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D'un coté, l'extrême opulence, de l'autre l'extrême misère; - division profonde des classes; - insurrection continuelle de la classe souffrante contre la classe fortunée.

II.

Que trouvons-nous au moyen âge?

Laissons parler M. Guizot: Cet écrivain disait il y a vingt-cinq ans : a Deux partis divisaient profondément la Commune, l'un formé des » gros bourgeois, des gens riches, des industriels, comme on dirait » aujourd'hui, des changeurs, comme on disait alors; l'autre, des » gens de bas étage, de cette populace inquiète et envieuse qui rem>> plissait les cités du moyen âge, et devenait plus ardente et plus in» gouvernable, à mesure que le progrès des richesses et de la civilisa» tion élevait la bourgeoisie hors de son niveau, et séparait ses inté» rêts des siens. »

... « Les bourgeois étaient grossiers, emportés, barbares, pour le >> moins aussi barbares que les seigneurs auxquels ils avaient arraché » leurs droits.

>> Parmi ces échevins, ces maires, ces prévots, ces magistrats de di>> vers degrés et de divers noms, institués dans l'intérieur des Commu»> nes, beaucoup prenaient bientôt l'envie d'y dominer arbitrairement, » violemment, et ne se refusaient aucun moyen de succès ; les popula» tions inférieures étaient dans une disposition habituelle de jalousie » et de sédition brutale contre les riches, les chefs d'atelier, LES MAÎ

>> TRES DE LA FORTUNE ET DU TRAVAIL. »

Telle était donc l'injuste position que les maîtres de la fortune et du travail avaient faite aux travailleurs treize siècles après que la parole évangélique d'amour et de fraternité avait rayonnée sur le monde.

Or, pour M. Guizot le pauvre peuple qui n'a pas de quoi manger et qui voit la bourgeoisie s'élever avec le fruit de ses labeurs, c'est une populace inquiète et ingouvernable.

Peu importe à M. Guizot de quel côté se trouvent le droit et la justice, peu lui importe que les maîtres de la fortune et du travail exploitent les travailleurs; adorateur du fait, une seule chose l'occupe: la disposition habituelle de sédition des populations inférieures; il ne pense qu'à une seule chose : la répression des gens de bas étage (1).

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(1) Nous aurions voulu éviter le mot « exploiter, car beaucoup de personnes le trouvent inexact et injuste, appliqué à l'homme. à

C'est là une errear tirer profit, tirer avantage de quelqu'un, ne répondent pas, : beaucoup près, à l'idée d'exploiter.

Exploiter (anc. expleicter, exploicter, du latin EXPLICARE, EXPLICATUM), signifie

Cet historien, qui se pose en penseur impartial, en législateur, en homme d'Etat, a une si courte vue qu'il n'aperçoit même pas la cause de toutes les dissensions qui déchirèrent les Communes: la misère ou la mauvaise répartition des fruits du travail; seul fait qui éleva la bourgeoisie au dessus du niveau du peuple, et « sépara les intérêts

communs. >>

-

Défenseur de l'égoïsme et du fait brutal! cette page, écrite par vous il y a vingt-cinq ans, dépeint bien le cœur sec et puritain du chef d'une doctrine sans aspiration vers le grand et le beau, d'une doctrine sans charité sociale!

III.

Cinq siècles de souffrances passèrent encore sur les travailleurs. Enfin l'heure de la réparation parut sonner. Les économistes du dixseptième siècle et les philosophes du dix-huitième avaient senti les misères du peuple; ces derniers, élus législateurs, ouvrent l'ère de la régénération sociale : leurs pensées s'étendent sur les travailleurs, la justice les inspire, et s'ils ne possèdent point encore la vraie science de la répartition équitable des fruits du travail, ils puisent dans leurs cœurs les généreux sentiments sur lesquels la science de l'organisation des forces sociales s'élèvera plus tard au nom et dans l'intérêt de Tous.

Nous citons :

« C'est la classe indigente et salariée, celle qui ne vit que de ses ser>vices et de son industrie, qui mérite toute votre sollicitude. C'est pour » elle qu'il faut assurer des subsistances et du travail. » (Malouet, 3 août 1789.)

