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Qu'un seul instant de sa présence
Peut me guérir incontinent.

« Bois, champs, ruisseaux, et nymphes des prés «me touchent plus guère depuis qu'avez enchaîné le bonheur près de vous; aussi compté« je partir bientôt.» On voit aussi par cette lettre que Racine, par les conseils duquel notre poëte s'étoit rendu à Château-Thierry, s'oublioit facilement, et oublioit un peu ses amis quand il étoit amoureux de la Champmeslé: « M. Racine << avoit promis de m'écrire : pourquoi ne l'a-t-il « pas fait? Il auroit sans doute parlé de vous, << n'aimant rien tant que votre charmante per«sonne: c'auroit été le plus grand soulagement << à la peine que j'éprouve à ne plus vous voir. « S'il savoit que j'ai suivi en partie les conseils <«< qu'il m'a donnés, sans cesser pourtant d'être « fidèle à la paresse et au sommeil, il auroit peut-être, par reconnoissance, mandé de vos « nouvelles et des siennes : mais véritablement je l'excuse; aussi bien les agréments de votre « société remplissent tellement les cœurs que les << autres impressions s'affoiblissent. »

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Les louanges que notre poete donne à la Champmeslé n'étoient pas exagérées; elle eut toujours une cour très nombreuse; et dans une

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autre lettre que La Fontaine lui écrivit de la campagne, lorsque Louis XIV étoit au fort de ses conquêtes, et qu'elle se trouvoit entourée par beaucoup d'adorateurs, il lui dit: « Tout « sera bientôt au roi de France, et à mademoi« selle de Champmeslé. » Nous voyons par cette même lettre que La Fare, bien connu de La Fontaine à cause de sa grande intimité avec madame de La Sablière, étoit souvent chez la Champmeslé. Son amant en titre étoit M. de Tonnerre, qui supplanta Racine. Ce qui fit faire sur ce grand poëte ce mauvais jeu de mots: « Qu'il avoit été déraciné par le tonnerre. » La Fontaine, qu'amusoit beaucoup la gaieté folâtre de M. de Tonnerre, exprime dans sa lettre le regret de ne plus se trouver exposé à ses ni

ches et à ses brocards.

La Champmeslé aimoit la société de notre poëte, et avoit pour lui de grandes bontés: « Vous êtes, lui dit-il, la meilleure amie du monde, « aussi bien que la plus agréable. » Quoiqu'elle eût alors plus de trente ans, et lui plus de cinquante, ce n'étoit pas sa faute si elle étoit seulement son amie : la dédicace du conte de Belphẻgor2 en fait foi; et à cet égard on ne peut s'ex

La Fontaine, Lettres à divers, 15, t. VI, p. 520.

2 Ibid., Contes, 7. t. III, p. 525.

primer plus clairement, mais aussi il est impossible de mettre dans un tel aveu plus d'enjouement, d'esprit et de grace.

De votre nom j'orne le frontispice
Des derniers vers que ma Muse a polis.
Puisse le tout, ô charmante Philis!
Aller si loin que notre lôs' franchisse

La nuit des temps! Nous la saurons dompter,
Moi par écrire, et vous par réciter.

Nos noms unis perceront l'ombre noire;
Vous régnerez long-temps dans la mémoire,
Après avoir régné jusques ici

Dans les esprits, dans les cœurs même aussi.
Qui ne connoît l'inimitable actrice
Représentant ou Phédre ou Bérénice,
Chimène en pleurs, ou Camille en fureur?
Est-il quelqu'un que votre voix.n'enchante?
S'en trouve-t-il une autre aussi touchante,
Une autre enfin allant si droit au cœur?

De mes Philis vous seriez la première,
Vous auriez eu mon ame tout entière,
Si de mes voeux j'eusse plus présumé:
Mais en aimant, qui ne veut être aimé?
Par des transports n'espérant pas vous plaire,
Je me suis dit seulement votre ami,
De ceux qui sont amants plus d'à demi:
Et plût au sort que j'eusse pu mieux faire!

Si l'on en croit Furetière l'accomplissement du

Renommée.

vou exprimé dans cette dédicace en fut la récompense. « La Champmeslé en a fait le paiement, dit-il, d'une manière fort plaisante, et que je ne rapporterai point ici, parcequ'elle est assez connue de tout le monde'.» Un bon mot de Racine, que J.-B. Rousseau nous a transmis, prouve assez la grande facilité de la Champmeslé, et ajoute encore à la probabilité de l'inculpation de Furetière. Racine, lorsqu'il aimoit la Champmeslé, n'ignoroit pas qu'il partageoit ses faveurs avec plusieurs autres amants, et même avec son mari. Un jour que ce dernier cajoloit une jeune servante, fort coquette, et dont le commerce offroit peu de sécurité, Racine qui se trouvoit présent l'arrêta, en disant: « Ah! Champmeslé, prends-y garde, ce jeu n'est pas sûr; tu veux donc nous gâter tous. » Ce mot parut si plaisant, que Boileau et Racine se trouvant en gaieté avec d'autres jeunes gens de leur âge en composèrent une épigramme, que depuis les éditeurs de Boileau, mais non pas lui, ont insérée dans ses œuvres 2.

Furetière, Recueil de factums contre l'académie, 1694, t. I, p. 292.

2 J.-B. Rousseau, Lettres sur différens sujets de littérature, 1750, in-12, t. II, p. 37, lettre en date du 15 octobre 1715. L'éditeur de ces lettres est Racine le fils, qui ne dément pas le mot attribué à son père par Rousseau, ni la part que l'auteur d'Athalie eut à l'épigramme. Au reste, le bon mot qui en fait le sujet a été connu de madame de Sévigné, qui l'attribue à un comédien ; Lettres de madame de Sévigné, t. II, p. 35, en date du 8 avril 1671.

La lettre que La Fontaine avoit adressée à la Champmeslé est datée de la campagne en 1678; il alloit quelquefois passer l'automne au château des Cours près de Troyes, avec une société choisie, rassemblée par M. Rémond des Cours, frère du fermier général'. On y composoit des pièces de vers, et c'est dans cette société que paroissent avoir été faits ces vers pour des bergers et des bergères, dans une fête donnée à Troyes en 1678, que Grosley a publiés le premier'.

En général notre poëte s'éloignoit peu de Paris et des campagnes qui l'entourent. Depuis son retour de Limoges, ses plus longs voyages furent à Château-Thierry, à Reims, ou à Troyes; cependant Brossette nous dit que La Fontaine se rendit une fois à Lyon chez un riche banquier de ses amis, nommé Caze. Il y vit M. du Puget, plus connu comme physicien que comme poëte, et qui lui communiqua un apologue en vers, intitulé le Chien politique; il avoit pour but de critiquer la mauvaise administration des deniers publics, dont on accusoit les magistrats de la ville de Lyon. Ceci donna l'idée à notre poëte de traiter le même sujet, et il écrivit alors la fable du Chien qui porte à son cou le diner de son maître3,

1 Adry, Notes sur la vie de La Fontaine, édit. de Barbou, 1806, p. 27,

2 La Fontaine, Poésies diverses, 5, t. VI,

3 La Fontaine, Fables, VIII, 7, t. II, p. 69.

p. 196.

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