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libertines pouvoient être présentées en termes décents. Ferrand ajouta que la pensée étoit tellement indépendante des mots, que les sentiments les plus délicats pouvoient s'exprimer en mots obscènes. Cette assertion parut si paradoxale, qu'il fut fait défi à Ferrand de justifier sa proposition par un exemple. Le lendemain, pour répondre à ce défi, il lut en présence de la princesse et de son académie les vers dont Gudin a fait l'éloge, et dont la pensée est que l'union des cœurs sans les jouissances de l'amour ne suffit point au bonheur, mais qu'aussi les jouissances de l'amour ne sont rien sans l'union des cœurs'. Il étoit important pour l'honneur de La Fontaine de le justifier de l'accusation de Gudin, et qu'on ne pût lui attribuer les vers par lesquels Ferrand n'a que trop bien prouvé la thèse qu'il

avoit soutenue.

Nous avons remarqué le goût particulier de La Fontaine pour tous les genres de compositions qui rappeloient notre ancienne poésie. Dans les recueils de Contes qui précédèrent celui dont nous nous occupons ici, il avoit inséré des ballades et des arrêts d'amour. Dans celui-ci

Lettre de M. le marquis Garnier à l'auteur, en date du 12 janvier 1821. Les vers de Ferrand s'y trouvent transcrits. M. Garnier pensoit qu'ils n'avoient jamais été imprimés; on m'a assuré qu'ils l'étoient; je ne suis pas assez érudit en ces matières pour décider ce point de critique.

il mit un blason, sorte de petit poëme dont le nom et la nature étoient tout-à-fait oubliés. Nos anciens poëtes entendoient par le mot blason la louange ou le blâme continu de la chose qu'on vouloit blasonner. Ce mot étoit encore en usage du temps d'Amyot. Cet auteur appelle une épitaphe un blason funéral. Les blasonneurs devoient écrire en rimes plates et en petits vers. Les plus grands vers ne devoient pas excéder huit ou dix syllabes. Le blason de La Fontaine est intitulé Janot et Catin1. Ce dernier nom dans l'ancien langage est le diminutif de Catherine, et Ronsard donne encore le nom de Catin à la reine Catherine de Médicis. La Fontaine dit au sujet de Janot et Catin: «J'ai composé ces stances en vieux style, à <«< la manière du blason des fausses amours et de celui des folles amours, dont l'auteur est in« connu. Il y en a qui les attribuent à l'un des << Saint-Gelais. Je ne suis pas de leur sentiment, «et je crois qu'ils sont de Cretin. » On pense aujourd'hui que le blason des faulces amours est de Guillaume Alexis, religieux de Lire, prieur de Bussy ou Buzy, au diocèse d'Évreux, qui vivoit vers 1480 2. Quant à l'autre, il n'est pas bien sûr

"

La Fontaine, Poésies diverses, 4, t. VI, p. 190.

› Le Duchat, dans la préface de son édition du Blason des fausses amours, à la

suite des Quinze joies du mariage, La Haye, 1726, in-12, p. 214.

qu'il soit de Cretin, et Coustelier ne l'a point inséré dans l'édition qu'il a donnée de ce poëte. Au reste, l'imitation de La Fontaine est excellente, et l'on croit lire les vers simples et naïfs d'un de nos vieux poëtes, qui, sans changer son langage, et sans rien perdre de ses graces d'autrefois, est devenu pour nous parfaitement intelligible.

Il est probable que plusieurs des contes de ce recueil furent d'abord imprimés à part. Nous en avons la preuve, du moins pour le conte des Troqueurs, que nous avons retrouvé dans un recueil de pièces diverses formé par Huet'. Ce conte s'y trouve imprimé en grosses lettres italiques sur une feuille in-4° de huit pages. Il n'est signé que par les initiales de l'auteur M. D. L. F. Sans doute que le savant évêque l'avoit reçu de La Fontaine lui-même; car Huet, dans sa propre vie qu'il a écrite en latin, nous apprend que c'est précisément à l'époque où nous sommes arrivés, en 16742, qu'il fit connoissance avec La Fontaine; et il met au nombre des années heureuses celle pendant laquelle il acquit cet ami, aussi remarquable par sa candeur et sa bonté, que par son esprit et ses talents. Le conte des Troqueurs, dans cette première impression, et

1 Huetii, varia variorum, t. V, 24° pièce. Notre cabinet de livres en renferme aussi un exemplaire: ces deux sont les seuls que nous ayons vus jusqu'ici.

a Huetü, Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, p. 315 et 316.

dans les deux éditions du recueil dont nous avons parlé, contient à la fin dix vers que l'auteur a retranchés depuis, et qu'aucun éditeur moderne n'a connus'. Mais on a bien remarqué que La Fontaine avoit supprimé du conte de Abbesse celui de Dindenaut, qui s'y trouvoit intercalé dans les deux éditions du recueil dont nous venons de faire mention'. Tout ceci prouve La Fontaine travailloit ses ouvrages avec plus de soin qu'on ne pense, puisque ses Contes, qui sont écrits avec beaucoup de négligence, en comparaison de ses Fables, offrent des variantes aussi considérables. Nous verrons par la suite qu'il ne craignoit pas de refaire en entier celles de ses fables dont il n'étoit pas satisfait.

que

Du reste, La Fontaine, dans ses nouveaux Contes comme dans les précédents, quand il parle de lui-même, ne dissimule rien, et se montre franc épicurien. Dans le Diable de Papefiguière, il fait, d'après François Rabelais, la peinture du pays de Papimanie, où tout le monde prospère, par opposition à celui de Papefiguière, maudit de Dieu, habité par les démons, auxquels tout tourne à mal:

Maître François dit que Papimanie

La Fontaine, Contes, IV, 4, t. III, p. 374.

2 Ibid., 3, t. III, p. 364.

qua

Est un pays où les gens sont heureux;
Le vrai dormir ne fut fait que pour eux:
Nous n'en avons ici que la copie.

Et, par saint Jean, si Dieu me prête vie,
Je le verrai ce pays où l'on dort.

On y fait plus, on n'y fait nulle chose;
C'est un emploi que je recherche encor.
Ajoutez-y quelque petite dose

D'amour honnête, et puis me voilà fort'.

La réputation dont La Fontaine jouissoit mande le brouiller avec Benserade. Ce bel esprit, dont la renommée comme poëte étoit alors très grande, s'étoit avisé de mettre en rondeaux toutes les métamorphoses d'Ovide. Cet ouvrage, supérieurement imprimé aux dépens du roi, et orné de figures, parut in-4° en 1676. Il n'eut point de succès, mais il donna lieu à un rondeau épigrammatique, qui en eut beaucoup plus que tous ceux que Benserade avoit composés :

A la fontaine où l'on puise cette eau
Qui fait rimer et Racine et Boileau,
Je ne bois point, ou bien je ne bois guère;
Dans un besoin, si j'en avois affaire,
J'en boirois moins que ne fait un moineau.
Je tirerai pourtant de mon cerveau
Plus aisément, s'il le faut, un rondeau,
Que je n'avale un plein verre d'eau claire
A la fontaine.

La Fontaine, Contes, IV, 6, t. III, p. 382.

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