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je te plains d'avoir perdu ton temps pour une femme; maintenant sois sage et va-t'en. Mais il faudrait, bon homme, contribuer au voyage de votre fils: on ne vit pas pour rien à Paris,

Pour nient n'est-on mie à Paris. ■

A cette requête judicicuse maître Henri fait la sourde oreille :
Las! dolans! ou seroit-il pris ?

Je n'ai mais que vingt-neuf livres...
Je sui un vieus hom plains de tous,
Enferm et plains de rume et fades.

Un médecin, qui entend ces doléances, raille plaisamment maître Henri sur ses maux:

Bien sai de coi estes malades.....

C'est un maus c'on clame avarice.

Puis le docteur part de là pour nommer sans miséricorde tous les habitants d'Arras atteints de la même maladie. De plus, maître Henri n'a pas accusé toutes ses infirmités: il a, comme plusieurs de ses voisins, tant rempli son tonneau, qu'il aura bientôt besoin d'appeler à son aide saint Léonard (ce saint secourait les femmes en travail). A ces mots, dame Douce, au maintien discret, venue de trois lieues avec une fiole de son eau, s'approche pour consulter l'Esculape, qui a bientôt deviné son fait, et le proclame en termes clairs et peu charitables. Mais, place! en ce moment vient s'installer, au centre de la foule, un moine de l'abbaye d'Haspre1, portant avec lui les reliques de saint Acaire, patron de son couvent. La châsse du saint a la vertu de guérir la folie : il ne faut que la toucher et déposer son offrande. Certes l'adroit quêteur a bien choisi le lieu de sa récolte; chacun s'empresse de mettre la main à la bourse, et de prier saint Acaire, non pas pour soi, mais pour ses amis et ses parents; toute la ville y passe. Cependant, un véritable idiot, criant, gesticulant, hochant le chef, est amené par son père; on le fait agenouiller à grand'peine; il touche les reliques, et extravague de plus belle. Le pauvre fou, avec l'à-propos qui distingue ses pareils, se heurte aux sujets les plus épineux, touche aux questions les plus brùlantes, à celle. entre autres, des censures de Rome et de la récente décrétale d'Alexandre IV contre les clercs bigames, c'est-à-dire qui ont épousé des veuves ou des filles de mœurs équivoques2. Maître Henri, qui en tient un peu, défend chaudement ces pauvres clercs, qu'on veut dépouiller de leurs charges,

'Monastère voisin de Valenciennes. ' Cette décrétale est du 13 février 1260.

soit de notaires, soit d'avocats de l'officialité, pour des peccadilles, dont les princes de l'Église ne se font pas faute :

:

Coment, ont prelat l'avantage

D'avoir femes à remuier (à rechanger),

Sans leur privilege cangier!

Et uns clercs si pert se franquise

Par espouser en sainte Église

Feme qui ait autre baron (qui ait eu déjà un mari)!

Il est bon de remarquer que le poëte ne nous a pas dit encore quel motif a réuni un aussi grand concours de bourgeois aux portes d'Arras, et il ne nous le dira pas, car aucun de ceux qui l'écoutent ne l'ignore. Il faut donc que nous le disions pour lui. On est au mois de mai1, et c'est une coutume immémoriale, que dame Morgue ou Morgane, la reine de féerie (la sœur du fameux roi Artus) vienne chaque année, à pareil jour, avec ses compagnes, prendre les rafraîchissements qu'on a soin de lui préparer sous une feuillée. Elle serait même déjà arrivée, sans ce moine et ses reliques, qui troublent la grande merveille de féerie. Le frère, que l'on prévient, se retire à l'écart, de manière pourtant à tout voir sans être vu. Déjà les fées sont en chemin; on écoute qu'est-ce? un bruit lointain de clochettes. Ce ne sont pas encore elles; c'est la troupe bruissante et si redoutée au moyen âge, nommée la mesnie Hellequin. Hellequin (vous pourriez bien l'ignorer) est le roi des enchantements; sa mesnie est son nocturne cortége. La mesnie Hellequin protége la demeure et la marche des fées; elle traverse les bois pendant la nuit, jetant l'épouvante partout où elle passe. On a beaucoup disserté sur Hellequin, dans ces derniers temps; on a rapproché son nom de ceux d'Eliscamps, d'Aleschans et d'Arlescamps, l'ancien cimetière païen de la ville d'Arles, devenu celui des martyrs de Roncevaux. Enfin, de transformation en transformation, le sombre roi des fantômes, Hellequin, Herlekin, Harleskin, est devenu peu à peu notre souple, notre aimable, notre innocent arlequin 2. Pour moi, jusqu'à plus amples preuves, je ne puis voir, dans ce chasseur nocturne et sa troupe bruyante, que les débris d'une vieille superstition du Nord, laquelle a longtemps donné lieu aux fêtes et aux mascarades du mois de mai3, que le chris

