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DE L'EQUILIBRE GÉNÉRAL DES PASSIONS. était comme Néron un tétratone, mais qui n'avait pas été faussé par une édudation morale.

Les caractères tournent au mal en civilisation, dès qu'ils ont en dominante un nombre de passions mécanisantes supérieur aux afectives; une femme tritone à dominantes d'amour, de cabaliste et de papillonne, sera communément très-vicieuse.

Rien n'est plus propre que la théorie des caractères à confondre ces esprits forts qui croient que les passions sont créées au hasard, ct que Dieu a besoin de recourir aux moralistes pour les harmoniser. Les passions en mécanisme domestique sont un orchestre à 1620 instruments: nos philosophes en voulant les diriger sont comparables à une légion d'enfants qui s'introduirait à l'orchestre de l'opéra, s'emparerait des instruments et ferait un charivari épouvantable; faudrait-il en conclure que la musique est ennemie de l'homme, et qu'il faut réprimer les violons, arrêter les basses, étouffer les flutes? Non; il faudrait chasser ces petits oisons, et remettre les instruments à des musiciens experts. Ainsi les passions ne sont pas plus ennemies de l'homme que les instruments musicaux: l'homme n'a d'ennemis que les philosophes qui veulent diriger les passions, sans avoir la moindre connaissance du mécanisme que leur assigne la nature. Quand il sera éprouvé, on reBonnaîtra que les caractères les plus ridiculisés, comme celui Harpagon, y sont éminemment utiles.

CHAPITRE XXXVIII.

Des groupes de haute harmonie, ou d'équilibre
compensatif.

Les optimistes ont de tout temps mis en scène des compensations chimériques: à les en croire, un pauvre qui n'a ni feu, ni lieu, pourrait trouver dans son dénûment autant de bonheur qu'un riche dans ses palais.

Jusqu'ici, les pauvres ne sont guères de cet avis, et les riches encore moins; car on ne voit aucun Crésus faire échange de condition avec le pauvre. Les compensations n'existent donc que dans les rêves de la morale qui prétend, selon Delille, que la nature est un échange perpétuel de secours et de bienfaits. On ne voit pas quels bienfaits elle répand sur la populace affamée d'Irlande, ni sur les peuplades livrées aux bourreaux, comme les Grecs sous

Ibrahim, ou les nègres de la Martinique sous le fer des colons français.

Quelques riches, pour pallier leur égoïsme, aiment à se persuader que le peuple est heureux, que ses misères sont compensées : on entretient les monarques dans cette illusion, elle est plus décente que le principe, il faut dix pauvres pour un riche. Tout sophiste est bienvenu, lorsqu'il suppose des compensations dont on ne trouve pas l'ombre dans l'état civilisé. La véritable compensation doit être facultative; sentie et avouÉE, comme elle le serait dans le groupe décrit au traité (IV, 488), groupe dont les relations peuvent servir de formulaire général en compensations. Je regrette de ne pouvoir pas insérer ici cet article assez long, qui présente une théorie positive sur les compensations, sujet des plus obscurcis par le sophisme; j'en transcrirai seule. ment quelques lignes qui donneront une légère idée du sujet.

Trois individus, Apicius, Mécène et Virgile, sont réunis dans un repas d'une dizaine de convives. Apicius, tout préoccupé de gourmandise, a pris peu de part à la conversation; Virgile au contraire, peu attentif au matériel du repas, a fait grande dépense de bel esprit: il a brillé, il a fait le charme des convives, son amour-propre est flatté. Mécène s'est partagé entre les 2 plaisirs, conversation et gastronomie : les doses de plaisir ont été en rapport suivant:

Chez Apicius, conversation 1, gourmandise 3. = 4.
Chez Mécène, id.
Chez Virgile, id.

2,

3,

id. là.

2. = 4.

1. = 4.

Il y a ici compensation parfaite pour tous trois, quoique chacun ait goûté les deux plaisirs en doses fort inégales; mais chacun a eu l'option sur tous deux, et en a pris la part qu'il a voulue. On peut supposer neuf convives chez qui ces doses seront graduées en échelle régulière, et qui seront tous satisfaits compensativement, l'un plus en gourmandise et moins en conversation; l'autre plus en conversation, moins en gourmandise.

