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même passion avec les caractères de passions distinctes et indépendantes de celles-ci, en confondant la question déontologique avec la question pathologique. »

M. A. Gilliot ne nous paraît pas avoir assez approfondi la psychologie rudimentaire de l'auteur de la théorie d'association. Il s'est trop préoccupé peut-être de l'analyse des sentiments au point de vue des moralistes chrétiens, et pas assez de la synthèse par voie d'écart absolu, si l'on peut s'exprimer ainsi. Si ce travail n'était déjà bien long, nous osons croire qu'il nous serait facile de prouver à M. Gilliot que les sentiments dont il parle peuvent tous se ranger dans la série des douze passions radicales signalées par Fourier. Nous avons donné un aperçu de cette démonstration dans le tableau placé à la page 580 de l'ouvrage intitulé: Notions de phrénologie. Nous n'entamerons donc aucune discussion à cet égard en ce moment.

Le deuxième volume de l'Esquisse d'une science morale entre immédiatement dans l'étude de nos sentiments, d'après les principes et la méthode posés dans le tome premier. L'auteur pousse seulement son analyse jusqu'au cinquième degré, c'est-à-dire jusques et y compris les espèces. Ainsi donc il traite des sentiments moraux d'ordres, de familles, de groupes, de genres et d'espèces. Indépendamment des avantages puisés dans les ressources de la méthode même, M. Gilliot apporte dans ses études une sagacité, une finesse d'observation, une hauteur de vues tout-à-fait remarquables, et qui donnent à son travail un intérêt des plus piquants. I e lecteur assiste avec un plaisir extrême au curieux spectacle du développement de la personnalité morale. Elle se déroule sous les yeux étonnés comme une vaste série de tableaux vivants.

L'auteur prenant l'homme tel que la nature, l'éducation et le progrès des temps l'ont fait, doit nécessairement suivre le mouvement historique et pénétrer les enseignements de la tradition. C'est aussi ce qu'il fait avec autant d'intelligence que de bonne foi et d'indépendance. Une foule d'évènements et d'institutions mal jugés et dédaignés apparaissent alors sous leur véritable jour, et avec la valeur réelle qui leur appartient Sous ce rapport, M. Gilliot a préparé de saines appréciations, dont ceux qui feront plus tard une histoire impartiale de l'humanité sauront profiter avec reconnaissance.

Mais c'est surtout dans les pages qui traitent des sentiments à tendances politiques et sociales, que brillent du plus vif éclat et la puissance de la méthode sériaire, et le talent de l'auteur. La constitution du pouvoir politique chez les peuples, les grandes institutions internationales et d'unité terrestre, en un mot, tous les besoins, tous les senti

ments généraux qui se développent dans l'humanité à mesure qu'elle s'élève sur l'échelle du progrès, ont fourni à M. Gilliot l'occasion d'émettre les théories les plus belles et les plus larges. Aucune des questions importantes qui se sont agitées, s'agitent et s'agiteront dans le monde n'a été négligée, et toutes y sont résolues avec une supériorité à dérouter nos plus grands hommes d'état. Principalement à cause de cela, il serait à désirer que l'ouvrage de M. Gilliot fût lu par tous les bons esprits et par tous les hommes qui peuvent exercer quelque influence dans la société. Mais la presse, si absorbée en ce moment par les intrigues politiques, fera-t-elle son devoir ? Nous le désirons vivement sans trop l'espérer. L'époque actuelle est peu favorable aux études et à la méditation; on s'agite et on s'épuise dans la fièvre de la souffrance, de la haine ou de l'ambition, mais on se préoccupe peu de rechercher avec ardeur et conscience les moyens de seconder efficacement la transformation sociale. Quant à nos hommes politiques du jour, ils ne lisent point, ne réfléchissent guère et n'ont d'activité, de passion que pour les affaires de personnes. Il est donc douteux qu'ils fouillent dans les travaux de M. Gilliot. Cela est d'autant plus regrettable qu'ils y auraient trouvé de quoi élargir singulièrement leur horizon, et surtout de quoi suppléer à l'insuffisance de leurs théories gouvernementales. Ils y auraient trouvé encore de quoi dissiper bien des préjugés et bien des injustices touchant les idées sociales et les tourmentes du flot populaire. Ils se seraient mis enfin à même de reconnaître que le véritable progrès est celui qui donne satisfaction à tous les besoins, et qui seul peut garantir l'ordre, la paix, la sécurité !

