen, avait épousé sa mère ou sa sœur charnelle, il devait se séparer d'elle. Mais si, après sa conversion, il avait épousé sa mère et sa fille, ou ses deux sœurs charnelles, et que celles-ci se fussent converties comme lui, il devait en congédier une. Il pouvait, d'ailleurs, épouser la mère oa la fille de sa femme lorsque celle-ci était morte. Il pouvait aussi épouser sa nièce ou sa grand'mère du côté maternel si elles étaient converties. Quant à la parenté du côté du père, il n'y avait point pour lui de degré prohibé, pourvu que l'autre partie se convertit comme lui. Tels étaient les priviléges que le mosaïsme accordait aux prosélytes. De plus, tous les enfants qui naissaient d'un Juif et d'une païenne appartenaient de droit à l'alliance de la circoncision. Aussi les Juifs se plaignaient-ils dans le Jalkut Schimoni, f. LXIV, 1, qu'il y a trois sortes de convertis, mais qu'une partie seulement embrasse la foi par amour de Dieu, les autres le faisant ou pour avoir de quoi vivre, ou pour se marier selon leurs caprices. L'incestueux de Corinthe avait donc contracté un de ces mariages autorisés par le judaïsme, croyant que les prosélytes du christianisme avaient hérité des priviléges que la loi accordait aux Juifs convertis. Cet exemple pouvait avoir les suites les plus funestes, surtout à une époque et dans une ville où les esprits étaient tellement surexcités. Les Corinthiens envoyèrent donc à Corinthe, au grand Apôtre, une députation, à la tête de laquelle étaient Sosthène et Apollon. Saint Paul avait besoin, en cette circonstance, d'une grande prudence et d'une grande sévérité en même temps. C'est la première fois qu'il fit usage de l'excommunication. Quant aux faveurs spirituelles dont plusieurs se vantaient à Corinthe, comme le don prétendu de prophétiser ou de parler de nouvelles langues, etc., il crut devoir garder plus de ménagements. C'est donc dans ce sens qu'il écrivit, au commencement de l'an 54, sa seconde |