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dont la nécessité, même à Rome, n'est pas mieux démontrée en bonne police qu'en bonne morale. La Fontaine regrette de donner un nom si commun à ces nymphes d'au-delà des monts; sans la rime, il les eût appelées Chloris. Après avoir badiné un instant sur ce sujet graveleux, il passe aux affaires d'Angleterre ; mais pour bien comprendre ce qu'il en dit, il faut se transporter aux temps où il écrivoit, et connoître quelle étoit alors la disposition des esprits.

Les députés des communes qui avoient siégé dans le parlement durant le règne de Charles II, réunis avec la chambre des pairs en convention nationale, avoient déclaré que Jacques II, par sa fuite, s'étoit désisté de la couronne d'Angleterre, et ils avoient proclamé souverains de la Grande-Bretagne, le prince d'Orange et sa femme 1. Sur quoi La Fontaine dit dans sa lettre:

Dieu me garde de feu et d'eau,
De mauvais vin dans un cadeau 2,
D'avoir rencontres importunes,
De liseurs de vers sans répit,

Hume's History of England, 1782, in-8°, t. VIII, p. 319; Misson, Mémoires d'un voyageur en Angleterre, 1698, in-12, p. 166 à 172.

2 C'est-à-dire dans un repas ou une fête donnée principalement à des dames. Telle étoit alors la signification du mot cadeau: voyez La Fontaine, Lettres à divers, 28, t. VI, p. 599, note 1; et ajoutez aux citations de cette note Molière, Précieuses ridicules, scène 12, et l'École des Maris, acte 1, scène 2; t. II, p. 59 et 279 de l'édit. de M. Auger.

De maîtresse ayant trop d'esprit,

Et de la chambre des communes!

Cependant, par l'assistance de Louis XIV, Jacques II se transporta en Irlande, où il fut accueilli avec une joie extraordinaire. Londonderry fut la seule ville qui ne voulut pas le reconnoître. Il assiégeoit cette ville où les rebelles s'étoient retirés, à l'époque à laquelle La Fontaine écrivoit sa lettre au prince de Conti, c'est-à-dire dans le mois de mai 1689. Divers bruits couroient à Paris sur l'issue de ce siège, et sur les événements de la guerre d'Irlande. Quels que fussent les torts de Jacques II en politique, on le reconnoissoit universellement pour un souverain clément, pour un homme bon et sensible; et l'Europe n'avoit pu voir, sans horreur, un gendre détrôner son beau-père, un père abandonné par ses deux filles, un roi trahi et persécuté par des sujets qui lui devoient leur fortune et leur élévation. Parmi ceux dont la conduite révolta davantage, fut Churchill, depuis si célèbre sous le nom de duc de Marlborough, l'ami intime et le favori de Jacques II, et le confident de ses amours avec sa sœur Arabella. La Fontaine cependant n'en

■ Berwick, Mémoires, t. I, p. 47 et 54; Burnet's, Hist, of his own time, 1753, in-12, t. IV, p. 26; Misson, Mémoires, p. 171, 172 et 178.

parle pas, parceque sa trahison, déja ancienne, n'étoit plus la nouvelle du jour; mais il fait mention des lords Halifax' et Danby2, qui contribuèrent le plus à faire décerner la couronne d'Angleterre au prince d'Orange et à sa femme, et qui cependant avoient reçu les plus grands bienfaits de Jacques II, et de son frère Charles II. Il paroît aussi qu'alors il couroit des bruits peu avantageux sur Bentinck: ce favori du prince d'Orange étoit accusé de s'être approprié des deniers publics.

