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pitres assez bouffons au roman de Lucilius. Le premier a pour auteur Baillet, qui commente ainsi le passage où Horace a reproché à Lucilius d'avoir fait souvent, croyant faire merveille, jusqu'à deux cents vers dans une heure, dictant sans relâche et sans peine, comme au pied levé.

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Horace, selon Baillet, dit que « Lucilius dictait ses vers debout sur un pied, tenant l'autre levé en l'air, ce qui passait pour une rareté fort singulière. » L'erreur naïve de Baillet, qui entend au propre une expression proverbiale, est divertissante; mais je suis presque aussi étonné de l'explication qu'en a donnée M. Van-Heusde, et contre laquelle jusqu'ici on a vainement réclamé3. Selon ce savant, par ces mots: stans pede in uno, Horace reprend, chez Lucilius, l'usage presque exclusif de l'hexamètre. J'ai parlé de deux chapitres le second, non moins plaisant que l'autre, est de la façon de Dacier à qui l'ont assez généralement emprunté sans défiance les biographes de Lucilius 5.

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A l'entendre, parmi les partisans du satirique, il y en avait de si outrés, qu'ils couraient les rues avec des fouets sous leurs robes pour frapper tous ceux qui oseraient dire du mal des vers de leur poëte favori, et cet acte de tyrannie littéraire, assurément unique dans l'histoire de la poésie, avait lieu environ soixante-dix ans après la mort de Lucilius, au temps où Horace est supposé avoir écrit le morceau, assez évidemment apocryphe, par lequel quelques manuscrits du dixième siècle font commencer la pièce qui termine son premier livre de satires. C'est de là en effet que Dacier a tiré ce qu'il raconte, avec une bonne foi comique, de l'enthousiasme persévérant et oppressif des admirateurs de Lucilius; mais il l'en a tiré, peu légitimement, par un contre-sens, comme on va le voir. Citons et traduisons d'abord le passage :

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Lucili, quam sis mendosus, teste Catone
Defensore tuo pervincam, qui male factos
Emendare parat versus : hoc lenius ille,
Est quo vir melior, longe subtilior illo,
Qui multum puer et loris et funibus udis
Exhortatus, ut esset opem qui ferre poetis

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Jugements des savants, t. III, 2° partie, p. 67.-2 Horat. Sat. I, IV, 9. Voyez ses Studia critica, p. 101, et son Epistola ad C.-Fr. Hermann, p. 26. Remarques sur les satires d'Horace, I, x, 2. Biographie universelle.

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Voyez, entre autres, l'article Lucilius de la

Antiquis posset contra fastidia nostra,

Grammaticorum equitum doctissimus...

Il me serait facile, Lucilius, de reprendre chez toi bien des fautes. Je n'en veux pour garant que Caton, ton défenseur cependant, qui s'apprête à corriger les vers. Il montre, au reste, un esprit de douceur digne d'un si honnête homme, et en même temps un goût plus fin que cet autre, dont l'enfance studieuse essuya maintes fois les étrivières, pour qu'il y eût un jour un chevalier, docte grammairien entre tous, qui pût venir en aide aux vieux poëtes contre nos injustes dégoûts. »

Chacun aperçoit je pense, de quelle étrange façon s'est mépris Dacier en interprétant ce passage: dans les mots : multum puer et loris et funibus udis exhortatus, il a négligé puer, si nécessaire, en même temps qu'il lisait, non sans autorité, exornatus. En conséquence il a traduit :

«Ce savant chevalier, qui a soin de se munir de bonnes étrivières et de bonnes cordes mouillées, pour venger de nos dégoûts les poëtes anciens. »

Je ne sais par quelle fatalité il est arrivé à M. Van-Heusde de remplacer l'erreur vieillie de Dacier, comme il avait fait celle de Baillet, par une erreur nouvelle 1; je ne crains point de le dire. Pour tout le monde, c'est Horace, juge quelque peu dédaigneux de Lucilius, que désignent ces mots : fastidia nostra. M. Van-Heusde le reconnaît, au contraire, dans celui qu'il est censé se donner pour adversaire, ce chevalier grammairien si rudement préparé à l'estime et à la défense des vieux poëtes. Véritablement y a-t-il à cela quelque vraisemblance? Horace, sans doute, avait tâté lui-même de cette éducation brutale et pédantesque; il avait transcrit, dans son enfance, sous la dictée du terrible Orbilius, les vers surannés de Livius Andronicus, et l'on sait qu'il en a gardé rancune2. Mais que son vieux maître ait compté sur lui pour être un jour le champion de l'antiquité latine déjà menacée par une école nouvelle; que Valerius Caton ait mieux répondu à ses espérances; qu'Horace, pour entrer dans la supposition de l'auteur des vers qu'on lui a prêtés, fasse ici allusion à ce mécompte, ce sont là des suppositions gratuites, un roman, comme je le disais tout à l'heure ; ajoutez qu'on ne nous explique pas comment le fils de l'affranchi, qui n'a jamais manqué de rappeler l'humilité de sa naissance et la médiocrité de sa condition, pourrait s'intituler magnifiquement chevalier. J'allongerais trop cet article si j'y faisais entrer ce qui me reste à dire du travail de la critique contemporaine sur la distribution du re

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cueil satirique de Lucilius, les sujets traités dans ses diverses pièces, le sens et le caractère de ses principaux fragments, travail où brillent également, mais avec un mélange regrettable de licence conjecturale, la science et la sagacité. J'en parlerai dans un prochain article, et j'ar riverai par ce chemin au livre dans lequel M. Corpet, mettant à profit les exemples bons et mauvais de ses devanciers, choisissant, avec indépendance et discernement, parmi leurs opinions, a fort heureusement résumé et complété cette œuvre collective.

