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ESQUISSE D'UNE SCIENCE MORALE,

PHYSIOLOGIE DU SENTIMENT

OU

Méthode naturelle de classification et de description de nos sentiments

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M. Gilliot, après avoir fait, comme nous l'avons vu dans la première partie de ce compte rendu, l'histoire du péché originel et de ses conséquences, devait naturellement parler de la réintégration de T'homme dans sa destinée, et des moyens propres à effectuer cette réintegration. C'est effectivement ce qu'il a fait.

« La bonté infinie de Dieu, dit-il, veut que les rapports de la destinée soient rétablis, que la vie humaine reconquière sa pureté, son harmonie, son intégralité; que l'homme retourne dans la voie de sa Destinee, soit régénéré, soit réintégré dans la plénitude de son existence. La réintégration ou le retour successif vers l'état normal, par un resserrement progressif des limites de l'état anormal, est donc le troisième fait capital et nécessaire de l'histoire de l'humanité. Comme elle tend à conquérir un état opposé à l'état de déchéance, la marche de l'œuvre de réintégration doit suivre une direction inverse de celle qu'adopta, depuis son péché, l'homme, dans les diverses évolutions de sa Destinee. De même que, dans l'état de péché, la tendance principale fut un plus grand rapprochement de la vie inférieure, de l'animalité, de même, dans l'état de réintégration, les forces de l'humanité doivent être principalement tournées vers le rétablissement du rapport dont la rupture fut la cause de la chute de l'homme, du rapport d'unité avec Dieu. La voie de salut, que doit montrer à l'humanité souffrante son divin Redempteur, doit donc être essentiellement celle-ci : rétablir les liens religieux, la vie religieuse dans toute son intégralité, unir de nouveau les hommes à Dieu. »

Pour donner la priorité au progrès moral et religieux sur le progrès purement matériel, M. A. Gilliot n'en comprend pas moins l'immense importance de l'organisation du travail, comme moyen pratique d'at

teindre la réintégration. « Mais il faut, dit-il, pour que l'œuvre de rénovation industrielle devienne efficace, qu'elle soit sanctifiée par son but religieux, et se rattache comme une des roues au char de la réno– vation universelle du monde par le christianisme. L'industrie, conforme à l'esprit et aux vœux du christianisme, doit être diamétralement opposée à cette fausse industrie enfantée par le péché, et qui, grâce au philosophisme moderne et à l'ancienne école économique, a pris de nos jours un développement tellement monstrueux, qu'il effraie tous les hommes clairvoyants et bien pensants. On se préoccupe généralement aujourd'hui de ce grand problème de l'organisation du travail, et peu de personnes s'aperçoivent qu'il ne peut trouver de solution réelle que dans l'application intégrale de l'esprit et des préceptes du christianisme, cette religion de la véritable égalité et fraternité; qu'au lieu du règne préalable des intérêts individuels qu'on voudrait établir, il faut organiser une industrie basée sur la foi, la charité et l'abnégation universalisées, en un mot, une industrie chrétienne.

«Par l'industrie chrétienne, le travail n'est plus une affaire de pur intérêt et de spéculation privée, mais il est exécuté en vue de Dieu. Par elle, devraient s'élever au dessus des sociétés industrielles, au-dessus des colonies agricoles et des communes civiles, les communes de travailleurs chrétiens et religieux, associés dans un but supérieur d'unité religieuse, d'amour et de fraternité, cherchant à faire disparaitre de la surface du globe les traces nombreuses du péché originel; se répandant et s'établissant sur tous ses points pour y faire triompher la loi du Christ et y inaugurer le royaume de Dieu; luttant avec ce dévouement que la religion seule peut inspirer contre les fléaux physiques dont la terre est infectée, contre l'isolement et l'inimitié des races humaines, et contre les misères de tout genre, pour rétablir sur toute la surface du globe l'harmonie perdue, et en faire de nouveau une maison digne de recevoir son Dieu. Defricher de vastes espaces de terrains enlevés jusqu'à présent aux travaux du laboureur, dessécher les grandes eaux dormantes, ouvrir des routes, accélérer les communications entre les hommes par les moyens prodigieux que la science moderne met entre nos mains, faire verdir les deserts, detruire les animaux nuisibles, adoucir les mœurs des hommes par la civilisation, rattacher au tronc commun les peuples sauvages et barbares, et réaliser enfin l'unité humaine par un système général de colonisation chrétienne, appliquée au globe entier, telle est l'œuvre immense et sublime qui est réservée de nos jours à l'industrie chretienne et catholique. Par elle, l'homme, qui jusqu'alors ne savait que bouleverser la terre et la ravager par les guerres, saura que sa Destinée est de l'embellir et de conserver l'œuvre de Dieu par le règne pacifique du travail et de l'association.....

