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les plus intimes, une frappante communauté des principes littéraires. Ils sont tous de la même école, de la même religion, du même parti, quand il ne s'agit plus que de l'art de composer et d'écrire. Dans leurs ouvrages se continue, encore sans altération, la tradition des deux siècles précédents, dont ils acceptent docilement pour maîtres les grands écrivains. L'un d'eux même, qui, après un succès tout classique, celui de son Agamemnon, s'est engagé, non sans génie, dans une longue suite d'entreprises aventureuses, où malheureusement la langue est trop comprise, Lemercier, cet infatigable novateur, se montre dans la chaire de Laharpe, aux applaudissements unanimes de son auditoire, le plus orthodoxe des critiques.

Déjà cependant certaines renommées, certaines doctrines, jusqu'alors consacrées, commençaient à être mises sérieusement en question. On ne s'était pas ému des sottes injures adressées à Boileau, à Racine, par des littérateurs tels que les Ximénès et les Cubière; à peine même si on avait daigné s'occuper, autrement que pour en rire, des paradoxes non moins irrévérents et non moins fous, mais plus spirituels de Mercier. Maintenant c'était tout autre chose: sous la plume de critiques distingués, d'écrivains considérables, se produisaient des opinions auxquelles, bien qu'on les trouvât fort étranges, il fallait donner quelque attention. Geoffroy, soit par ordre, on l'en a soupçonné, soit par conviction, on l'a pu croire d'un homme à qui l'antiquité grecque était familière, osait, dans ses feuilletons, instruire le procès de la tragédie, tant admirée, de Voltaire; au grand scandale, mais au grand amusement de ses lecteurs, il déclarait factices, artificiels, la pompe, le mouvement, les grands effets de ces ouvrages que naguère on comparait, on préférait même aux chefs-d'œuvre de Racine et de Corneille. C'était à Racine lui-même que s'attaquait, et en français, en très-bon français, comme pour rendre plus blessantes ses atteintes à notre plus pure gloire poétique, un savant et spirituel étranger, W. Schlegel. Dans un parallèle où la Phèdre de Racine était immolée à l'Hippolyte d'Euripide1, il préludait, non-seulement à ce dénigrement systématique de notre théâtre qui devait bientôt déparer son cours de poésie dramatique 2, mais à ce qui fait principalement la valeur de cet ouvrage remarquable, aux vues fines, profondes, et alors fort nouvelles, qui s'y rencontrent sur le caractère divers de la scène antique et de la scène moderne. Non-seulement on nous disait beaucoup moins conformes aux Grecs nos modèles que 1Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d'Euripide, Paris, 1807; voy. ses Essais historiques et littéraires, Bonn, 1842, p. 85. — Professé à Vienne en 1808, imprimé en 1809 et 1811.

nous n'en avions la prétention, mais le même critique, dans ses leçons, bientôt traduites en français1, mais plusieurs de nos écrivains sur lesquels il n'était pas sans influence, Mme de Staël2, Benjamin Constant3, Sismondi, dans des traités, dans des histoires littéraires, quelquefois de grande valeur, proposaient à notre admiration, à notre imitation, des productions étrangères jusque-là assez dédaignées par nous; en dehors de notre poétique, qu'ils jugeaient arbitraire et étroite, ils nous montraient d'autres manières, selon eux fort légitimes aussi, de sentir et d'exprimer la nature. Ces opinions, alors tout individuelles, toutes spéculatives, dont s'occupait seule la critique, pour s'en amuser ou s'en indigner, devaient plus tard, sous une sorte de nom de guerre qui les résumerait, devenir populaires et passer dans la pratique. A ce titre, l'historien de la poésie française au temps du consulat et de l'empire ne pourrait les négliger; il aurait le devoir de les signaler comme destinées à amener, sous d'autres gouvernements, quand seraient arrivés au dernier degré la satiété, la curiosité des esprits, l'attrait de la nouveauté, l'essai d'un nouveau développement poétique, à préparer pour un second historien la matière d'une nouvelle histoire.

