INTRODUCTION Lorsque la réforme parut, elle prit pour prétexte la nécessité de dégager le christianisme de tous les éléments étrangers que l'esprit humain y avait ajoutés, disait-on. On se livra donc à des recherches et à une critique minutieuses, et l'on sépara de la pure parole de l'Évangile toute la partie historique ou traditionnelle du christianisme, pour ne garder que l'écriture. Mais comme l'authenticité des livres saints repose sur le témoignage de la tradition, et que les évangiles ne sont en partie que des traditions écrites, puisque plusieurs de ceux qui les ont rédigés n'ont pas été témoins oculaires des faits qu'ils racontent; et comme d'un autre côté le texte sacré a dû subir, et par l'effet du temps, et par la faute des copistes, de nombreuses altérations, la critique devait par une conséquence nécessaire s'attaquer aux livres saints eux-mêmes, sous prétexte d'y dégager l'élément divin de cet alliage impur. On s'en prit d'abord à quelques versets en particulier, puis à des chapitres, puis enfin à des livres entiers, rejetant celui-ci; et le reprenant ensuite, gardant celui-là, et le rejetant plus tard comme apocryphe, si bien qu'à la fin il ne resta plus rien de ces mêmes évangiles qu’on avait pris d'abord pour unique point de départ. On faisait ainsi pour la théologie ce que les légistes romains avaient fait pour le droit en Allemagne. Ces derniers avaient aussi soumis à la critique les bases historiques du droit; et, fermant à dessein les sources de la coutume et de la tradition, ils avaient réduit tous les rapports qui lient les hommes entre eux à je ne sais quel code abstrait, connu sous le nom de Corpus juris. Ils avaient voulu régler d'après une lettre morte la vie de l'homme et de la société, et avaient réussi à remplacer par des constitutions arbitraires les droits que la nature même des choses, l'histoire et la coutume avaient enracinés parmi les différents peuples, et qui étaient devenus comme une partie intégrante de leur nationalité. La médecine a suivi jusqu'à nos jours la même voie et le même procédé. Rejetant aussi toutes les traditions, et la science pratique qu'elles lui avaient léguées, elle s'attache uniquement au corpus delicti, et croit trouver dans la mort un moyen d'analyser la vie et de rendre la santé à l'organisme malade. Mais la même opposition qui s'est produite, là entre le droit et la loi écrite, ici entre la santé et la science de la médecine, s'est manifestée aussi entre la vérité et la théologie détachée de la vie et de l'histoire. La Bible a perdu par cette abstraction sa base et son appui. L'idée intérieure et vivifiante a été sacrifiée à des no tions froides et abstraites, et dans l'art lui-même la poésie créatrice des temps chrétiens a été étouffée par la forme inanimée de l'antiquité. Tels devaient être les effets de cet égoïsme étroit qui, rompant avec le passé, voulait comme refaire à neuf, et d'après un plan arbitraire, l'histoire de l'Église et du monde. Tels devaient être les résultats de cette science qui depuis plus d'un siècle croit pouvoir terminer toutes les questions par des raisonnements à priori, sans avoir égard aux résultats de la science des temps passés, et qui à cause de cela ne peut jamais embrasser l'ensemble des choses. Tels devaient être les effets d'une philosophie qui, après avoir séparé la raison de la révélation, et être devenue négative à l'égard de tout ce qui est positif, ne peut plus se retrouver dans l'obscurité où elle s'est égarée, et ne saisit que des hypothèses sans consistance. L'abime étail creusé : la raison, abjurant le christianisme, était devenue païenne. Que pouvaient être pour elle les écrits qui contenaient la révélation divine? Quelle valeur pouvait avoir ce livre des livres, séparé de la vie et traité avec si peu de respect? Les auteurs de ces écrits étaient-ils des imposteurs, ou ont-ils été trompés? Dans l'une et l'autre hypothèse nous serions trompés nous-mêmes? Ou bien les ont-ils écrits sous l'inspiration d'en haut? Telles sont les questions que ces livres ont suscitées parmi les théologiens protestants, jusqu'à ce qu'enfin ils en soient venus à regarder le contenu de ces livres comme une fable sans réalité. Tout ce qu'il y a de merveilleux dans la Bible, ce que le genre humain a cru depuis dix-huit siècles sur la personne du Sauveur, tout cela n'est à leurs yeux qu'une illusion dont l'humanité est à la fois le sujet et l'objet, où elle contemple les événements de sa propre vie, et adore le produit de ses terreurs. La Bible n'est plus que l'abrégé des lieux communs de l'entendement humain, comme une sorte de rituel maçonnique, bon pour les esprits médiocres et incapables de s'élever plus haut. Mais pour les initiés, qui sont montés au grade supérieur, elle contient des mystères plus hauts et d'ineffables paroles. En un mot, l'Écriture ne contient que des mystères , tirés, soit du cours ordinaire de la nature, soit du cercle de la mythologie, soit enfin de l'histoire de l'humanité. Strauss a dans ces derniers temps appliqué ce procédé et cette critique à toutes les idées du christianisme. Il a considéré les évangiles en dehors de cette vie intérieure qui les anime, et, après les avoir ainsi isolés, il les a soumis à ce genre d'analyse inventé par la science moderne. Ces livres, interrogés de cette manière sur leur contenu, ont fait ce que fit tant de fois devant ses juges celui dont ils nous parlent : ils se sont tus; et comme lui aussi ils ont été condamnés à cause de leur silence. La science légère et superficielle de notre époque s'est applaudie de son triomphe. Mais comme tout doit tourner au bien de l'Eglise, tout, même les recherches et les victoires de ses ennemis, nous ne devons point rejeter d'une manière absolue le résultat des investigations de la philosophie moderne. Nous devons plutôt écouter avec attention la sentence qu'elle a portée, en poursuivant le principe qui l'a dictée jusque dans ses dernières conséquences. Nous trouverons alors que les évangiles sont des mythes, il est vrai, mais dans un sens bien plus élevé que ne le soupçonnent nos adversaires. Ils sont mythiques comme doit l'ètre toute idée élevée, toute révélation divine et centrale. Mais ils sont en même temps, et à cause de cela, historiques dans le sens le plus rigoureux de ce mot; car les faits qu'ils racontent sont vrais non-seulement dans le moment où ils se sont passés, mais encore dans le cours entier de l'hisa toire, et ils trouvent leur application dans tous les domaines de la vie, à savoir dans ceux du corps, de l'âme et de l'esprit. Si le christianisme est la religion universelle et centrale que Dieu a préparée dès le commencement du monde et que son Fils lui-même a fondée, elle doit trouver son application dans tous les cercles de la vie. Si les idées qu'elle renferme sont vraiment comme une serence divine, si elles sont la révélation faite primitivement par Dieu lui-même à l'humanité, elles doivent trouver partout leur explication : tous les temps et tous les lieux doivent constater et justifier son unité. Aussi les recherches et les attaques des hérėtiques ont l'avantage de nous rappeler continuellement que la religion de Jésus-Christ, telle qu'elle existe dans l'Église catholique, ne doit pas être considérée ni traitée comme une affaire de secte ou d'école. Les philosophes du siècle dernier avaient déjà essayé d'appliquer à Notre-Seigneur Jésus-Christ et au christianisme les mythes sous lesquels l'antiquité s'était représenté le soleil et tout le système dont il est le centre; et ils avaient voulu expliquer ainsi par des symboles |