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« vue'. » La Fontaine raconte ensuite sa plaisante aventure, et il avoue que mademoiselle de Beaulieu lui a fait consumer trois ou quatre jours en distractions et en rêveries, dont on a fait des contes par tout Paris. Ensuite il écrit, sur cette jeune beauté, deux pages de vers sur un ton moitié burlesque, moitié gracieux.

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La Fontaine charge ensuite Vergier de faire ses compliments à mademoiselle de Gouvernet << que les graces, dit-il, ne quittent point. » C'étoit la sœur du marquis de Gouvernet', qui luimême avoit épousé une sœur de M. d'Hervart, une des plus belles femmes de son temps, et dont le portrait étoit considéré comme le chef-d'œuvre du pinceau de Mignard 2. La Fontaine, en terminant sa lettre, dit : « Vous pouvez vous moquer de moi tant qu'il vous plaira, je vous le permets; «<et si cette jeune divinité, qui est venue trou<< bler mon repos, y trouve un sujet de se divertir, je ne lui en saurai point mauvais gré. A quoi << servent les radoteurs, qu'à faire rire les jeunes « filles 3? »

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Vergier fit à notre poëte une réponse charmante. Il lui apprend que sa lettre a diverti M. et madame d'Hervart, et mademoiselle de Gouvernet, et qu'il l'a fait voir aussi à mademoiselle de Beaulieu. «Sa jeunesse et sa modestie, dit Vergier, ne lui ont pas permis de dire ce qu'elle en pensoit; mais je ne doute point que des douceurs si bien apprêtées ne l'aient touchée comme elles doivent. » Du reste, il assure La

Mercure galant, octobre 1705, p. 157.

2 L'abbé de Monville, Vie de Mignard, pag. 70; Walck., 1" édition, p. 470,

mote 77.

3 La Fontaine, Lettres à divers, 23, t. VI, p. 576.

Fontaine que personne n'a été surpris de son aventure, et il ajoute :

Hé! qui pourroit être surpris,
Lorsque La Fontaine s'égare?

Tout le cours de ses ans n'est qu'un tissu d'erreurs,
Mais d'erreurs pleines de sagesse.

Les plaisirs l'y guident sans cesse
Par des chemins semés de fleurs.
Les soins de sa famille, ou ceux de sa fortune,

Ne causent jamais son réveil:

Il laisse à son gré le soleil
Quitter l'empire de Neptune,

Et dort tant qu'il plaît au sommeil:

Il se lève au matin, sans savoir pour quoi faire:
Il se promène, il va, sans dessein, sans sujet,
Et se couche le soir, sans savoir d'ordinaire
Ce que dans le jour il a fait1.

Quelques mois après la date de cette lettre, Vergier quitta la soutane et le titre d'abbé. Il obtint une place dans l'administration de la marine', par la protection du ministre Seignelais, et par celle de M. d'Hervart, dont il avoit été le précepteur3. Il fut envoyé en mission en Angleterre, et se trouvoit à Londres dans le mois de novembre de l'année 16884, lors de la révo

Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 7-10; OEuvres de La Fontaine, t. VI, p. 578, lettre 24; Walck., 1" édit., p. 471, note 78.

a Il fut nommé écrivain principal au Havre, le 2 octobre 1688.

3 Piganiol de La Force, Description de Paris, t. III, p. 391 et 393, édit. de 1765, 4 Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 153 et 158.

lution qui plaça Guillaume III sur le trône de la Grande-Bretagne. Nous apprenons par une lettre que Vergier écrivit l'année suivante à madame d'Hervart, que La Fontaine continuoit à se plaire à Bois-le-Vicomte; que la présence de mademoiselle de Beaulieu ajoutoit beaucoup aux plaisirs dont il jouissoit dans cette campagne; qu'enfin le badinage de cette société sur un amour si disproportionné dura encore assez long-temps. Un passage de cette lettre de Vergier achève de peindre notre fabuliste tout entier : « J'ai reçu une lettre du bon homme La Fontaine. Il me marque qu'il ne vous la fera pas voir, parcequ'il n'en est pas content, et qu'il ne la trouve pas digne de la délicatesse de votre goût. Je vous dirai franchement que je la trouve de même, et, pour la même raison, je le prie de ne pas vous montrer la réponse que je lui ai faite ce sont, de part et d'autre, cas honteux qu'il faut au moins savoir cacher, quand on a eu la foiblesse de se les permettre. Ce qu'il y a de meilleur dans sa lettre, est qu'il me marque qu'il va passer six semaines avec vous à la campagne. Voilà un bonheur que je lui envie fort, quoiqu'il ne le ressente guère, et vous m'avouerez bien, à votre honte, qu'il sera moins aise d'être avec vous, que vous ne le serez de l'avoir;

sur-tout si mademoiselle de Beaulieu vient vous rendre visite, et qu'il s'avise d'effaroucher sa jeunesse simple et modeste, par ses naïvetés, et par les petites façons qu'il emploie, quand il veut caresser de jeunes filles.

Je voudrois bien le voir aussi,
Dans ces charmants détours que votre parc
Parler de paix, parler de guerre,

enserre,

Parler de vers, de vin et d'amoureux souci;
Former d'un vain projet le plan imaginaire,
Changer en cent façons l'ordre de l'univers,
Sans douter, proposer mille doutes divers;
Puis tout seul s'écarter, comme il fait d'ordinaire,
Non
pour rêver à vous qui rêvez tant à lui,
Non pour réver à quelque affaire,

Mais pour varier son ennui,

Car vous savez, Madame, qu'il s'ennuie par-tout, et même, ne vous en déplaise, quand il est auprès de vous, sur-tout quand vous vous avisez de vouloir régler ou ses mœurs ou sa dépense'.

"

Ces derniers mots nous révèlent toute l'étendue des bontés de cette jeune et jolie femme pour notre vieux poëte, dont, par ses remontrances et ses conseils, elle cherchoit à réformer la conduite. Comment expliquer cet attachement si vrai, si désintéressé que La Fontaine

Vergier, OEuvres, 1750, in-12, t. II, p. 133, lettre 21, ou 1731, in-8°, t. I, p. 104, ou les Contes et nouvelles en vers du sieur Vergier et de quelques auteurs anonimes, 1727, in-12, t. II, p. 84.

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