Ces influences morales et littéraires, qu'on aurait suivies dans leur action, dont on aurait marqué l'origine et le terme, il faudrait aussi rechercher si le gouvernement qui présidait au renouvellement social, les a secondées en quelque chose. On trouverait tout le contraire. La poésie philosophique, par son penchant naturel pour les institutions libres, par l'attachement persévérant de quelques-uns de ses plus illustres représentants pour les formes républicaines, ne pouvait plaire assurément au vainqueur du dix-huit brumaire. L'auteur du concordat, le fondateur du trône impérial se serait plus volontiers accommodé de la poésie religieuse et monarchique, si, par des marques d'intérêt adressées à la dynastie déchue, elle ne lui était bientôt devenue suspecte. Il était sans penchant pour la hardiesse qui tentait, même avec discrétion, d'innover dans le choix des sujets, dans la composition, dans le style, averti sans doute, par un secret instinct, que toutes les nouveautés se tiennent, et que l'indépendance de l'esprit ne se trouve pas longtemps à l'aise dans les limites restreintes de la littérature. Enfin, il avait une

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Par madame Necker de Saussure; Paris et Genève, 1814. De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, Paris, 1800, 1801; De l'Al lemagne, Paris, 1810; Londres, 1813; Paris, 1814.- Walstein, tragédie en cinq actes et en vers, précédée de Réflexions sur le théâtre allemand; Genève, 1809. * De la littérature du midi de l'Europe, Paris, 1813, 1829; ouvrage rédigé d'après un cours fait par l'auteur, avec grand succès, à Genève, en 1811.

aversion particulière pour ces doctrines qui ébranlaient déjà les fondements de l'ancienne poétique, et à l'école d'Homère tentaient de substituer celle de Shakspeare. Il les haïssait comme nous venant de l'étranger, des nations alliées à l'Angleterre, de l'Angleterre elle-même; leur introduction en France lui semblait une sorte de violation du système continental; dans le temps qu'il faisait brûler sur les places publiques les marchandises anglaises, sa police mettait au pilon l'Allemagne de madame de Staël1. On aurait donc le droit de dire que rien de ce qui pouvait alors donner de la vie, du caractère, de l'originalité à la poésie, n'eut ses encouragements; rien, si ce n'est ce qui se rapportait à lui-même.

C'est une manie aujourd'hui d'introduire en toute matière, de gré ou de force, la grande figure de Napoléon; mais on en pourrait, avec convenance, retracer quelques traits dans l'histoire de cette poésie qu'on qualifie d'impériale. On ne lui refuserait certainement pas d'avoir aimé les lettres, et d'en avoir jugé, d'en avoir parlé, sinon toujours avec justesse, du moins avec grandeur. On lui devrait la justice de le placer dans le petit nombre des souverains qui les ont honorées de ce qui surpasse de beaucoup toutes les récompenses officielles, je veux dire de leur attention personnelle. Il a fait revenir les temps où Auguste, qui n'avait pu avoir Horace pour secrétaire, le voulait pour correspondant, et lui demandait une épître; où le même prince, de son camp, en face des indomptables Cantabres, écrivait à Virgile pour s'informer du progrès de l'Énéide commencée; où Louis XIV s'entretenait avec Boileau, avec Racine, avec Molière, recevait la confidence de leurs ouvrages, entrait comme en partage de leurs desseins et de leurs succès. Il est tel poëte tragique dont l'empereur des Français, par ses questions, ses critiques, ses conseils, s'est fait, on l'a dit spirituellement, le collaborateur. Critiquait-il quelquefois à tort et conseillait-il toujours judicieusement? pas plus, probablement, que des confidents littéraires dé moins haute condition. Mais qu'importe ? Son intervention obligeante dans de telles choses, n'en était pas moins un puissant moyen d'émulation, qui pouvait provoquer à de grands efforts, susciter de grandes œuvres. Malheureusement, il mêla trop d'égoïsme, des calculs trop intéressés à son rôle de protecteur des lettres. Avant lui, sans doute, les grands princes que je rappelais tout à l'heure les avaient fait servir, sans plus de désintéressement, à la consécration de leur autorité absolue, à la décoration de leur règne. Mais, en faisant la même chose, il y

En 1810.

mit moins de mesure. Il ne ménagea pas assez soigneusement la liberté, la dignité de ses panégyristes; l'admiration, qu'il était digne d'inspirer, il la commanda trop; il imposa trop à l'expression de ce sentiment la couleur administrative. Quelques accents vrais d'enthousiasme échappèrent, par intervalles, à de jeunes âmes, d'elles-mêmes touchées de la gloire; mais hors de là, ce fut un débordement factice de louanges serviles et vulgaires, véritable plaie de la poésie de cet âge.

A une autre époque, où la gloire du conquérant, du législateur, du fondateur d'empire, apparaîtrait dans un poétique lointain, à travers ses malheurs et les nôtres, au delà de ses désastres, de ses exils, de sa tombe, devaient se produire avec éclat, dans des vers inspirés, les libres panégyriques, précurseurs des libres récits de l'histoire.