Halifax, Bentinck et Danby
N'ont qu'à chercher quelque alibi
Pour justifier leur conduite.
Quoi qu'en puisse dire la suite,
C'est un très mauvais incident.
Halifax sembloit fort prudent.
Danby, je ne le connois guère.
Bentinck à son maître sut plaire,
Jusqu'à quel point, je n'en dis mot:
S'il n'eût été qu'un jeune sot,
Comme sont tous les Ganymedes,
On auroit enduré de lui,

Et dans la pièce d'aujourd'hui

Bentinck feroit peu d'intermédes;

Hume's, History of England, 1782, in-8°, t. VIII, p. 175, 218, 283 et 302; Burnet's, Hist. of his own time, 1753, in-12, t. III, p. 50, 52, 68, 136, 259 et 267. 2 Hume's, History of England, t. VII, p. 512; t. VIII, p. 11, 63, 78, 86, 87, 88, 97, 205, 226, 283, 313; Burnet's, Hist. of his own time, t. III, p. 136, 214, 216, 254, 294, 296 et 297; t. IV, p. 5; Vie de Jacques II d'après les mémoires kerits de sa main, 1819, in-8°, t. III, p. 336.

Mais prompt, habile, diligent
A saisir un certain argent,
Somme aux inspecteurs échappée,
Il a du côté de l'épée

Mis, ce dit-on, quelques deniers.
Après tout, est-il des premiers
A qui pareille chose arrive?
Ne faut-il pas que chacun vive?
Cependant il a quelque tort,
Si le gain est un peu trop fort,
Vu les Anglois et leurs coutumes.
Le proverbe est bon, selon moi,
Que, qui l'oüe' a mangé du roi,
Cent ans après en rend les plumes.
Manger celle du peuple anglois
Est plus dangereux mille fois.
Bentinck nous en saura que dire:
Je n'y vois pour lui point à rire,
On va lui barrer bien et beau
Le chemin aux grandes fortunes'.

Je suis loin de donner pour des autorités historiques les vers de notre poëte, et ce qui se débitoit alors à Paris sur les serviteurs du prince d'Orange, qui n'étoit guère aimé3; mais il n'y a point lieu de douter que ce Bentin (c'est ainsi

On écrivoit autrefois l'oue pour l'oie.

C'est toy qui maints de los très amples douës,

Mais endroit moy tu fais cygnes les ouës.

Marot, Rondeaux, 21, t. II, p. 380, édit. 1731, in-12.

2 La Fontaine, Lettres à divers, 28, t. VI, p. 597.

3 Après la bataille de La Bogne, un nommé La Badie, valet-de-chambre de Jacques II, qui s'étoit enfui d'Irlande, fit courir le bruit de la mort de Guillaume et occasiona des réjouissances publiques. Voyez les Chansons critiques et historiques, manuscrit, t. III, p. 37.

qu'a écrit La Fontaine, ou son éditeur), ne soit le Bentinck qui eut toute la confiance de Guillaume III. Né en 1648, William Bentinck fut d'abord page d'honneur du prince d'Orange1. En 1688, il fut envoyé par lui pour complimenter le nouvel électeur de Brandebourg, et avec la mission secréte de tâcher d'en obtenir des troupes, pour l'invasion de l'Angleterre que le prince d'Orange méditoit. Bentinck se fit accorder par l'électeur plus même que le prince n'avoit demandé. Il paroît qu'à l'époque où La Fontaine écrivoit, on répandoit le bruit que Bentinck s'étoit rendu coupable de concussions assez fortes. Comme il avoit la faveur de son souverain, cela ne l'empêcha pas de parvenir aux honneurs; et, après avoir été successivement nommé gentilhomme de la chambre et membre du conseil privé, il fut créé pair, avec le titre de comte de Portland, deux jours avant le couronnement de Guillaume III; enfin, il fut fait lieutenant-général des armées, et envoyé comme ambassadeur en France, en 1698. Les

Debrett's, Peerage, 1819, t. I, p. 47; Burnet's, Hist. of his own time, t. III, p. 203 et 250, et t. IV, p. 6; Voyage de MM. Bachaumont et La Chapelle, avec un mélange de pièces fugitives tirées du cabinet de M. Saint-Évremond, Utrecht, 1797, in-12, p. 114 et 117; OEuvres diverses du sieur D*** (Nodot), avec un recueil de poésies choisies de M. B*** (de Blainville), in-12, Amsterdam, 1714, t. II, p. 351; Palmier, Ode sur la Paix dans le Parnasse françois de Bonafoux, p. 265; Lister's, Account of Paris revised by Henning, 1823, in-8°, p. 24, note e, et p. 27, note ƒ.

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