Nous aurions voulu donner quelques extraits du second volume, pour mettre en relief tout l'intérêt qui s'attache aux applications de la science morale; nous ne l'avons pas fait pour ne pas trop prolonger ce travail. Les citations de la première partie, dont le principal but était de bien faire saisir la doctrine de l'auteur, auront d'ailleurs suffi pour montrer la haute importance de l'ouvrage.

L'Esquisse d'une science morale, qui est un livre fortement pensé, savant et largement philosophique, n'est pas seulement une conquête pour le monde studieux et méditatif, il est encore un puissant auxiliaire mis au service du mouvement politique et social, une éclatante confirmation de la science sociale découverte et constituée par Fourier. Les philosophes, les moralistes, les hommes politiques, les esprits religieux y puiseront de précieux enseignements, de fecondes idées, et pour peu que les consciences d'élite, parmi eux, fassent leur devoir, d'excellents résultats ne tarderont pas à être obtenus. Le monde éclairé proclamera un penseur éminent de plus et enregistrera un nouveau service de l'école sociétaire.

L'œuvre de M. Gilliot ne se termine pas là où nous l'avons laissée. Notre nature a d'autres rapports que ceux qui ont été définis, ce sont les rapports de la vie supérieure, de la vie surnaturelle. Un troisième volume, qui paraîtra bientôt, sera consacré à cette partie importante de l'étude des sentiments humains. Nous croyons pouvoir affirmer d'avance que ce couronnement de l'ouvrage sera digne en tout du sujet et de la grande théorie qui lui a servi de principe.

JULIEN LE ROUSSEAU.

(La suite à la prochaine livraison.,

LA FEMME LIBRE.

La lettre suivante a été adressée à M. Ernest Legouvé

propos de son cours sur l'histoire morale des femmes; elle avait trait particulièrement à la séance où il fut question de la femme libre (1).

A Monsieur Ernest Legouvé.

Paris, le 4 mai 1848.

« La bête est morte, mais le venin ne l'est pas », disiez-vous à vos auditeurs en leur parlant de la femme libre : « Il a laissé des traces fatales, et ce > système a inspiré ces pages brûlantes qui circulent partout où les désordres » de la passion sont idéalisés comme le modèle de l'âme féminine; le com> battre en passant, ne fût-ce que pour en montrer le ridicule, me paraît > presque un devoir. >>

Ce combat, je l'avais prévu, honorable professeur; un passage de votre première leçon m'avait fait pressentir ce qui était au fond de votre pensée; et, tel qu'un éclair en sillonnant l'horizon annonce l'orage lointain, votre mot à l'égard de certaines théories socialistes m'était une preuve que vous n'en resteriez pas là.

L'orage a passé!... seulement, la foudre a-t-elle éclaté avec assez de violence? Les miasmes qu'elle devait dissiper ont-ils cédé à l'ouragan? La pluie abondante a-t-elle entraîné dans le fleuve immense où disparaît toute soullure, le venin perfide de la femme libre?

Pardonnez, généreux défenseur de la femme soumise, si j'ose concevoir quelques craintes. Combattre seulement en passant lorsque combattre vous paraît presqu'un devoir, me semble bien insuffisant pour une pareille tâche. Il y a des choses dont on ne peut avoir bon marché, et si la femme libre n'est pas bien morte, je crains fort qu'elle n'ait la vie dure.

