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lieu, il est bien difficile qu'une pièce ne foit pas fimple: auffi voilà le mérite de toutes les pièces de M. Racine, et celui que demandait Ariftote. M. de la Motte, en défendant une tragédie de fa compofition, préfère à cette noble fimplicité la multitude des événemens; il croit fon fentiment autorisé par le peu de cas qu'on fait de Bérénice, par l'eftime où eft encore le Cid. Il eft vrai que le Cid eft plus touchant que Bérénice; mais Bérénice n'eft condamnable que parce que c'est une élégie plutôt qu'une tragédie 'fimple; et le Cid, dont l'action eft véritablement tragique, ne doit point fon fuccès à la multiplicité des événemens; mais il plaît malgré cette multiplicité, comme il touche malgré l'Infante, et non pas à caufe de l'Infante.

M. de la Motte croit qu'on peut fe mettre au- deffus de toutes ces règles, en s'en tenant à l'unité d'intérêt, qu'il dit avoir inventée et qu'il appelle un paradoxe: mais cette unité d'intérêt ne me paraît autre chofe que celle de l'action. Si plufieurs perfonnages, dit-il, font dive fement intéreffés dans le même événement, et s'ils font tous dignes que j'entre dans leurs paffions, il y a alors unité d'action, et non pas unité d'intérêt. (a)

(a) Je foupçonne qu'il y a une erreur dans cette propofition, qui m'avait paru d'abord très-plaufible; je fupplie M. de la Motte de l'examiner avec moi. N'y a-t-il pas dans Rodogune plufieurs perfonnages principaux

Depuis que j'ai pris la liberté de difputer contre M. de la Motte fur cette petite quefticn, j'ai relu le difcours du grand Corneille fur les trois unités; il vaut mieux confulter ce grand maître que moi. Voici comme il s'exprime: Je tiens donc, et je l'ai déjà dit, que l'unité d'action confifte en l'unité d'intrigue et en l'unité de péril. Que le lecteur life cet endroit de Corneille, et il décidera bien vîte entre M. de la Motte et moi; et quand je ne ferais pas fort de l'autorité de ce grand homme, n'ai-je pas encore une raison plus convaincante? c'est l'expérience. Qu'on life

diversement intéreffés? Cependant il n'y a réellement qu'un feul intérêt dans la pièce, qui eft celui de l'amour de Rodogune et d'Antiochus. Dans Britannicus: Agrippine, Néron, Narcisse, Britannicus, Junie, n'ont-ils pas tous des intérêts féparés, ne méritent-ils pas tous mon attention? Cependant ce n'eft qu'à l'amour de Britannicus et de Junie que le public prend une part intéreffante. Il est donc très - ordinaire qu'un feul et unique intérêt résulte de diverfes paffions bien ménagées,' C'est un centre où plufieurs lignes différentes aboutiffent: c'est la principale figure du tableau, que les autres font paraître fans fe dérober à la vue. Le défaut n'est pas d'amener fur la scène plufieurs perfonnages avec des defirs et des deffeins différens; le défaut eft de ne favoir pas fixer notre intérêt fur un feul amour, lorfqu'on en préfente plufieurs. C'est alors qu'il n'y a plus unité d'intérêt; et c'est alors auffi qu'il n'y a pius unité d'action.

La tragédie de Pompée en eft un exemple: Céfar vient en Egypte pour voir Cléopátre: Pompée pour s'y réfugier: Cléopâtre veut être aimée et régner: Cornélie veut fe venger fans favoir comment: Ptolomée fonge à conferver fa couronne. Toutes ces parties défaffemblées ne compofent point un tout; auffi l'action eft double et même triple, et le fpectateur ne s'intéresse pour perfonne.

