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POLOGNE.

d'événemens, & d'une réunion de circonftances, la plupart prefque imperceptibles, & du moins difficiles à difcerner. La Pologne offre cependant à l'obfervateur l'avantage fingulier d'un nombre d'historiens eftimables, qui ont développé avec une précision peu commune, les divers événemens auxquels on doit la forme vraiment extraordinaire de fon gouvernement. Avec ce fecours on peut fuivre fes révolutions, & comprendre comment cette monarchie prefque abfolue s'eft changée, dans l'efpace de peu de fiècles, en une aristocratie à-peu-près illimitée, fans avoir été agitée par de violentes convulfions.

L'hiftoire de Pologne ne commence à acquérir quelque clarté & quelque certitude que fous la feconde race de fes rois. Car ce qu'on raconte de la première, ou de la race de Lesko, & même de la feconde, ou de celle de Piaft, n'est guères qu'un tiffu de fables. Les Polonois étoient encore payens, barbares, & fans aucune connoiffance des lettres. Ce ne fut que vers la fin du dixième fiècle, fous Micislas II, qu'ils commencèrent à être connus des nations voisines, dont les historiens entrent dès lors dans quelques détails fur ce qui les

concerne.

On a difputé fur la forme du gouvernement adopté en Pologne fous cette feconde race de fes rois. Les uns ont cru qu'ils étoient électifs, & que leur autorité étoit très - limitée ; d'autres penfent au contraire qu'ils étoient héréditaires, & que leur pouvoir étoit presque abfolu. (*) On peut concilier ces deux opinions, fi l'on obferve

(*) Il est très vraisemblable que la Pologne étoit gouvernée, dès les temps les plus reculés, comme les autres états du nord, par des loix, ou plutôt par un ufage qui, gravé profondément dans l'efprit des peuples, leur tenoit lieu de loi écrite. Cet ufage confacré par le temps, vouloit qu'on choisit les rois dans la même famille, auffi long-temps qu'elle fubfiftoit, à moins que des circonftances extraordinaires n'y miffent obftacle; mais en même temps, la nation étoit confultée fur le choix de fon prince, & fon approbation feule pouvoit le mettre en poffeffion du trône. Reges ex nobilitate, duces ex virtute fumunt, dit Tacite des Germains. Tous les gouvernemens fondés par les peuples du nord, foit dans leur patrie, foit dans les autres contrées de l'Europe, ont été en quelque forte jetés dans ce même moule, & tant de preuves atteftent ce fait, qu'il ne peut plus étre un fujet de difpute. (Note du Traducteur.)

que la couronne pouvoit être jugée héréditaire, parce qu'elle fe POLOGNE perpétuoit dans la même famille. Elle paroiffoit élective, parce qu'à la mort du monarque, fon fucceffeur étoit reconnu & proclamé dans l'affemblée des états de la nation. A l'égard du degré d'autorité dont il jouiffoit, il varioit beaucoup fans doute, & dépendoit des circonstances, & furtout du bonheur & de la capacité du prince.

Vers la fin de cette feconde race, Cafimir le Grand vint à bout de réduire dans de juftes bornes l'autorité turbulente & oppreffive des grands de fon royaume, & il accorda divers privilèges à la nobleffe du fecond ordre. Mais Louis de Hongrie, fon neveu & fon fucceffeur, étant étranger, ne put obtenir la couronne qu'en foufcrivant à une diminution de pouvoir, qui détruifit bientôt l'ouvrage de Cafimir. Ce prince ne laiffa point de fils. Les Polonois ne voulant point l'empereur Sigismond fon gendre pour roi, ils appelèrent au trône Ladislas Jagellon, duc de Lithuanie, qui, en acceptant ce bienfait, ne pouvoit refufer de foufcrire, comme fon prédéceffeur, aux conditions qu'on y attachoit, & en particulier à celle de ne point impofer de taxes à la nation fans fon confentement. Ses fucceffeurs cédèrent la plupart d'autres branches de la prérogative royale, pour obtenir des fubfides de la nobleffe. Enfin, fous l'un de ces princes de la maifon de Jagellon, les grands qui afpiroient depuis long-temps au droit de choisir un roi à leur gré, obligèrent Sigismond Augufte en 1550 à foufcrire à la loi qui donnoit à la nation le droit illimité d'élection à chaque vacance du trône; & ce prince n'ayant point d'héritier måle, cette loi qui eût pu être éludée par un proche parent, eut fon entière exécution.

C'est ainsi que la couronne de Pologne devint élective fans aucune réferve, & que cette nouvelle forme de gouvernement fut établie fur les bafes les plus folides. En effet, on dreffa vers la même époque, dans une diète générale, une efpèce de charte ou de capitulation, contenant tous les droits que la nation fe réfervoit, & que les candidats au trône devoient s'engager à reconnoître avant leur élection. Cette charte, connue en Pologne fous le nom de Pacta conventa contenoit toutes les conceffions faites par Louis & fes fucceffeurs, avec les additions fuivantes: 1°. Que la couronne feroit élective, & que le roi ne fe donneroit jamais un fucceffeur pendant fa vie.

POLOGNE.

2°. Que les diètes générales feroient affemblées tous les deux ans. 3°. Que tout homme noble, fujet du royaume, auroit droit de fuffrage dans la diète d'élection. 4°. Que fi le roi portoit quelque atteinte aux loix & aux privilèges de la nation, les fujets feroient déliés de leur ferment de fidélité. Ces Pacta conventa ont été étendus encore dans certaines occafions, & tous les rois élus dès-lors les ont confirmés à leur couronnement.