» Le triomphe définitif de l'esprit chrétien, c'est l'organisation de l'industrie, par l'association volontaire du capital, du travail et du talent, avec exclusion de l'esclavage, du servage et du salaire, ces fruits du péché originel. Ainsi, ceux qui prétendaient que le christianisme a socialement réalisé tout ce qu'il devait produire, et qu'il doit absolument rester étranger à l'économie sociale, ont une fausse idée de sa véritable mission. La religion n'est pas seulement une pensée ensevelie au fond de l'esprit, un exercice mystique, un moyen par lequel l'âme s'élève au bonheur de la contemplation; elle a son côté pratique et social; c'est une croyance qui se manifeste au dehors par des tendances et des actes, dont le but est de faire, de la sainte unité, l'expression réelle et logique de la doctrine et de la foi. »

La partie de l'ouvrage que nous venons d'examiner compose presque exclusivement ce que M. Gillot appelle son introduction générale. C'est un magnifique prodrome où sont posés, dans toute leur majesté, les principes de la science nouvelle, et où les plus hautes questions sont abordées, traitées sommairement, et resolues avec une sûreté de coupd'œil, une profondeur d'esprit, une puissance scientifique, une unité auxquelles on n'a nullement été habitué dans le domaine de la morale. Au reste, ce travail nous a paru tellement supérieur, tellement beau, que nous avons considéré comme un devoir de le faire connaitre par de larges citations plutôt que par une analyse imcomplète, et que nous aurions craint de rendre inintelligible à force de brièveté.

La seconde moitié du premier volume contient, sous le titre de physiologie du sentiment, ou Pathologie morale, la partie générale de l'exposition de la science dont M. Gilliot présente la constitution.

Les éléments constitutifs du sentiment sont la sensibilité et le désir. Nous avons vu quel est son rôle et quelle est la place qu'il occupe dans la vie humaine. Ce n'est qu'avec le temps que les éléments du sentiment entrent en mouvement, se manifestent et se développent; mais Tapparition de la sensibilité précède, chez l'être humain, celle du désir.

« La sensibilité est la puissance de réceptivité de notre âme, le point de jonction entre la sensation externe, qui s'opère par l'intermédiaire des sens physiques, et la sensation interne, qui a lieu par l'intermé diaire des sens moraux. Elle est le rapport de réceptivité du sentiment avec l'objet qui provoque le mouvement moral, que cet objet soit matériel ou spirituel. Elle est le premier acte du mouvement passionnel, de ce mouvement qui s'exécute dans le foyer du sentiment; ou, en d'autres termes, elle est la première impulsion du sentiment, impulsion qui va de la circonférence au centre.

» Les cinq sens qui se manifestent dans la sensorium commune, l'un des pôles de la sensibilité, ne peuvent pas être, nous le répétons, l'unique principe de toutes les sensations. La sensibilité se produit encore par d'autres organes plus intenses et qui sont en rapport plus immédiat avec l'intelligence. Car, aussi bien qu'il existe une force capable de nous représenter ce qui est individuel, divisible, matériel, c'est-à-dire les sens externes, aussi bien il doit exister une force capable de nous représenter ce qui est général, universel, absolu et spirituel. Cette force, qui est ce le de la réceptivité interne, appartient aussi bien à l'ordre moral qu'à l'ordre intellectuel. Elle ne vit que dans la sphère plus générale de l'absolu et de l'immatériel. C'est elle seule qui nous révèle l'existence du monde moral et du monde intellectuel. Or, les deux formes sous lesquelles cette force se manifeste sont, pour l'ordre intellectuel, l'intention, et, pour l'ordre moral, le sens moral.