PATIN.

THÉÂTRE français au moyen âge, publié d'après les manuscrits de la bibliothèque du Roi, par MM. L.-G.-N. Monmerqué et Francisque Michel (XI-XIVe siècle), Paris, Firmin Didot, 1839; un volume très-grand in-8° de 672 et XVI pages, sur deux

colonnes.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

Le premier morceau que MM. Monmerqué et Francisque Michel ont inséré dans leur recueil est tiré d'un manuscrit appartenant autrefois à l'abbaye de Saint-Martial de Limoges et actuellement à la Bibliothèque royale, n° 1139 du fonds latin. Ce précieux volume a été signalé successivement par l'abbé Lebeuf 2, par les bénédictins, auteurs de l'histoire littéraire de France 3, et plus récemment par MM. Raynouard et Fauriel 5, comme renfermant un mystère ou, ce que l'abbé Lebeuf et après lui les bénédictins appellent une tragédie en rimes latines du XIe siècle. Ces habiles critiques s'accordent à voir dans cette pièce, qu'ils analysent d'ailleurs très-sommairement, le plus ancien monument de la poésie dramatique en France. Mais, ni eux, ni personne, n'avaient, jusqu'en 1835, signalé plus d'un drame ou mystère dans le manuscrit de Saint-Martial. Il est vrai que l'abbé Lebeuf et M. Raynouard n'étaient point d'accord sur le sujet. L'abbé Lebeuf et les béné

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1 Voir le premier, dans le cahier de janvier 1846, p. 5.Etat des lettres en France depuis la mort du roi Robert, etc., p. 68. Histoire littéraire de France, t. VII, p. 127. Choix de poésies originales des troubadours, t. II, p. cxLv et 139143. Histoire de la poésie provençale, t. I, p. 255-257.

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dictins, qui n'ont fait que le transcrire, n'ont vu, ou du moins ne parlent que d'un mystère latin de la Nativité, où Virgile vient mêler sa voix à celles des prophètes dans l'adoration du Christ nouveau-né. M. Raynouard, au contraire, désigne toute la partie du manuscrit de Limoges comprise entre les pages 53 et 58, comme une pièce nonseulement latine, mais mêlée de roman, et qu'il intitule Mystère des vierges sages et des vierges folles.

Ayant eu l'occasion en 1835, à la faculté des lettres, d'étudier, dans la chaire de M. Fauriel, ce précieux document dramatique, je crus y apercevoir, non pas seulement, comme mes savants prédécesseurs, un drame ou un mystère unique, mais bien trois mystères séparés et distincts, à savoir: 1° deux mystères complets, l'un tout en latin et l'autre en latin mêlé de langue romane; 2° un fragment de mystère tout latin. De plus je crus reconnaître un autre fragment latin d'un office dramatique ou mystère des Innocents, que l'on n'avait pas signalé jusque-là. Pour qui sait la rareté des monuments de ce genre avant le XIIe siècle, il est aisé de comprendre de quelle importance il était, pour un investigateur des origines théâtrales, de pouvoir constater la présence de quatre mystères dans un manuscrit incontestablement du xime siècle. Depuis le moment où j'exposai à la Sorbonne les motifs sur lesquels je fondais ma conviction, j'ai revu, à plusieurs reprises, le manuscrit de Limoges et pesé de nouveau mes arguments je n'ai fait que m'affermir dans mes conclusions.

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M. Francisque Michel, en publiant pour la première fois dans son entier toute la partie du manuscrit 1139 contenue entre le feuillet 53 et le feuillet 58, a rendu un vrai service aux lettres; son texte, généralement exact, permettra à tous ceux qui ne peuvent avoir le manuscrit sous les yeux d'étudier ces reliques intéressantes de nos origines théâtrales. Quant à moi, je saisis volontiers l'occasion qui m'est offerte de soumettre à un auditoire plus étendu que celui de la Sorbonne mon opinion sur ce point délicat d'histoire littéraire.

Je viens de dire que l'âge du manuscrit de Saint-Martial est bien établi. L'abbé Lebeuf le place au règne de Henri Ie, entre 1031 et 1061; M. Raynouard le porte à la première moitié du x1° siècle, et ne paraît même pas éloigné de le faire remonter au x2. Enfin M. Fauriel a consigné une opinion analogue dans une note manuscrite dont j'ai dû la communication à son amitié, et dont M. Francisque Michel a donné un extrait en tête de son texte. On y peut voir que ce volume, pe

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Ouvrage cité, t. II, p. cxLv. Journal des Savants, cahier de juin, 1836.

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