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universellement admis que le berceau du théâtre en France ne remontait guère au delà des représentations données par les Confrères au bourg de Saint-Maur, vers 1398, et à Paris, dans une salle de l'hôpital de la Trinité, en 1402. Depuis quelques années, des efforts mieux dirigés et de nombreux travaux, dont l'initiative appartient surtout à MM. l'abbé de la Rue, Raynouard et Fauriel, ont permis d'établir, par une série continue de témoignages et de textes, que le drame, sinon le théâtre, n'a jamais été interrompu en France, ni dans aucune autre contrée de l'Europe, et que, sous une forme plus ou moins éloignée de celle que nous lui voyons aujourd'hui, le génie dramatique n'a pas cessé de se produire, soit dans les carrefours et les marchés, soit dans les palais et les donjons, soit dans les abbayes et les cathédrales, en suivant, comme il était inévitable que cela fût, les vicissitudes de politesse et de barbarie qu'ont éprouvées, pendant les époques correspondantes, la langue et la civilisation. Si donc MM. Monmerqué et Francisque Michel n'avaient pas cru devoir borner leurs recherches aux monuments du théâtre français proprement dit, c'est-à-dire à l'époque des premiers bégaiements de notre langue, rien ne les aurait empêchés de réunir un assez grand nombre de reliques dramatiques antérieures au xro siècle; mais, leur plan arrêté, comme nous l'avons dit, ils ont dû commencer leur volume par l'office dialogué, demi-latin et demi-roman, des vierges sages et des vierges folles, le plus ancien drame ou mystère connu jusqu'ici, où apparaisse, au milieu du latin expirant, l'emploi d'un idiome moderne.

A la suite de ce monument bilingue et peut-être trilingue (car, outre le latin et le provençal, qui y sont de toute évidence, M. Fauriel a cru reconnaître dans quelques vers de cette pièce des traces de langue française), MM. Monmerqué et Francisque Michel ont donné place à un mystère de la résurrection de notre Sauveur, malheureusement incomplet, dont la rédaction française, ou plutôt anglo-normande, paraît de la seconde moitié du xır° siècle, quoique la copie ne soit que de la première moitié du XIII. Ce fragment, déjà publié séparément par M. Jubinal, est jusqu'ici le plus ancien mystère qui nous soit parvenu en langue moderne1. Nous passons de là tout d'un trait à la seconde moitié du xí° siècle. Cette période, si riche en productions poétiques, nous offre ici pour le théâtre 1° trois jeux composés par Adam de la Halle, poëte et musicien, surnommé le Bossu d'Arras, savoir: Li jus de la feuillie, Li jus

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Voy. La Résurrection du Sauveur, fragment d'un mystère inédit, publié avec une traduction en regard, par M. Achille Jubinal, d'après le ms. unique de la bibliothèque du Roi; Paris, Techener, 1834, in-8° de 35 pages.

du pelerin, et Li gieus de Robin et de Marion, trois fort jolies pièces, qui appartiennent à un genre tout à fait différent des drames qui précèdent et de ceux qui suivent; elles sont reproduites ici par M. Monmerqué, avec la musique notée, après avoir été publiées par lui dans le volume de 1822 de la collection presque inédite des bibliophiles; 2° Li jus de Saint-Nicholai, miracle composé par Jean Bodel, pour être représenté avec grand appareil sur un échafaud en place publique, et déjà inséré par l'éditeur dans le volume de 1838 de la société des bibliophiles; 3° une autre pièce, le miracle de Théophile, composé par le trouvère Rutebeuf, et mis pour la première fois au jour par l'éditeur de ce poëte, M. Achille Jubinal 1; 4° une sorte de complainte à trois personnages, également publiée déjà par M. Jubinal, et intitulée : Le jeu de Pierre de la Broche (Broce), chambellan de Philippe le Hardi, qui fat pendu le 30 juin 1278, lequel dispute à Fortune par devant Reson. C'est une espèce de moralité demi-tragique, qui doit, je pense, avoir été chantée par des ménétriers2 dans les foires et les marchés du Brabant et du nord de la France pendant la détention et le procès du favori disgracie. Tel est, dans ce recueil, le contingent du xm° siècle. Nous pourrions signaler plusieurs pièces que nous regrettons de n'y pas voir; mais nous croyons plus équitable de remercier les laborieux éditeurs de tout ce qu'ils sont parvenus à rassembler. On conçoit d'ailleurs que des motifs de délicatesse les aient empêchés d'enrichir leur recueil de divers morceaux récemment mis en lumière, et dont la reproduction trop hâtive aurait pu être préjudiciable aux éditeurs. C'est vraisemblablement à un scrupule de ce genre qu'il faut attribuer l'absence regrettable de deux drames religieux du xi° siècle, savoir: 1° le Ludus super iconia Sancti Nicholai3, qui a précédé le jeu de Jean Bodel sur le même sujet; 2° le petit mystère intitulé: Sascitatio Lazari, composés l'un et l'autre par Hilaire, disciple d'Abélard. Ces deux pièces, où le latin domine, se rattachent au