Si ce n'eft point une témérité d'ofer mêler mes défauts avec ceux du grand Corneille, j'ajouterai que mon Oedipe eft encore une preuve que des intérêts très divers, et, fi je puis ufer de ce mot, mal affortis, font néceffairement une duplicité d'action. L'amour de Philoctete n'eft point lié à la fituation d'Oedipe, et dès-là cette pièce eft double. Note tirée de l'édition de 1730.

nos meilleures tragédies françaises, on trouvera toujours les personnages principaux diverfement intéreffés; mais ces intérêts divers fe rapportent tous à celui du personnage principal, et alors il y a unité d'action. Si au contraire tous ces intérêts différens ne fe rapportent pas au principal acteur, fi ce ne font pas des lignes qui aboutiffent à un centre commun, l'intérêt eft double, et ce qu'on appelle action au théâtre l'eft auffi. Tenons-nous en donc comme le grand Corneille aux trois unités, dans lesquelles les autres règles, c'eft-à-dire les autres beautés, se trouvent renfermées.

M. de la Motte les appelle des principes de fantaisie, et prétend qu'on peut fort bien s'en paffer dans nos tragédies, parce qu'elles font négligées dans nos opéra. C'eft, ce me semble, vouloir réformer un gouvernement régulier fur l'exemple d'une anarchie.

DE L'OPERA.

L'opéra eft un fpectacle auffi bizarre que magnifique, où les yeux et les oreilles font plus fatisfaits que l'efprit; où l'afferviffement à la mufique rend néceffaires les fautes les plus ridicules; où il faut chanter des ariettes dans la deftruction d'une ville et danfer autour d'un tombeau; où

l'on voit le palais de Pluton et celui du Soleil; des dieux, des démons, des magiciens, des prestiges, des monftres, des palais formés et détruits en un clin d'œil. On tolère ces extravagances, on les aime même, parce qu'on eft là dans le pays des fées ; et pourvu qu'il y ait du fpectacle, de belles danfes, une belle mufique, quelques fcènes intéreffantes, on eft content. Il ferait auffi ridicule d'exiger dans Alceste l'unité d'action, de lieu et de temps, que de vouloir introduire des danfes et des démons dans Cinna ou dans Rodogune.

Cependant quoique les opéra foient dispensés de ces trois règles, les meilleurs font encore ceux où elles font le moins violées: on les retrouve même, fi je ne me trompe, dans plufieurs; tant elles font néceffaires et naturelles, et tant elles fervent à intéreffer le fpectateur. Comment donc M. de la Motte peut - i reprocher à notre nation la légéreté de condamner dans un spectacle, les mêmes chofes que nous approuvons dans un autre? Il n'y a perfonne qui ne pût répondre à M. de la Motte. « J'exige avec raifon beaucoup plus de perfection d'une » tragédie que d'un opéra, parce qu'à une tragédie mon attention n'eft point partagée, que ce n'est ni d'une farabande, ni d'un pas de deux » que dépend mon plaifir; et que c'est à mon ame

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» uniquement qu'il faut plaire. J'admire qu'un homme ait fu amener et conduire dans un

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feul lieu et dans un feul jour, un feul événe

» ment que mon efprit conçoit fans fatigue, et où mon cœur s'intéreffe par degrés. Plus je vois combien cette fimplicité eft difficile, plus » elle me charme; et fi je veux enfuite me rendre raifon de mon plaifir, je trouve que » je fuis de l'avis de M. Defpréaux qui dit :

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» Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli, Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.

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J'ai moi, pourra-t-il dire, l'autorité

pour

du grand Corneille: j'ai plus encore, j'ai fon

» exemple, et le plaifir que me font fes ouvrages à proportion qu'il a plus ou moins obéi à » cette règle.,,

M. de la Motte ne s'eft pas contenté de vouloir ôter du théâtre fes principales règles, il veut encore lui ôter la poëfie, et nous donner des tragédies en profe.

DES TRAGEDIES EN PROSE.

Cet auteur ingénieux et fécond, qui n'a fait que des vers en fa vie, ou des ouvrages de profe à l'occafion de fes vers, écrit contre fon art même, et le traite avec le même mépris qu'il a

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