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DE LA VIE ET DES OUVRAGES

DE

J. DE LA FONTAINE.

LIVRE PREMIER.

JE

1621-1661.

E me propose d'écrire la vie de La Fontaine, ou plutôt je vais entretenir mes lecteurs de La Fontaine et de ses ouvrages; car aucun évènement digne d'être raconté n'a signalé le cours de sa longue et heureuse carrière. Ses premières poésies, dès qu'elles parurent, lui acquirent une grande réputation. Il fut chéri et loué par les écrivains les plus illustres de son temps; les hommes les plus remarquables par leurs hauts faits, leurs talents, leur puissance ou leurs richesses, les femmes les plus célébres par le rang, les graces ou l'esprit, recherchèrent sa société,

HIST.

I

protégèrent ou charmèrent ses loisirs': l'amitié lui épargna même jusqu'aux soins et aux soucis de sa propre existence. Il laissa doucement couler ses jours, et s'abandonna sans contrainte à ses goûts et à son génie. Après sa mort, par reconnoissance pour lui, sa famille fut dispensée d'acquitter les charges publiques; et lorsque la gloire, la science, la vertu, l'innocence et la beauté ne pouvoient fléchir le cœur des bourreaux de la France, le nom seul de La Fontaine sauva d'une mort inévitable ses derniers descendants2. Enfin, de nos jours où l'on s'est plu à déprécier le grand siècle qui le vit naître, non seulement il échappa à l'ingratitude de cette envieuse postérité, mais presque tous ceux qui voulurent le peindre lui prêtèrent, dans leurs Notices ou leurs Éloges, des vertus qu'il n'avoit pas. L'enthousiasme qu'ont fait naître ses délicieux ouvrages n'est pas la seule cause de cette disposition de tous à la bienveillance pour ce qui le concerne. La bonté, qui faisoit le fonds de son caractère, et qui se manifeste dans ses écrits, exerce sur les ames un empire plus puissant que

го

Walck., 1 édition de l'Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, 1820, in-80, p. 339, note 1.

Madame la comtesse de Marson, arrière-petite-fille de La Fontaine, et ses enfants. Voyez Creuzé de Lesser, Fables de La Fontaine, édit. 1813, in-8°, Didot alné, tome I, p. xxix, et Walck., 1" édit., p. 340, note 2.

le génie même: celui-ci excite l'admiration, mais l'autre inspire l'amour; et l'amour veut être indulgent pour l'objet de ses affections. Cependant, si La Fontaine pouvoit reparoître un instant parmi nous, il nous diroit: Ce n'est point servir ma mémoire selon mon gré que de s'écarter du vrai et du naturel. J'ai donné dans mes Fables des leçons de sagesse pour tous les rangs et pour tous les âges; mais vous le savez, je n'ai pas toujours été sage dans ma conduite et dans mes vers. Si vous parlez de moi, que ce soit donc, comme je l'ai fait moi-même, sans dissimulation et sans

réserve.

JEAN DE LA FONTAINE naquit le 8 juillet 1621, à Château-Thierry, de Charles de La Fontaine, maître des eaux et forêts, et de Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers'. Sa famille étoit fort ancienne, et il fut, comme on le verra par la suite, victime des prétentions qu'elle avoit à la noblesse 2. Son éducation paroît avoir été négligée, et on croit qu'il étudia d'abord dans une école de village, ensuite à Reims3, ville pour

› Pièces justificatives à la fin du volume; Mémoires de Coulanges, p. 505; d'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-4o, p. 277; Walck., 1" édit, p. 341, note 3. 2 Pièces justificatives; La Fontaine, Épîtres, épit. vi, t. VI, p. 76 et 77, note I; Walck., 1 édit., p. 341, note 4.

3 D'Olivet, Histoire de l'académie françoise, in-4o, p. 304; Fréron, Fables de la Fontaine, édit, de Barbou, 1806, in-12, p. VI.

V

łaquelle il avoit une prédilection particulière. Lorsqu'il eut terminé des études imparfaites, un chanoine de Soissons, nommé G. Héricart, lui. fit présent de quelques livres de piété', et il crut avoir du penchant pour l'état ecclésiastique. Ce n'est pas une des moindres singularités de cet homme célébre, lorsque l'on considère son caractère, ses goûts, les inclinations qui l'ont dominé pendant tant d'années, et la nature d'un grand nombre de ses écrits, de voir le commencement et la fin de sa vie consacrés à la religion et à la piété. Il fut reçu à l'institution de l'Oratoire le 27 avril 1641. Son exemple y attira la même année, au mois d'octobre, Claude de La Fontaine, son frère puîné, qui persista dans sa résolution, se fit prêtre, et en 1649 donna tous ses biens à son frère Jean, à condition que celuici lui paieroit une rente viagère. Claude resta à l'institution de l'Oratoire jusqu'en 1650, et se retira ensuite à Nogent-l'Artaut, où il est mort du vivant de son frère. Jean avoit été envoyé au séminaire de Saint-Magloire le 28 octobre 1641; mais, bientôt ennuyé de ce genre de vie, il en sortit après y être resté environ un an2.

Entre autres, d'un Lactance, édit. de Lyon, 1548; Voyez Adry, Fables de La Fontaine, édit. de Barbou, p. xxII, note 2.

2 Adry, Fables de La Fontaine, édit. de Barbou, 1806, p. xxII, note 2.

Rentré dans le monde, La Fontaine fit bientôt voir par les inclinations qui le dominèrent combien il s'étoit mépris sur sa vocation. Dans le journal manuscrit d'un contemporain de sa jeunesse, nous apprenons que dès-lors notre poëte se fit remarquer par ses distractions, son indolence et son vif penchant pour les plaisirs. Son père, s'étant rendu à Paris pour suivre un procès, l'avoit emmené avec lui. Il le chargea un jour d'un message pressé, en lui disant que de sa célérité dépendoit en partie le succès de son affaire. La Fontaine sort, rencontre quelques uns de ses camarades, se met à causer avec eux; et, oubliant son message, il se laisse conduire à la comédie: ce ne fut qu'à son retour que les reproches de son père lui rappelèrent ce dont il s'étoit chargé, et lui firent connoître la faute qu'il avoit commise. Une autre fois, en revenant de Paris à Château-Thierry, il avoit attaché à l'arçon de sa selle des papiers de famille de la plus grande importance; ils se détachèrent et tombèrent sans que La Fontaine, occupé à rêver, s'en aperçût. Le courrier de l'ordinaire passe quelques minutes après, voit un paquet

1 Gédéon Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrits intitulés Historiettes. Au sujet de ce manuscrit voyez nos préfaces des OEuvres complètes de La Fontaine, 1823, in-8°, t. VI, p. xIII, et des Nouvelles œuvres de J. de La Fontaine, 1820, in-8°, p. XI.

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