Tels doivent être les groupes réguliers; ils doivent réunir au moins deux plaisirs dont chaque personnage puisse prendre la dose qui lui convient. Ce principe doit s'appliquer à toutes les situations de la vie; on n'y trouve le bonheur, compensalivement équilibré, qu'autant qu'on a l'option sur divers plaisirs réunis; l'équilibre passionnel n'admet ni égalité et conformité de goûts, ni simplicité de ressorts.

Si l'on suppose la réunion précédente bornée à un plaisir, à la conversation seule, au bel esprit, Apicius y tombera dans l'ennui, Mecène sera moyennement satisfait, Virgile seul y trouvera grand plaisir. Telle est la situation dans laquelle nous place la morale; elle ne donne jamais la faculté d'option compensative; elle nous présente un seul plaisir, tel que l'amour de la modération: une modération réelle a besoin de contrepoids, comme on l'a vu plus haut dans Mécène qui a goûté les deux plaisirs modérément et en dose égale; s'il n'en avait goûté qu'un, la modération l'aurait ennuyé. C'est en balançant les 2 plaisirs l'un par l'autre, qu'il a joui autant que ses convives A et V qui ont goûté immodérément l'un de deux plaisirs, et faiblement le second.

Mais est-il vrai que Mécène se soit modéré? Non, car il est arrivé à la dose 4 en somme de plaisir, il a joui autant que les deux autres, quoiqu'en proportions différentes et balancées. Ainsi tous ces hommes qu'on appelle modérés et qui en font trophée, sont, ou des illusionnaires ou des charlatans; ce sont des caractères qui se plaisent à goûter en dose égale deux plaisirs. Tel vous dit: « Je suis un exemple de morale, je modère mes passions, je fuis » les amusements et je n'aime que le commerce. » Il l'aime parce qu'il y a gagné un million, ou qu'il espère le gagner en trompant ceux qui achèteront ses calicos; avec son masque de modération, il ne rêve que fourberie, que ruse pour duper les acheteurs. Voilà ce qu'on appelle un homme moral, un vertueux amant du commerce et de la charte; c'est un être qui sue le mensonge et qui, en stricte analyse, ne se modère sur aucune passion, car il absorbe une passion par une autre, comme l'ont fait plus haut Virgile et Apicius; ou bien il équilibre deux passions qu'il satisfait en dose égale et balancée, comme l'a fait Mécène qui n'est pas plus modéré que ses deux convives A et V, car il arrive comme eux à la somme 4 en jouissance; qu'elle se compose de 3 et 1, ou de 2 et 2, elle est toujours 4.

Ii faudrait, au lieu d'un petit article, plusieurs chapitres sur cette matière, afin de dissiper les préjugés qui régnent sur la modération et les compensations, sur la balance et l'équilibre, sur les contrepoids et les garanties en exercices de passions. Obligé de supprimer tous ces détails, je me borne à insister sur le principe que la modération est une chimère, que les passions admettent des jouissances contrebalancées, mais non pas des privations; que celui qui paraît le plus modéré est souvent celui qui a le plus raffi

né ses jouissances; et que nos théories d'équilibre moral et de compensation morale ne sont que des balivernes qu'on rougira d'avoir écoutées, quand on connaitra les méthodes exactes en équilibre passionnel.

On les ignore à tel point que la classe des pères, qui fait les lois et désire les faire à son avantage, n'a su trouver aucun moyen d'établir l'équilibre qu'elle recherche le plus, celui des deux affections paternelle et filiale qui sont dans une disproportion choquante; celle de l'enfant ne s'élevant communément qu'au tiers ou au quart de celle du père. Il était évident, par ce défaut de balance, que l'équilibre devait provenir de voies indirectes. On a vu quelles sont ces voies: les pères doivent recueillir l'affection de 4 sources, des enfants directs en 4 à 5 générations au moins, des adoptifs en caractère identique ou contrasté, des adoptifs industriels ou continualeurs passionnés, des continuateurs en lignée directe ou collatérale. La passion atteindra à l'équilibre quand le père obtiendra par quart un tribut d'affection de ces classes; jusque-là il n'est rien de plus dépourvu d'équilibre que l'amour paternel, rarement payé d'un quart de retour par les descendants directs. Si les philosophes n'ont pas vu ce désordre ou n'ont pas su y remédier, que pourra leur science pour atteindre à tant d'autres équili bres qu'elle n'a pas même entrevus, tels que celui des subsistances (II, 143) à fonder sur les produits combinés de plusieurs zones.

