trouver La Fontaine, le cajole, le berce des promesses les plus flatteuses, et fait si bien qu'il parvient à son but. La Fontaine se mit à composer l'opéra de Daphné1. Le musicien, pressé par le temps, obsédoit sans cesse le poëte, habitué à travailler à loisir, et pour qui toute espèce de contrainte étoit antipathique; mais le pire fut qu'habitué à la docilité de Quinault et à tout assujettir à l'effet musical, Lully tourmentoit sans cesse La Fontaine pour changer la disposition des scènes, pour allonger ou raccourcir certains vers. Au bout de quatre mois de persécution, Lully, peu satisfait de l'ouvrage de La Fontaine, l'abandonna sans mot dire, pour adopter l'opéra de Proserpine de Quinault, qu'il mit en musique, et qui fut joué à Saint-Germain, le 3 février 16802. Madame de Thianges avoit en vain sollicité à la cour pour qu'on jouât aussi la pastorale de La Fontaine; Lully déclara au roi qu'elle ne valoit rien, et on y renonça entièrement3. La Fontaine ne put se refuser à l'indignation qu'inspira ce procédé à tous ses amis. C'est alors qu'il exhala son humeur dans une Quinault, Théatre, 1715, in-12, t. I. p. 44 à 47; Walck., 1" édit., note 2. » Walck., 1" édit., p. 427, note 3. + Fie de Quinault, en tête de ses OEuvres; 1715, in-12, t. I. p. 47. P. 425. singulière et comique satire, intitulée le Flo rentin. Le Florentin Ce qu'il sait faire..... J'en étois averti; l'on me dit, Prenez garde; ..... Malgré tous ces avis, il me fit travailler. Le paillard s'en vint réveiller Un enfant des neuf soeurs, enfant à barbe grise, Être dupe: il le fut, et le sera toujours. Je me sens né pour être en butte aux méchants tours. ....... A tort, à droit me demanda Du doux, du tendre, et semblables sornettes, Madame de Thianges chercha à apaiser le courroux de La Fontaine, et à le réconcilier avec Lully, ce qui ne fut pas difficile. Le raccommodement fut si complet et si sincère, que La Fontaine supprima sa diatribe, et qu'il fit depuis pour Lully deux dédicaces en vers, l'une La Fontaine, le Florentin, t. VI, p. 131. Consultez au sujet de Quinault les OEuvres de Pavillon, t. II, p. 177, et les OEuvres de Chaulieu, 1774, in-8°, t. II . p. 91; Chansons historiques et critiques manuscrit, t. VI, p. 278. pour l'opéra d'Amadis, et l'autre pour celui de Roland; la dernière est charmante, et Louis XIV yest loué avec beaucoup de grace et de délica tesse'. La Fontaine, pour s'excuser auprès de madame de Thianges qui avoit désapprouvé sa satire, lui avoit déja adressé une épître en vers, dans laquelle il exposoit ce qui s'étoit passé alors dans son esprit avec sa gaieté, sa franchise et sa bonhomie ordinaires : Vous trouvez que ma satire Et que tout ressentiment, Quel que soit son fondement, La plupart du temps peut nuire, Et ne sert que rarement. J'eusse ainsi raisonné si le ciel m'eût fait ange, Mais il m'a fait auteur, je m'excuse par là: Il n'est donc plus auteur: la conséquence est bonne. Je suis cet indulgent; s'il ne s'en trouve point, C'est la cour, et ce sont toute sorte de gens, Qui m'ont fait employer le peu que j'ai de bile: Il amène ensuite très naturellement l'éloge du roi, de son bon goût et de son discernement en littérature. La Fontaine désiroit que son opéra fût joué devant Louis XIV; et il n'eût point été indifférent sur le succès ou la chute de cet ouvrage. Nous avons ailleurs démontré la fausseté des récits qui sembloient prouver le contraire, et fait voir l'absurdité des contes puérils dont on a surchargé cette partie de la vie de notre poëte. Pour que le but des louanges que La Fontaine donne au roi soit clairement exprimé, il termine ainsi son épître : Retourner à Daphné vaut mieux que se venger. Vous êtes bonne et bienfaisante, Servez ma muse auprès du roi2. Thianges que La Fontaine fit des vers pour madame de Fontanges; mais pour expliquer comment madame de Thianges pouvoit engager notre poëte à chanter une rivale de sa sœur, il faut entrer dans le détail de ce qui se passoit alors à la cour de Louis XIV. Madame de Montespan s'apercevoit de jour en jour que son ascendant sur le roi diminuoit avec ses attraits. Elle auroit vu finir sans trop de regrets un commerce dont les plaisirs étoient émoussés par une longue habitude; mais elle ne pouvoit, sans une peine extrème, se voir dépouiller de la puissance qu'elle exerçoit dans la plus brillante cour de l'Europe, ni renoncer à l'éclat de la grandeur royale, dont elle étoit environnée. Elle aima mieux humilier son orgueil que de sacrifier les intérêts de son ambition. C'est ainsi que, comme une nouvelle Livie, elle chercha à inspirer du goût au roi pour une de ses nièces, la duchesse de Nevers, fille aînée de madame de Thianges, jeune et belle personne, pleine de graces et d'esprit. La duchesse de Nevers se seroit volontiers prêtée à ces projets, puisqu'elle se livra depuis à M. le Prince, fils aîné du grand Condé, un des hommes les plus laids de son temps, mais aussi un des plus spirituels, des plus galants et des plus |