3

Voy. le lai de la Mesnie Hellequin, que nous citons plus bas, note 3.-M. Paulin Paris, qui avait émis cette opinion (Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, t. I, p. 322-325) ne l'a pas reproduite dans l'Histoire littéraire de France, t. XX.-3 Voyez, dans le roman allégorique de Fauvel (Catalogue des manuscrits français de la bibliothèque du Roi, no 6812), les premiers vers du lai qu'on chantait dans cette mascarade:

En ce doux tems d'été,
Tout droit au mois de may.

La mesnie Hellequin est encore très-populaire dans plusieurs de nos provinces, no

tianisme n'a pu détruire qu'en s'y associant. Ce qui est bien sûr, c'est que, pour Adam et ses auditeurs, Hellequin ou Herlekin était l'Erlenkanig du Nord (le roi des aulnes), l'Obéron, le Freyschütze, notre grand veneur de Fontainebleau. De même, en effet, que, dans le Rêve d'une nuit d'été de Shakespeare, Obéron, amoureux de Titania, la reine des fées, lui dépêche son courrier, le lutin Puck ou Robin-bon-diable, de même Hellequin, qui, dans le Jeu de la feuillée, prétend à la main de Morgue, envoie au-devant d'elle Croquessos, son coureur, pour la complimenter. Celui-ci s'élance sur le théâtre, vêtu comme un homme d'armes, et en fredonnant la chanson :

Me siet-il bien le chapeau ?

Nous voilà donc en pleine féerie. Rainnelès, le prudent bourgeois, voudrait bien être dans sa maison. Enfin arrivent les trois fées, Morgue, Maglore et Arsile, qui prennent place autour d'une table chargée de mets qu'Adam et Riquèce ont fait préparer pour elles. Mais, ô malheur! il manque à Maglore un coutel1. La fée ressent au vif cette négligence, qui lui paraît un affront. Morgue, au contraire, très-satisfaite, propose de récompenser les ordonnateurs de la fête en monnaie de fée:

Belles douces compagnes, dit-elle, regardez comme tout est ici beau, clair et net. Il est juste que celui qui a pris soin de préparer si bien ce lieu reçoive un beau don de nous.

Alors, commençant à douer Riquèce Aurri, elle veut qu'il ait beaucoup d'argent; et, venant à son compagnon, elle veut qu'Adam soit le clerc le plus amoureux de toutes les contrées du monde :

Je voeil qu'il ait plenté d'argent;

Et de l'autre vocil qu'il soit teus (tel)
Que che soit li plus amoureus

Qui soit trouvés en nul païs.

Arsile octroie à maître Adam d'être gai et bon faiseur de chansons, et à Riquèce d'avoir toutes marchandises bien venantes et qui multiplient. Par malheur, les dons de Maglore seront bien différents. Elle veut que Riquèce soit chauve et n'ait pas un cheveu sur le devant de la tête; et quant à l'autre, qui se vante d'aller aux écoles de Paris, elle veut qu'il n'en fasse rien, qu'il s'acoquine à la compagnie d'Arras et s'oublie entre les bras de sa femme, qui est jeune et amoureuse :

tamment en Anjou.-M. Paris traduit coutel par couteau, M. Francisque Michel par tapis. Lequel choisir? Je ferai seulement remarquer que nous verrons Adam employer, dans Robin et Marion, le mot coutel dans le sens de couteau.

Je di que Rikiers soit pelés
Et qu'il n'ait nul cavel devant.
De l'autre qui se va vantant
D'aler à l'escole à Paris,
Voeil qu'i soit si atruandis
En la compaignie d'Arras,
Et qu'il s'ouvlit entre les bras

Se feme, qui est mole et tenre.