<< Dans une nation libre, les salaires doivent être assez considérables » pour que celui qui les reçoit soit hors de cette dépendance absolue >> que produit la privation des besoins de première nécessité, et qui est

<< tirer par parcelle et continuellement d'une source quelconque tout ce qu'elle peut rendre. »

Le travail journalier d'un homme peut être donc journellement et partiellement exploité par un autre, si celui-ci manque de conscience ou si la force des choses, la guerre industrielle, l'y contraint.

D'ailleurs le Tiers-État, la bourgeoisie, dans ses beaux jours d'épanchement et de résipiscence, en convient bonnement. Voici comment le parlement de Rouen se sert du mot exploiter dans son Acte de 1569:

« Le pauvre peuple travaille sous les ordres immédiats du Tiers-État; c'est celui-ci » proprement dit qui l'exploite. S'il ne gardait pas pour lui seul le produit du travail >> des apprentifs (ouvriers) qui besognent sous sa visitation (surveillance), TOUT LE

» MONDE VIVRAIT. »

» presque de l'esclavage. » (Chapelier, au nom du comité de Constitution, 14 juin 1794.)

Malheureusement les mille vicissitudes de cette époque prodigieuse où tous les intérêts se croisent, se confondent, se précipitent au même instant, laissèrent sans solution la question capitale de la misère les travailleurs continuèrent à porter le poids de leur dure et précaire position.

Les réformes politiques l'emportèrent sur les réformes sociales; et dans la tourmente le véritable esprit démocratique, celui qui allait au fond des choses, s'affaiblit et s'éteint dans l'àme des législateurs. Il ne reste vivant que dans le cœur de quelques hommes dévoués, amis de l'humanité, placés en dehors du pouvoir gouvernemental.

IV.

Tandis que les travailleurs continuent à végéter dans la misère, nouveaux faits économiques s'accomplissent dans la société.

Les capitaux se concentrent sur quelques branches du travail industriel, développent largement l'industrialisme dans les villes, dépeuplent les campagnes. La production industrielle s'accroft, mais au profit seulement des gens riches et aisés, fabricants ou consommateurs: on vend, on achète à vil prix les fruits du travail.

Car, il faut en convenir, le bas prix auquel les fabriques ont livré leurs produits n'a pas eu les heureux résultats dont parlent trop souvent les économistes descriptifs : le bas prix dans les étoffes, obtenu aux dépens de la qualité et de la main-d'oeuvre, a mis à la mode un faux luxe, un luxe de clinquant dont ont profité les citadins de quelque aisance, avides de singer les allures des riches.

La grande masse de la population des campagnes et des villes, la population plus particulièrement adonnée aux plus rudes travaux, celle qui ne gagne qu'un très-mince salaire, s'est trouvée dans l'impossibilité de profiter même de ces prix réduits.

En voici la preuve mathématique :

La consommation annuelle de la France, en tissus de chanvre, de coton, de lin, de laine, devrait s'élever à trois millards 630 millions, si chaque habitant était à même de se procurer un minimum strictement nécessaire (le minimum des prisonniers) en toiles, en draps, etc., de qualité ordinaire (1)

Or, la production de la France, d'après les calculs de M. Cunin

(1) Voir l'ouvrage de M. Perreymond: Le Bilan de la France, ou la Misère et le Travail.

TOME X.

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Gridaine, ne s'élève pour ces fabrications qu'à un milliard 600 millions. y compris les objets de prisc et de luxe; donc le bas prix de ses tissus n'en ont point généralisé l'usage parmi la plus grande masse de la population des campagnes et des villes. Rien de plus évident (1).

Le travail de la fabrique tel qu'il est exploité par l'industrialisme ou par la seule force du capital, a donc produit plus de mal que de bien; non-seulement il a absorbé, par l'attrait de brillantes étoffes mises à la portée des petites bourses, des masses énormes de capitaux qui eussent trouvé un bien plus utile emploi dans un meilleur régime alimentaire et dans de plus saines habitations, mais il a torturé le travailleur en dépréciant le salaire.

Il y a plus la concurrence la plus désordonnée attira à elle capitalistes et travailleurs; entraînés dans le dévorant tourbillon, les victimes furent innombrables; mais, comme toujours, les plus faibles, petits actionnaires et ouvriers, devinrent la proie des crises financières et des crises industrielles.

La position de l'ouvrier industriel ne fit qu'empirer.