Le despotisme fait à la société des loisirs mortels pour l'éloquence, mais dont la poésie profite. Dans le silence forcé des orateurs, l'attention, l'intérêt, se tournent vers les poëtes qui ont encore la parole; on les écoute, on les discute, on les juge, et avec indulgence; à défaut du génie qui peut leur manquer, on leur sait gré d'avoir du talent; l'art de la composition, l'élégance du style, l'agrément des détails, les traits heureux, les bons vers, tout cela leur est compté. Telle était, on en ferait la remarque, au temps de l'empire, la condition heureuse des écrivains qui, en si grand nombre, appliquaient industrieusement les procédés peut-être trop divulgués, devenus par un long usage trop accessibles, de la versification, à des compositions de toutes sortes, tragiques, comiques, didactiques, descriptives, à des traductions de quelques grandes œuvres poétiques, tant anciennes que modernes. Aujourd'hui que tout entiers à la vie publique, captivés par les débats de la tribune et de la presse, nous accueillons si dédaigneusement ces produits, quelquefois fort dignes d'estime, d'un travail patient et d'un artifice habile; que nous accordons à peine quelques moments d'audience même aux vers des vrais poëtes, nous ne nous reportons pas sans peine à une époque où, par exemple, tout Paris se partageait entre l'Enéide de Delille et sa peu digne rivale, l'Énéide de Gaston, où même celle de Becquey avait son parti. Nous trouvons que Paris était alors bien libre de son temps, bien prodigue de son attention. Nous ne faisons pas de même, et cette littérature poétique à laquelle probablement il ne s'intéressait pas toujours sans raison, nous la comprenons tout entière dans notre indifférence actuelle, nous la condamnons en masse, sans examen et sans scrupule, au mépris, à l'oubli.

Devrait-on souscrire à cet arrêt? je ne le pense pas. Il n'est pas vrai semblable qu'une société éclairée comme par le reflet du grand siècle

littéraire qui venait de finir, elle-même presque exclusivement occupée, faute d'un autre emploi de son activité, de prose et de vers, instruite à en juger par une critique pleine de vie, de sagacité, d'esprit, s'y soit si complétement trompée. Non, ce qu'elle a estimé, applaudi, ne devait pas être aussi dénué de valeur qu'on le prétend. Le temps, cela était inévitable, cela est toujours arrivé, en a entraîné dans son cours une bonne partie, mais il n'a pas tout submergé. Malgré les modifications survenues, à tort ou à raison, dans le goût public et dans les formes de l'art, malgré les caprices changeants de la mode, lesquels ont aussi leur part, part futile, dans les révolutions littéraires, quelques souvenirs surnagent, qui suffisent à honorer une époque après tout bien courte. Quinze années, c'est, a dit Tacite, une portion considérable de la vie de l'homme; mais qu'est-ce dans la vie d'un peuple et d'une littérature? Or les quinze années du consulat et de l'empire se recommandent par des titres qui ne permettent pas de les rayer si lestement de l'histoire de la poésie française. Rappelons-en quelques-uns, les plus saillants: ces vives satires de Chénier, ces contes piquants d'Andrieux dont il était question tout à l'heure, par exemple l'Epitre à Voltaire, le Meunier de Sans-Souci, le Procès du sénat de Capoue; l'Imagination de Delille, composition didactique défectueuse peut-être, mais, dans les pièces qu'elle rassemble, pleine d'éclat poétique et de verve spirituelle; quelques élégies de ce Millevoie, qui chanta si douloureusement, par un pressentiment de sa fin prématurée, la Chute des feuilles; les Templiers, de Raynouard; les Deux gendres, d'Étienne; des comédies où brillaient, comme d'un dernier rayon, après un assez long intervalle, les grâces aimables par lesquelles avaient charmé la fin du dernier siècle, l'auteur de l'Inconstant, de l'Optimiste, des Châteaux en Espagne, du Vieux célibataire, et l'auteur des Étourdis. Ajoutons-y, quoiqu'en prose pour la plupart, des productions qu'on n'exclut guère du domaine poétique : le Pinto, de Lemercier, conception originale et hardie, qui ose traduire la grave histoire sur la scène comique, les Marionnettes, de Picard, et tant d'autres drames de dimensions diverses et d'importance inégale, où cet observateur attentif des mœurs du jour n'a cessé d'en reproduire avec naturel et gaieté le spectacle mobile; le theatre permanent aussi et de toutes formes, que l'auteur du Tyran domestique, Alexandre Duval, anima constamment par la variété de ses combinaisons et la franchise de son dialogue; dans une sphère inférieure, mais que la poésie ne dédaigne pas d'habiter, les gais couplets de Désaugiers, d'Armand Gouffé, et ces chansons, de portée plus sérieuse, malgré leur familiarité apparente, qui révélaient déjà, chez

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