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mort. La Fontaine, n'ayant jamais su se contraindre, dut, lorsque sa réputation eut préparé tout le monde aux égards et à l'indulgence envers lui, faire moins d'efforts encore pour plaire en société, quand il ne s'y trouvoit pas disposé.

que

On ne doit donc pas s'étonner du fait raconté avec tant de prolixité par le chartreux, un peu mondain, qui s'est caché sous le nom de Vigneul de Marville. Il avoit, avec quelques uns de ses amis, invité La Fontaine à dîner dans une petite maison écartée, afin de jouir à l'aise de la conversation de ce poëte. La Fontaine, qui n'étoit connu dans cette société de celui par qui on l'avoit fait inviter, fut exact à l'heure, et arriva à midi. Le dîner étant excellent, il mangea beaucoup, et but de même, puis s'endormit. Il se réveilla après trois quarts d'heure de somme, en fit des excuses, mais resta silencieux le reste de la soirée : ses convives, n'en pouvant rien tirer, le reconduisirent chez lui, étonnés de ne lui avoir rien entendu dire de spirituel, ni qui pût justifier sa grande réputation'.

Un des traits les plus plaisants de distraction et d'insouciance de la part de La Fontaine, est celui qui a été raconté par Cotolendi: il a échappé

1 Vigneul de Marville (Dom Bonaventure d'Argonne), Mélanges d'histoire et da littérature, 1700, in-12, t. II, p. 354.

à tous les biographes de notre fabuliste, quoiqu'il se trouve consigné dans un livre imprimé de son vivant. La Fontaine avoit un procès, et restoit à la campagne, sans s'en inquiéter. Un de ses amis apprend que ce procès va être jugé le lendemain, ilen prévient La Fontaine, et lui envoie en même temps un cheval, pour qu'il se rende tout de suite à Paris, afin de solliciter ses juges. La Fontaine se met en route, puis, pour se reposer, il s'arrête chez une de ses connoissances, qui demeuroit à une lieue de la capitale. Il est reçu avec joie, accueilli avec empressement, parle de vers, et oublie son procès: on l'invite à coucher, il consent à rester, dort toute la nuit, et se réveille tard dans la matinée; mais en se réveillant il se rappelle enfin le motif pour lequel il s'est mis en route; il repart, arrive après le jugement rendu, et essuie les reproches de son ami. Sans se déconcerter, La Fontaine répond qu'il étoit bien aise au fond de cet incident, parcequ'il n'aimoit ni à parler d'affaires, ni à en entendre parler '.

Le desir qu'avoit La Fontaine de céder à la volonté des autres, et de ne rien faire qui pût leur être désagréable, contrarioit les habitudes

Le livre sans nom, 1695, p. 131; Walck., 1" édit., p. 450, note 88.

qu'il avoit prises de ne supporter aucune contrainte, et lui arrachoit quelquefois, pour se tirer d'embarras, des réponses qui, de la part de tout autre, eussent été impolies et grossières, mais qui, de la sienne, ne paroissoient que plaisantes, parceque tout le monde connoissoit ce caractère doux et inoffensif qui lui avoit si universellement mérité le surnom de bon homme. Le Verrier, financier de ce temps, qui avoit le triple travers de vouloir passer pour homme à bonnes fortunes, pour ami des grands seigneurs, et pour savant', avoit invité La Fontaine à dîner, dans l'espérance qu'il amuseroit ses convives. La Fontaine mangea, et ne parla point. Comme le dîner se prolongeoit, il s'ennuya, et se leva de table sous prétexte de se rendre à l'Académie. On lui fit observer qu'il n'étoit pas encore temps, et que deux heures venoient de sonner. «Ah bien! répondit-il, je prendrai le plus

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long. » Et il sortit 2. Madame de La Sablière, étonnée elle-même et peut-être impatientée d'un trait d'absence semblable à celui que nous venons de raconter, lui dit un jour: « En vérité, mon

1 Monchesnay, Boloana dans l'édit. des OEuvres de Boileau, par Saint-Marc, 1747, in-8°, t. V, p. 110-112.

2 Louis Racine, OEuvres, t. V, p. 157; Montenault, Vie de La Fontaine dans l'édit. des Fables, in-folio, p. xvII; Fréron, Vie de La Fontaine, p. x111 de l'édit, des Fables de Barbou, 1806, in-12, et dans les Mélanges de littérature.

cher La Fontaine, vous seriez bien bête, si vous tant d'esprit'.

n'aviez

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pas Ses ouvrages, qu'on réimprimoit sans cesse, prouvoient en lui non seulement beaucoup d'esprit, mais encore du plus fin et du plus malicieux. On publia en Hollande, en 1685, un recueil complet de ses Contes sans sa participation avec des figures de Romain de Hooge. Ce recueil eut un grand succès: car on en multiplia rapidement les éditions et les contrefaçons. Bayle, en rendant compte de cette édition, dans son journal, a dit : « Avec la permission de ceux qui mettent l'antiquité si au-dessus de notre siècle, nous dirons ici franchement, qu'en ce genre de compositions, ni les Grecs, ni les Romains, n'ont rien produit qui soit de la force des Contes de M. de La Fontaine, et je ne sais comment nous ferions pour modérer les transports et les extases de MM. les humanistes, s'ils avoient à commenter un ancien auteur, qui eût employé autant de finesse d'esprit, autant de beautés naturelles, autant de charmes vifs et piquants, que l'on en trouve dans ce livre-ci2.»

1 Notes manuscrites de M. Despotz; La Harpe, Cours de littérature, 2° partie, chap. x1, t. VI, p. 331.

2

Bayle, République des lettres, t. III, p. 435.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

LIVRE CINQUIÈME.

1684-1689.

DANS le Recueil des Contes, publié en 1685, les éditeurs de Hollande terminent ainsi leur avertissement: «Mais parceque l'on est très bien informé que M. de La Fontaine n'est pas celui qui prise le plus ses ouvrages, et qu'il n'est pas exact à les conserver, on prie ceux qui en pourront recouvrer, qui n'auront pas été imprimés, d'en vouloir faire part au public qui leur en sera redevable. »

La Fontaine, en effet, écrivoit un assez grand nombre de petits opuscules, qu'il ne se donnoit pas la peine de recueillir, et dont plusieurs n'ont été imprimés qu'après sa mort. C'est ainsi que dans une lettre à un des princes de Conti, il fit une comparaison d'Alexandre, de César et du prince de Condé, qui montre des connoissances historiques et un excellent jugement'. Une idée sur laquelle il revient plusieurs fois dans ce parallèle, devoit le conduire à une sorte de scepticisme qui

1 La Fontaine, Opuscules en prose, t. VI, p. 350.

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