Il étoit naturel en effet qu'en recevant le don d'une couronne, fur laquelle ils n'avoient aucun droit, ces princes ne fe montraffent pas difficiles, & ne s'expofaffent pas à fe voir préférer des concurrens qui l'auroient été moins qu'eux. Après l'avoir reçue, il étoit encore fort fimple qu'ils aimaffent mieux en perdre quelque fleuron que de la perdre toute entière. C'étoit un effet de la loi, qui donnoit à la nation le droit de la leur ôter. Auffi voyons-nous fous cette période de rois élus, l'aristocratie faire de nouveaux & de rapides progrès. Henri de Valois, le premier qui le fut felon les nouvelles conftitutions, prodigua l'or & les promeffes pour s'affurer la pluralité des fuffrages. Cette méthode fut néceffairement adoptée par fes fucceffeurs, & elle rendit le droit électif encore plus cher aux Polonois. Sous Etienne Batori, on foumit le roi à l'infpection de feize fénateurs, choifis par la diète, fans la participation defquels il ne pouvoit prendre aucune réfolution importante. On lui ôta en 1578 le droit de juger en dernier reffort les caufes de la nobleffe, à moins que le fait qui y donnoit lieu ne fe fût paffé à une très-petite distance de la réfidence du roi. On établit des cours fouveraines de juftice, dont les membres font élus par les nobles de chaque Palatinat ou province. Sous le règne turbulent de Jean Cafimir, on introduifit le Liberum veto, ou le droit dont jouit chaque député, de s'oppofer par fa feule négative à toute réfolution qui fe prend dans une diète contre fon gré, & de rompre & diffoudre même la diète par ce feul acte, privilège refufé au fouverain, & qui fuffifoit pour rompre tout équilibre de pouvoir, & plonger l'état dans l'anarchie.

Il restoit cependant au roi de Pologne une prérogative précieuse qui pouvoit lui conferver une influence confidérable dans les confeils de la nation: c'étoit lui qui étoit la fource des honneurs & des grâces;

il conféroit feul les ftarofties & les principales dignités de la répu blique; mais on a encore privé le roi régnant de cette prérogative, POLOGNE. par l'établiffement du Confeil - Permanent.

On voit par cette efquiffe des révolutions du gouvernement de Pologne, que depuis la fin du quatorzième fiècle jufques à notre temps, les grands & la nobleffe n'ont pas ceffé de travailler avec fuccès à élever leur autorité fur les ruines de celle du roi; qu'en laiffant fubfifter ce nom, & une image du gouvernement monarchique, ils ont établi dans le fait l'ariftocratie la plus abfolue, enforte que cette liberté dont quelques Polonois fe glorifient, n'eft que le pouvoir du petit nombre, & l'oppreffion du plus grand, un partage fouverainement inégal qui place les grands au-deffus des loix, & refuse au refte de la nation tout moyen d'en être protégée. On pourroit croire que fi les Polonois font libres, c'eft furtout dans la circonftance de l'élection de leur roi, celui de tous leurs privilèges dont ils fe glorifient le plus. Cependant, un de leurs meilleurs politiques, Sarnisky, s'adreffant à eux, leur difoit fort bien: parcourez vos annales, & vous y trouverez à peine un feul exemple d'une élection libre. Un autre hiftorien polonois très-eftimé, le célèbre Stanislas Lubienský, évêque de Plotsko, foutient avec raifon que les Polonois fi fiers de leur liberté prétendue, font en effet de vrais efclaves, & que c'est là l'effet de leur paffion inconfidérée pour la liberté. Leur hiftoire prouve fans réplique, qu'ils étoient plus libres chez eux, plus indépendans, plus refpectés audehors, lorfque leur fouverain jouiffoit d'une plus grande autorité; lorfque les nobles affiftoient aux diètes fans avoir le droit de les diffoudre; lorfqu'ils étoient foumis, eux & leurs ferfs, à la juris diction du roi. On voyoit fous les rois Jagellons des villes floriffantes qui font aujourd'hui dans l'état le plus miférable. Leurs citoyens ont perdu le droit de fe faire repréfenter dans les diètes. La misère des paysans s'est accrue avec le pouvoir des nobles. Le roi n'a plus été en état de les protéger. Une confufion générale s'eft introduite dans l'administration des affaires publiques; les mefures les plus néceffaires, les plus preffantes ont été négligées. Perfonne n'a plus eu de foin de la chofe publique, & l'état a été plongé dans une véritable anarchie.

POLOGNE.

Enfin, la Pologne autrefois redoutable à fes voifins, a perdu depuis cette époque plufieurs de fes provinces, & dernièrement elle a effuyé une perte immenfe par le fameux partage. Un royaume qui comptoit douze millions d'habitans, n'eut jamais été expofé, fous un bon gouvernement, à un fi grand revers; & il eft moins que jamais à l'abri d'en éprouver de nouveaux. Sa fituation eft telle qu'il fera encore obligé de fubir la loi la plus dure, toutes les fois que fes voisins voudront s'entendre pour la lui dicter.

Le roi Stanislas Letzinski & l'abbé Konarski font les écrivains polonois qui ont exposé, avec le plus de force, tous les abus du gouvernement. Mais que peuvent les représentations de quelques fages contre la fureur des factions, les préjugés & l'intérêt d'une nobleffe tumultueuse, les cabales & les intrigues des Puiffances voisines? On ne peut efpérer que la Pologne, fans armée, fans argent, fans fortereffes, avec fon mauvais gouvernement, fource de tous fes autres maux, se relève jamais de fon état actuel. Ses infortunes, loin de ceffer, s'accroîtront vraisemblablement à moins que par quelque caufe imprévue, elle ne devienne une monarchie héréditaire, ou une république bien ordonnée; ou, ce qui eft bien plus probable, qu'elle ne foit conquife par fes puiffans voisins.

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