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Paris, 1839; 2 vol. in-8°. Ce miracle avait déjà été donné séparément par le même éditeur; Paris, Édouard Pannier, 1838, in-8° de 40 pages. C'est l'opinion de Legrand d'Aussy. Voy. Fabliaux ou contes du x11' et du x111' siècle; Renouard, 1829, 5 vol. in-8°, t. II, p. 201-203; notes au Jeu du berger et de la bergère. M. Achille Jubinal attribue une autre destination à cette pièce. Voy. La complainte et le jeu de Pierre de la Broche, in-8°, 1835, p. xix, et Mystères inédits du xv siècle, préface, p. xx.-3 Voy. Hilarii versas et ladi, Lutetiæ Parisiorum, Techener, 1838, petit in-8°, publié par M. Champollion. Le même miracle de saint Nicolas a fourni le sujet d'un autre drame monastique tout latin, à peu près de la même époque, et que M. Monmerqué a publié dans le volume de 1838 de la Société des bibliophiles, d'après un précieux manuscrit de l'abbaye de Saint-Benoît-Fleury, aujourd'hui dans la bibliothèque d'Orléans.

théâtre français, au même titre que le jeu des vierges sages et des vierges folles, c'est-à-dire par le mélange de la langue vulgaire et du latin1.

On a remarqué avec raison que le xiv' siècle, qui, en France, n'est point dépourvu de bons prosateurs, a été, en poésie, d'une stérilité extrême. Cependant cette période a fourni plus des deux tiers du présent volume, environ 460 pages sur 672. Tout cet espace est occupé par neuf miracles de Notre-Dame, qui étaient restés jusqu'à présent inédits. M. Francisque Michel les a extraits de deux volumes manuscrits, qui ont passé, en 1733, de la bibliothèque de M. de Cangé dans celle du Roi, et dont l'écriture est des premières années du xv° siècle.

Ces deux précieux volumes ne renferment pas moins de quarante miracles ou jeux dramatiques, dans chacun desquels la Vierge remplit, suivant l'expression de M. Paulin Paris2, le rôle du Deus ex machina de la comédie antique. Deux seulement de ces miracles avaient vu le jour sous les auspices de M. Édouard Frère, libraire de Rouen; c'étaient : 1o le miracle de Nostre-Dame, de Robert-le-Dyable, filz du duc de Normendie, a qui il fu enjoint pour ses meffais que il feist le fol, sanz parler; et depuis ot Nostre-Seigneur mercy de ly, et espousa la fille de l'empereur; 2° le miracle de Nostre-Dame et de saincte Bautheuch [Bathilde], femme du roy Clodoveus, qui pour la rebellion de ses ij enfans leur fist cuire les jambes : dont depuis se revertirent et devindrent religieux. Peut-être ne lira-t-on pas ici sans intérêt les titres des neuf miracles publiés par les deux savants éditeurs. Ces titres feront voir à quelles imaginations singulières et romanesques on mêlait, au xive siècle, le culte de la Vierge. Ces pièces sont: 1° le miracle d'Amis et Amille, lequel Amille tua ses ij enfans pour gairir Amis son compaignon qui estoit mesel (lépreux), et depuis les resuscita Nostre-Dame; 2° un miracle de saint Ignace; 3° le miracle de saint Valentin que un empereur fist decoler devant sa table et tantost s'estrangla l'empereur d'un os qui lui traversa la gorge et dyables l'emporterent; 4° le miracle de Nostre-Dame comment elle garda une femme d'estre arse; 5° le miracle de Nostre-Dame et de l'empereris de Romme que le frère de l'empereur accusa pour la fere destruire, pour ce qu'elle n'avoit volu faire sa voulenté; 6° le miracle de Nostre-Dame, comment Ostes, roy d'Espaingne perdi sa terre par gagier contre Berengier qui le tray et li fist faux entendre de sa femme, en la bonté de laquelle Ostes se fioit;

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'Le recueil des poésies d'Hilaire contient un troisième mystère, mais tout latin, et intitulé: Historia de Daniel repræsentanda.- Voy. Manuscrits de la bibliothèque du Roi, t. VII, p. 331.

et depuis le destruit Ostes en champ de bataille; 7° le miracle de Nostre-Dame, comment la fille du roy de Hongrie se copa la main, pour ce que son pere la vouloit espouser, et un esturgon la garda (cette main) vij ans en sa mulete (son estomac); 8° le miracle de NostreDame, du roy Thierry, à qui sa mere fist entendre que Osanne sa femme avoit eu iij chiens; et elle avoit eu iij filz: dont il la condampna à mort, et ceulx qui la doient pugnir la mirent en mer; et depuis trouva le roy ses enfans et sa femme; 9° le miracle de Nostre-Dame, coment le roy Clovis se fist crestienner à la requeste de Clotilde sa femme, pour une bataille que il avoit contre Alemans et Senes (Saxons), dont il ot la victoire, et en le crestiennent envoya Diex la sainte ampole.