Deux précautions valent mieux qu'une, et puisque, dans vos recherches de la vérité, vous vous placez sur la voie de justice, souffrez que je vous vienne en aide de la seule manière qui me paraisse utile, et que, me posant pour un

(1) L'auteur, d'après les espérances que lui en avait données M. Legouvé, pouvait s'attendre à l'insertion à peu près complète de cette lettre dans l'ouvrage qu'il a publié. M. Legouvé ayant jugé à propos de n'en faire connaître qu'un fragment, nous avons cru utile de la soumettre au public dans toute son étendue.

(Note de l'auteur.)

instant en défenseur d'office de la femme libre, j'agisse comme vous de manière qu'il ne reste rien par devers nos consciences, et que nul ne puisse nous accuser un jour d'avoir rendu un jugement par contumace, même contre la grande pécheresse.

« On se préoccupe fort d'organiser le mariage, dites-vous; et plusieurs an» nées avant les théories modernes, un penseur, un législateur avait formulé >> tout le code conjugal en un mot, un seul, qui comprenait tout, publications » de bans, intervention des parents, célébration civile, célébration religieuse, » ce mot synthétique c'était : ceux qui s'aiment sont époux. »

La simplicité de cette formule vous plait; vous remarquez avec une douceur ironique « qu'elle ne s'applique pas seulement à cet être perdu dans » l'univers qu'on appelle homme, mais qu'elle embrasse la création tout en» tière depuis le poisson jusqu'à l'oiseau; que depuis le dernier mam» mifère jusqu'à la créature humaine, toutes les races, tous les ètres, peuvent » trouver leur définition du mariage dans ce mot: ceux qui s'aiment sont » époux. »

Vous avez joui, n'est-ce pas, de la trompeuse hilarité qui accueillit vos paroles; ce signe rassurant vous dispensait de toute explication, et la formule de Saint-Just était réfutée par avance. Moi-même, sans m'en rendre compte, je fus entraînée à cette douce contagion et j'usai sans réserve de ce plaisir. Mais il fallait quitter cette atmosphère joyeuse pour revenir seule à vos pensées.

Aujourd'hui que je me prends à analyser vos paroles, notre rire, et ce qui a paru le motiver, je m'arrête indécise. Mettant à part toutes les productions de la nature depuis les molécules, les fleurs, les animaux, et jusqu'aux sons eux-mêmes dont le mariage est en effet l'application de la devise: ceux qui s'aiment sont époux, je me demande si cette unité, cet ordre admirable, étaient bien la source de notre persiflage, ou si peut-être, à l'aide de notre logique et même à notre insu, il ne s'adressait pas à notre mariage propre en opposition si directe avec le reste de la nature; ce mariage qui est, comme vous l'avez dit, précédé de l'intervention des parents, de fiançailles, de publications de bans traînant à leur suite la célébration civile, la célébration religieuse, cérémonies qui toutes, remarquez-le bien, ont si peu pour objet de s'assurer que ceux qui vont être époux s'aiment.

Il me semblait donc que notre rire à tous ne s'adressait réellement qu'au seul mariage de l'homme, et que ce rire avait précisément la valeur de celui de Démcerite, qui permettait à Iléraclite de verser des pleurs sur le même sujet.

Une idée singulière me vint d'ailleurs à l'esprit, je ne saurais vous le cacher. Il me semblait que vous-même favorisiez en secret la formule de la nature, et que dans votre avant-dernière séance intitulée Mariage, vous aviez fait avancer d'un degré la simple loi d'amour, rien qu'en voulant diminuer l'importance absolue de l'intervention des parents dans le mariage. Il me semblait que la jeune fille mise par vous au premier plan, et non reléguée au dernier, était peut-être moins éloignée de dire avec les fleurs et les oiseaux : ceur qui s'aiment sont époux; que le mariage y gagnait un peu en dignité,

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