>> Le sens moral est le point de réunion, ou plutôt le point de départ des divers sens internes dans leurs rapports avec notre personnalité, comme le sensorium commune l'est pour les sens externes. Dans sa réfraction, il se spécialise en sentiment du beau, de l'utile, du vrai, du juste, et en divers autres sentiments à caractère spirituel, général et universel.

>> La force de direction du sentiment ou le désir consiste dans la réactivité plus ou moins répétée de l'âme, en quelque sorte dans un élancement de l'âme vers un but déterminé d'activité, élancement et réactivité qui se formulent dans leurs expressions variées par ces mots : penchant, inclination, tendance. »

Tout ce que nous avons vu suffit pour prouver combien la nomenclature de la science morale est claire, précise, nettement déterminée. L'auteur a compris que ces termes ne devaient avoir aucune ambiguité; aussi s'est-il appliqué à les définir dans leurs nuances les plus variées. Ainsi les mots sensation, instinct, inclination, passion, affection, émotion, vertu, ressort, sont rigoureusement fixés dans le sens spécial, de manière à ne prêter à aucune équivoque. Du reste, le langage de M. Gilliot est d'une exactitude toute scientifique, qui rend absolument impossible la plus légère confusion.

Nous avons déjà dit et répété que le travail de M. A. Gilliot devait surtout sa supériorité à la méthode.

La méthode à employer dans l'étude de la science morale, dit-il, sera donc celle usitée dans l'étude des sciences naturelles, c'est-à-dire une méthode de classification progressive et sériaire, contrairement à celle employée jusqu'ici en philosophie, et qui était une méthode d'exclusion systématique. Celle-ci, consistant à chercher toujours le meilleur système, c'est-à-dire le principe qui devait dominer et gou

verner tous les faits, devait nécessairement engendrer l'antagonisme des systèmes, et ne pouvait jamais conduire à l'unité scientifique. Tandis que la méthode de classification progressive et sériaire, ne consistant pas à rejeter les découvertes antérieures comme fausses à cause de leur insuffisance, mais à leur superposer les nouvelles découvertes et à élargir les cadres de classification, à mesure de la découverte d'un nouveau principe et de la perception d'un nouveau point de vue, procède avec mesure et avec sûreté, et peut seule mener à la certitude scientifique. D

Quant aux divers cadres de classification, rien de plus simple, puisque les divers éléments qui composent le sentiment dans sa généralité les fournissent eux-mêmes.

« Nos sentiments se distinguent entre eux suivant qu'ils sont plus spécialement le résultat du jeu de la loi d'attraction, ou de la loi d'expansion, ou de la loi d'harmonie sur les éléments constitutifs du sentiment.

» Ces combinaisons se font dans différentes proportions, présentent divers caracteres extérieurs et des nuances multiples, que l'observation devra saisir, et qui seront pour elle une nouvelle source de distinction et de classification...

» Nous voici arrivés à trois sources principales de distinction et de classification des combinaisons passionnelles ou des sentiments spéciaux.

» 1o Quant à la destinée ou fin de ces combinaisons;

» 2o Quant aux lois générales auxquelles elles obéissent;

» 3o Quant à leur modalité ou à leurs caractères plus extérieurs. » Mais chacune de ces trois catégories principales pourra encore se subdiviser. Ainsi, celle relative à la destinée se subdivisera suivant les divisions secondaires de la destinée; celle relative à la modalité et aux qualités extérieures se subdivisera suivant certains caractères plus essentiels et suivant certaines nuances superficielles, de sorte que le nombre des catégories serait porté à cinq, et pourrait encore être porté au delà, suivant les divers degrés d'analyse.

» Nos sentiments se divisent d'après les phases de la destinée auxquelles ils se rapportent.

>> Le sentiment est un des organes généraux de la vie morale, comme celle-ci est une des faces de la vie humaine. Les divers sentiments spéciaux doivent donc être des organes particuliers de la vie morale, ou plutôt des organes spéciaux de cette série de mouvements moraux qui s'opèrent dans le foyer du sentiment. »

A la division de la destinée en trois phases générales, correspondent trois classes ou ordres de sentiments:

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