Cela fait, la reine Morgue donne audience au messager de Hellequin. Elle lui déclare que le digne seigneur perd ses peines; elle a tourné son cœur d'un autre côté; elle aime un preux damoiseau d'Arras, Robert Soumeillons, le prince du puy, qui sait d'armes et de cheval plus qu'homme vivant. Elle est charmée surtout de ses succès récents au tournoi de Montdidier, d'où il a rapporté bon nombre de horions sur la poitrine, les bras et les épaules. Mais il court bien d'autres bruits sur le sire; on assure que c'est le plus déloyal et le plus trompeur des galants, qui soit entre la Lys et la Somme. Aussi, reporte-t-elle ses affections sur Hellequin.

Cependant, avant de quitter Arras, les fées ont à cœur de donner un échantillon de leur savoir-faire. D'un signe, elles font avancer une belle allégorie. C'est une machine représentant dame Fortune, muette, sourde et aveugle, et faisant néanmoins tourner sa roue. Nouveau cadre pour des personnalités piquantes, et aussi (ce qui vaut mieux) pour une réhabilitation courageuse : « Voilà, disent les fées, Thomas de Bouriène, que Fortune aujourd'hui renverse et tourne sens dessus dessous, mais bien à tort. Il ne méritait pas ce traitement. Celui qui l'a fait mourir a péché. » Enfin, toute cette vision s'évanouit; Croquessos, chargé de bonnes paroles pour Hellequin, reprend sa course en redisant le refrain:

Me siet-il bien le chapeau?

et les fées partent, de leur côté, en chantant à trois voix le joli

motet noté :

Par ici va la mignotise.....

Le moine alors feint de se réveiller; mais il veut boire avant de rentrer dans son couvent. La table des fées est remplacée par une table de cabaret; car quel jeu, au XIII° siècle, peut se passer d'une scène de taverne? On boit, on joue aux dés, on dupe le moine, on se gausse 'de saint Acaire et de ses reliques, on entonne en chœur la chanson de la belle Aïa d'Avignon:

Aia se siet en haute tour1.....

'Le manuscrit ne contient que ce premier vers. Tout le monde apparemment

puis la foule s'écoule, chacun rentre chez soi, et ainsi finit le Jeu Adam et de la feuillée, composition pleine d'intérêt, qui n'est pas assurément, comme on l'a dit, le début du drame en France, mais qui nous offre le premier exemple de la comédie proprement dite. A ce titre, elle commence une époque importante dans l'histoire de notre théâtre.

(La suite à un prochain cahier.)

MAGNIN.

TABLEAU des institutions et des mœurs de l'Église au moyen âge, particulièrement au XIIIe siècle, sous le règne du pape Innocent III, par Frédéric Hurter, traduit de l'allemand par Jean Cohen. Paris, chez Debécourt, 1843, 3 vol. in-8°.

Ce livre est la suite de l'histoire d'Innocent III publiée précédemment par le même auteur. En rendant compte du premier ouvrage de M. Hurter 1, nous avons annoncé que celui-ci, récemment imprimé en Allemagne, était déjà traduit en français et que nous nous en occuperions quand la traduction aurait paru; nous nous acquittons de cette pro

messe.

En traçant son portrait d'Innocent III, et dans la patiente étude qu'il a faite de ce siècle où l'Église fut si puissante et si glorieuse, M. Hurter s'est environné d'une si abondante moisson de documents, qu'il n'a pu leur donner place dans l'histoire du pontife dont il écrivait la vie; et il en a composé ce tableau pour lequel il se trouvait si bien préparé.

Frappé du grand spectacle que le x siècle déroulait sous ses yeux, saisi d'admiration pour le pape qui fut le dominateur de ce siècle, épris d'enthousiasme pour les merveilleuses destinées qu'Innocent III faisait alors au catholicisme, M. Hurter, parmi tous ces sentiments, se vit pénétré d'une ferveur religieuse, et sentit une foi naissante s'é

savait le reste par cœur. Le souvenir de cette chanson paraît avoir échappé aux éditeurs du Théâtre français au moyen âge, qui ont écrit:

A! jà se siet en haute tour.

'Dans les cahiers d'août 1841, de mai, août et décembre 1842.

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