Entre le capital qui exploite comme fabricant et qui rançonne comme acheteur, le malaise, la misère de l'ouvrier augmenta démesurément :

(2) Ce fait est si vrai, que les établissements de bienfaisance eux-mêmes manquent des toiles et des tissus les plus indispensables - ils sont loin de posséder leur minimum, même à Paris. — Lisez ; c'est le tableau de Paris monarchique que nous esquissons.

La lingerie est dans un tel état de dénuement à Bicêtre, que le nombre des che»mises qui, d'après le règlement de 1834, devrait être de 21,000, est réduit à 9,000. » Salpêtrière. Le nombre des draps est de 41,530, tandis qu'il devrait être de › 63,628, et celui des chemises de 34,022, lorsqu'il devrait être de 42,720.

D

» Memes observations pour les autres hôpitaux. (Rapport de la Commission médicale de 1839.)

» Malgré les demandes réitérées, il n'a pas été alloué assez d'argent pour acheter >> des couvertures en nombre suffisant au service. Bicêtre possède (1841-1842) 5,500 >> couvertures en laine et 263 en coton. Il serait nécessaire d'en avoir

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« Il manque donc plus de 2,000 couvertures pour lesquelles il n'a été accordé au » budget de 1843 que 10,000 fr., lorsque 20,000 eussent été nécessaires. (Rapport de la Commission médicale de 1841 et 1841, MM. FOUQUIER, HONORÉ, BAZIN, GERDY, MONOD, QUESVENNE, HORTELOUP.

Répondre à ces faits par cette phrase banale: Les fonds manquaient à la Ville; elle n'a pu subvenir à une dépense aussi considérable, c'est dire une sottise. Là n'est pas la cause de cette pénurie: elle est tout entière dans la mauvaise ordonnance du travail, dans la routine d'où l'on ne veut pas sortir, dans des principes administratifs sans portée, dans l'absence de dévouement à la chose publique.

La production s'élèvera à la hauteur de la consommation, en tout et pour tous, dès qu'on le voudra fortement et bien.

Lille, Rouen, Saint-Etienne, Lyon, Paris et cent autres centres industriels renferment dans leurs murs les victimes de l'industrialisme.

V.

Cependant les sourdes rumeurs des martyrs du travail, comme dans l'antiquité, comme au moyen-âge, éclatèrent en sédition, en lutte ouverte contre la société.

Les grèves vinrent périodiquement témoigner des souffrances du travail exploité par le capital protestations muettes, mais énergiques et solennelles, de la mauvaise distribution des fruits du travail, elles vinrent étaler sur nos places et nos carrefours la profonde misère des ouvriers, les haillons qui les couvrent, la faim, les maladies qui les étiolent et les tuet avant l'àge (1).

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Vains exemples! les législateurs monarchiques avaient oublié les traditions de 89; ils fermèrent les yeux à la lumière, et au nom d'un ordre de choses impossible, car il est basé sur l'injustice, ils repoussèrent, par la force, les aspirations en faveur du premier de tous les droits, le droit de vivre en travaillant. Ils oublièrent même cette parole de Louis XVI:

« Le travail est l'usage d'une faculté naturelle : c'est le premier droit » de l'homme. »

-

Il ne s'élevèrent pas à la pensée supérieure d'une Réparation graduelle, seul moyen d'extirper le mal dans ses racines, et de verser du baume sur les plaies béantes.

La misère du peuple ne fut pas combattue par une meilleure ordonnance du travail : elle grandit hardiment.

Le jour de la justice n'avait donc point apparu sous le régime de la monarchie de Louis-Philippe; ouvriers et industriels, tout le monde souffrait d'un mal latent et rongeur, à l'exception des hommes d'argent, banquiers et monopoleurs du crédit.

La révolution de Février éclata: elle devait réparer toutes les injustices, prendre la défense des intérêts de tous, reconnaitre à chacun ses droits à la participation des fruits de la production, établir l'ère de la justice et de la vérité.

Nous verrons comment les hommes que la révolution de Février a portés au pouvoir, ont compris leur mission dans la question supérieure du Travail. Nous verrons si le régime républicain a été logiquement interprété. Arrêtons-nous d'abord à Paris monarchique.

(1) Voir la Grève des Charpentiers, par M. J. Blanc, et le Travail et les Grèves, par M. Perreymond.

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