Certes, c'est un véritable service rendu aux lettres que la publication de ces neuf drames ou miracles fondés sur des légendes variées et piquantes, et dont le dénoûment seul est monotone. Mais, au risque de paraître insatiables, nous regrettons que les savants éditeurs du Théâtre français au moyen âge aient borné là leur travail, et n'aient pas publié, dans un second volume, les vingt-neuf mystères restés inédits dans le manuscrit de Cangé. Il n'y a, par malheur, aucune apparence qu'ils soient dans l'intention, au moins prochaine, de donner un complément à leur ouvrage. Rien pourtant ne serait plus désirable. Le rapide inventaire que nous venons de dresser de cet intéressant recueil prouve suffisamment que, malgré ce qu'il renferme d'essentiel et de nouveau, il est assez loin pourtant de tenir tout ce que promet son titre. En effet, le répertoire du Théâtre français au moyen âge ne peut convenablement s'arrêter au XIVe siècle; un pareil recueil ne saurait demeurer vide des grands et nombreux mystères qui, au xv° siècle, foisonnent et s'épanouissent de toutes parts, selon l'heureuse expression d'un de leurs historiens1, comme l'exubérante architecture des églises auxquelles ils sont liés. Imagine-t-on notre théâtre d'avant la renaissance, sans la table de marbre de la grand' salle du palais? sans les moralités et les farces, sans les pois-pilés et les soties des Clercs de la basoche et des Enfants sans souci? Un recueil des œuvres de notre vieille scène serait-il complet sans un bon texte de Patelin, le chef-d'œuvre de la comédie avant Molière ?? Enfin, MM. Monmerqué et Francisque Michel peuvent-ils lé gitimement tracer leur exegi monumentum, tant qu'ils ne nous auront rien donné de l'âge héroïque des mystères; rien de cette époque culminante du drame au moyen âge, laquelle se trouve entre l'établisse'M. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française et du théâtre français au xvr' siècle, éd. Charpentier, p. 176. M. Monmerqué prépare, je crois, une édition critique de cette farce.

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ment des Confrères de la Passion à l'hôpital de la Trinité, en 1402, et la suppression, par arrêt du parlement, de toutes les pièces tirées de la sainte Écriture, en 1548? Nous comprenons fort bien que, fort bien que, dans cette prolixe époque des moralités et des mystères, il y ait beaucoup à choisir et à élaguer. Des drames qui se déroulaient en six, vingt et quelquefois quarante journées, et dont plusieurs renfermaient plus de quatre-vingt mille vers, ne peuvent guère se présenter aujourd'hui que par extraits. Cependant, il y a une, au moins, de ces colossales productions dont la publication intégrale est à désirer. Nous voudrions que le répertoire de notre théâtre gothique se terminât par l'ouvrage qui le résume, en quelque sorte, tout entier, c'est-à-dire, par un texte critique du mystère de la Passion, où l'on tâcherait de se rapprocher le plus possible de la rédaction primitive des Confrères du bourg de Saint-Maur et de l'hôpital de la Trinité. Mais ce travail est-il possible? Examinons.

On a cru longtemps que la fameuse Passion qui, depuis 1398 et 1402, a produit jusqu'à la fin du siècle un si vif enthousiasme, était définitivement perdue. Le père Niceron le déclare en termes formels : « Comme on n'a, dit-il, aucun manuscrit, ni aucune édition qui précède les changements faits par Jean Michel (pour la représentation d'Angers de 1486), on ne peut savoir en quoi ils consistaient.... » ni, par contre-coup, ce qu'était le texte original. Nous avons, pour notre part, plus de confiance en l'avenir. Des explorations récentes et heureuses nous permettent, sinon de remonter au texte même des Confrères, du moins de nous en rapprocher assez pour nous en former une idée plus exacte. Deux manuscrits de la Bibliothèque royale (no 7206 et 72062), soigneusement décrits par M. Paulin Paris, contiennent la copie d'un mystère de la Passion, « traicté à la requeste d'aucuns de Paris, par maistre Arnould Gresban. » Un de ces volumes (n°72062) porte la signature du copiste, Jacques Riche, prêtre indigne, et la date du 22 février 1472, date qui semble assurer à la rédaction ou révision d'Arnould Gresban l'antériorité sur celle de Jean Michel2. Ces deux ouvrages diffèrent beaucoup l'un de l'autre, non-seulement par le langage, mais par le nombre des parties. Si, comme il est naturel de le penser, l'œuvre la plus ancienne est la plus conforme à la rédaction primitive, on peut conclure de l'examen du texte de 1472, que ce qu'on appelait le mystère de la Passion, avant la révision de Jean Michel, contenait, outre un prologue de la Création, de l'invention de

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Tome XXXVII, p. 398.-2 On ne sait rien de la Passion de Jean Michel avant 1486. La première édition est un in-folio, sans lieu ni date; on peut la croire, à cause de l'orthographe, exécutée en province; la seconde est imprimée à Paris, pour Vérard, 1490. La Bibliothèque royale les possède toutes deux.

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