Et quant aux compensations qui forment une partie de l'équilibre, comment concevoir des compensations sans option? la morale nous dit: Soyez heureux avec une écuelle de bois pour tout mobilier; Diogène assure que cela suffit; ch bien, que Diogène donne l'option sur une écuelle d'argent, nous pourrons croire au bonheur de celui qui, en toute liberté, aura préferé l'écuelle de bois à celle d'argent. Dans l'exemple que j'ai cité, chacun des 3 personnages A, M, V, a l'option sur deux plaisirs; d'où il est clair que chacun d'eux est compensé, en quelque dose qu'il use des deux plaisirs, cette option doit s'étendre à toutes les situations de la vie aux passions des trois sexes. Mais quelle option leur donne la morale, où sont les compensations pour un enfant reclus et menacé du fouet, pour une vieille femme dépourvue du nécessaire et encore plus des plaisirs, pour une masse de pauvres enfermés et rudoyés dans un dépôt de charité? Que la philosophie est novice en théorie compensative, comme en toute question de mouvement ! Qu'est-ce qu'une compensation qui ne présente pas option facul

tative? Vous donnez au peuple, pour indemnité de ses souffrances, le bonheur de vivre sous la charte, d'aimer la charte, admirer les beautés de la charte; mais s'il ne sait pas lire, ou s'il n'a pas deux sous pour acheter la charte, comment en admirera-t-il des beautés, surtout s'il est affamé? Que signifie cette billevesée de compensation qui nous donne, en dédommagement de nos maux, un plaisir imaginaire, sans aucune faculté d'option sur les plaisirs réels? Apprendre à se passer de ce qu'on n'a pas ! C'est de talent du renard gascon; et on fait de ces sornettes une science dite morale! Que de jongleries imaginées pour vendre des livres! On en vendra cent fois plus quand on enseignera la vérité.

CHAPITRE XXXIX.

Du vrai bonheur (III, 183).

Je n'ai vu qu'un écrivain civilisé qui ait un peu approché de la définition du vrai bonheur; c'est M. Bentham, qui exige des réaFités et non des illusions: tous les autres sont si loin du but, qu'ils ne sont pas dignes de critique. Il existait à Rome, au temps de Varron, 278 opinions contradictoires sur le vrai bonheur; on en trouverait bien davantage à Paris, surtout depuis que nos controversistes suivent deux routes diamétralement opposées; les uns préchant le mépris des richesses et l'amour des plaisirs qu'on goûte sous le chaume, les autres excitant la convoitise effrénée des richesses; les moralistes plaidant pour l'auguste vérité, les économistes pour le trafic et le mensonge.

Débrouillons en peu de mots la vicille controverse de bonheur, l'une des Tours de Babel de la ténébreuse philosophie: Dieu nous a donné douze passions, nous ne pouvons être heureux qu'en les satisfaisant toutes les douze. S'il y en a une seule d'entravée, le corps ou l'âme est en souffrance; mais loin de pouvoir satisfaire chaque jour les douze passions, notre peuple essuiera plutôt douze disgraces, car il en est 24 qui le menacent et le poursuivent sans cesse (III, 494 et 555). Les riches, mieux partagés sans doute, sont encore bien loin du bonheur, et ne peuvent guère se le procurer une seule journée. J'en ai donné pour preuve le détail d'une journée de vrai bonheur (IV, 535, 543), où l'on voit qu'il n'est pas snême possible de faire lever par plaisirs les gens riches; ils com

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