Obrazy na stronie
PDF
ePub

homme et comme écrivain, il intéressoit vivement son auditoire; il expioit le passé, satisfaisoit au présent et donnoit de nouvelles espérances pour l'avenir.

Des solides plaisirs je n'ai suivi que l'ombre;
J'ai toujours abusé du plus cher de nos biens.
Les
les
pensers amusants, vagues entretiens,
Vains enfants du loisir, délices chimériques,
Les romans et le jeu.

Cent autres passions, des sages condamnées,
Ont pris comme à l'envi la fleur de mes années'.

Les amis des bonnes mœurs et de la belle poésie, qui tous aimoient La Fontaine, malgré ses écarts, et desiroient sa réforme, durent entendre avec une vive satisfaction la fin de cet admirable dis

cours.

Que me servent ces vers avec soin composés?
N'en attends-je autre fruit que de les voir prisés?
C'est peu que leurs conseils, si je ne sais les suivre,
Et qu'au moins vers ma fin je ne commence à vivre:
Car je n'ai pas vécu; j'ai servi deux tyrans;

Un vain bruit et l'amour ont partagé mes ans.

Qu'est-ce que vivre, Iris? vous pouvez nous l'apprendre. Votre réponse est prête; il me semble l'entendre: C'est jouir des vrais biens avec tranquillité;

Faire usage du temps et de l'oisiveté;

La Fontaine, Épitres, 17, t. VI, p. 143.

HIST.

22

S'acquitter des honneurs dus à l'Être Suprême;
Renoncer aux Phyllis en faveur de soi-même;
Bannir le fol amour et les vœux impuissants,
Comme hydres dans nos cœurs sans cesse renaissants'.

Mais les lecteurs qui se rappellent que nous avons laissé madame de La Sablière au milieu du monde et de toutes ses séductions, et entourée de savants, de gens de lettres, d'hommes de cour, et d'une jeunesse aimable et folâtre, doivent être fort surpris de voir sur quel ton La Fontaine lui parle dans ce discours. C'est qu'il s'étoit fait un changement total dans les dispositions, les goûts et la manière de vivre, de cette femme intéressante. Elle avoit renoncé à tous les plaisirs, même à ceux de l'esprit; et sans cesse aux pieds des autels, dans les hôpitaux, ou en retraite dans une maison religieuse, elle ne songeoit plus qu'à Dieu et à son salut.

Comme la métamorphose opérée par la religion dans madame de La Sablière nous explique la position dans laquelle s'est trouvé La Fontaine pendant plusieurs années, il est nécessaire d'en faire connoître les causes.

Parmi les jeunes gens qui fréquentoient la maison de madame de La Sablière, et qui lui 1 La Fontaine, Épîtres, 17, t. VI, p. 145 et suiv.

faisoient une cour assidue', il s'en trouva un qui conçut pour elle une passion vive, et qui parvint à la lui faire partager : c'étoit le marquis de La Fare, d'une ancienne et illustre maison de Languedoc. Il avoit donné des preuves de la plus brillante valeur, lors de la défaite des Turcs au passage du Raab, ainsi qu'aux combats de Senef, de Mulhausen et de Turkheim. Il joignoit à l'imagination la plus enjouée, l'esprit le plus délicat et le caractère le plus aimable. Ami de Chaulieu, qui lui inspira le goût de la poésie, il s'est associé sans le vouloir, par quelques compositions charmantes, à la célébrité de ce poëte facile et plein de grace. La passion ardente qu'il avoit conçue pour madame de La Sablière ne lui permit d'écouter aucune considération : il renonça à l'ambition, à la gloire et à la fortune; vendit la charge de sous-lieutenant des gendarmes du Dauphin au fils de madame de Sévigné, qui étoit alors enseigne dans la même compagnie1. Dès lors La Fare ne quitta plus celle qui occupoit toutes ses pensées, et dans laquelle se concentroit toute son existence. Il passoit chez elle les jours entiers; et plusieurs années s'écou

Recueil de Chansons historiques et critiques, manuscrit t. VI, p. 252. La Fare, Mémoires, p. 80 et 154; madame de Sévigné, Lettres, en date du 19 mai 1677, t. V, p. 81. Voyez encore celle du 19 août 1676, t. IV, p. 432.

lèrent sans que cette passion fût moins vive de part ou d'autre. Telle étoit la force de l'amour qu'éprouvoit le marquis de La Fare, qu'on crut d'abord que la belle La Sablière manqueroit plutôt de persévérance que son amant'. Il n'en fut pas ainsi : madame de La Sablière s'aperçut que l'attachement du marquis de La Fare pour elle commençoit à s'affoiblir, qu'il la négligeoit, et passoit des journées entières à jouer à la bassette: elle en eut un profond chagrin, et les sentiments de la plus fervente piété purent seuls remplacer, dans ce cœur sensible et délicat, le vide douloureux que l'amour y avoit laissé. On la vit alors, dans l'âge des passions, et brillante encore de tout l'éclat de sa beauté, soigner les pauvres et les malades, et exécuter par degrés la résolution de consacrer toutes ses pensées à la religion, et de diriger toutes ses affections vers le seul être éternel et immuable. Comment en effet pouvoit-elle espérer qu'aucun être mortel pût effacer le souvenir de celui qu'elle perdoit? Chaulieu, homme de plaisir, qui vivoit au milieu des hommes les plus aimables de son temps, dit que La Fare les surpassoit tous par les agréments de sa société. « C'étoit, ajoute-t-il, un composé de de

Madame de Sévigné, Lettres, 4 août 1677, t. V, p. 173.

grace,

sentiment et de volupté, et les siècles auront peine à former quelqu'un qui réunisse comme lui tant de belles et séduisantes qualités 1.» Mais écoutons, sur cette rupture, madame de Sévigné, si admirable par sa dévotion indulgente, sa douce gaieté, et son impertubable confiance dans la Providence.

« Vous me demandez ce qui a fait cette solution de continuité entre La Fare et madame de La Sablière: c'est la bassette: l'eussiez-vous cru? C'est sous ce nom que l'infidélité s'est déclarée; c'est pour cette prostituée de bassette, qu'il a quitté cette religieuse adoration : le moment étoit venu que cette passion devoit cesser, et passer même à un autre objet : croiroit-on que ce fût un chemin pour le salut de quelqu'un, que la bassette? Ah! c'est bien dit, il y a cinq cent mille routes qui nous y mènent. Madame de La Sablière regarda d'abord cette distraction, cette désertion; elle examina les mauvaises excuses, les raisons peu sincères, les prétextes, les justifications embarrassées, les conversations peu naturelles, les impatiences de sortir de chez elle, les voyages à Saint-Germain où il jouoit, les en

Chaulieu, OEuvres, 1774, in-8°, t. II, p. 46, et p. 185, lettre à madame la duchesse de Bouillon.

« PoprzedniaDalej »