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qu'elles ne m'ont offenfé; et même de tous ceux qui ont vu cette fatire en manufcrit, je fuis celui qui en ai jugé le plus avantageusement. Peut-être ne l'ai-je trouvée bonne, que par la crainte où j'étais de fuccomber à la tentation de la trouver mauvaife: le public jugera de son prix.

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Ĉe cenfeur affure dans fon ouvrage que ma tragédie fanguira triftement dans la boutique de Ribou lorfque fa lettre aura deffilé les yeux du public; heureusement il empêche lui-même le mal qu'il me veut faire. Si fa fatire eft bonne, tous ceux qui la liront auront quelque curiofité de voir la tragédie qui en eft l'objet; et au lieu que les pièces de théâtre font vendre d'ordinaire leurs critiques, cette critique fera vendre mon ouvrage. Je lui aurai la même obligation qu'Efcobar eut à Pafcal. Cette comparaison me paraît affez jufte; car ma poëfie pourrait bien être auffi relâchée que la morale d'Efcobar ; et il y a dans la fatire de ma pièce, quelques traits qui font peut-être dignes des Lettres Provinciales, du moins par la malignité.

Je reçois une troifième critique; celle-ci eft fi miférable, que je n'en puis moi-même foutenir la lecture. On m'en promet encore deux autres. Voilà bien des ennemis; fi je fais encore une tragédie, 'où fuirai-je?

JE

LETTRE

au père PORÉE, Jésuite.

les

E vous envoie, mon cher Père, (a) la nouvelle édition qu'on vient de faire de la tragédie d'Oedipe. J'ai eu foin d'effacer, autant que je l'ai pu, couleurs fades d'un amour déplacé, que j'avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce fujet exige.

Je veux d'abord que vous fachiez, pour ma justification, que tout jeune que j'étais quand je fis l'Oedipe, je le compofai à-peu-près tel que vous le voyez aujourd'hui. J'étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaiffais fort peu le théâtre de Paris; je travaillai à-peu-près comme fi j'avais été à Athènes. Je confultai M. Dacier qui était du pays: il me confeilla de mettre un chœur dans toutes les fcènes, à la manière des Grecs. C'était me confeiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J'eus bien de la peine feulement à obtenir que les comédiens de Paris vouluffent exécuter les choeurs qui paraiffent trois ou quatre fois dans la pièce; j'en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie prefque fans amour. Les comédiennes fe moquèrent de moi, quand elles virent qu'il n'y avait point de rôle pour l'Amoureuse. On trouva la fcène de la double confidence entre Oedipe et Jocafte, tirée en partie de

(a) Cette lettre a été trouvée dans les papiers du père Porée après la mort.

Sophocle, tout-à-fait infipide. En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce temps-là petits - maîtres et grands seigneurs, refufèrent de représenter l'ouvrage.

J'étais extrêmement jeune: je crus qu'ils avaient raison. Je gâtai ma pièce pour leur plaire, en affadiffant par des fentimens de tendreffe un fujet qui le comporte fi peu. Quand on vit un peu d'amour, on fut moins mécontent de moi; mais on ne voulut point du tout de cette grande fcène entre Joçafte et Oedipe: on fe moqua de Sophocle et de fon imitateur. Je tins bon, je dis mes raifons, j'employai des amis; enfin ce ne fut qu'à force de protections que j'obtins qu'on jouerait. Oedipe.

Il y avait un acteur nommé Quinault, qui dit tout haut, que pour me punir de mon opiniâtreté, il fallait jouer la pièce telle qu'elle était, avec ce mauvais quatrième acte tiré du Grec. On me regardait d'ailleurs comme un téméraire d'ofer traiter un fujet où P. Corneille avait fi bien réuffi. On trouvait alors l'Oedipe de Corneille excellent; je le trouvais un fort mauvais ouvrage, et je n'ofais le dire: je ne le dis enfin qu'au bout de dix ans, quand tout le monde eft de mon avis.

Il faut fouvent bien du temps pour que juftice foit rendue. On l'a faite un peu plutôt aux deux Oedipes de M. de la Motte. Le révérend père de Tournemine a dû vous communiquer la petite préface dans laquelle

lui livre bataille. M. de la Motte a bien de l'efprit: il eft un peu comme cet athlète grec, qui, quand il était terraffé, prouvait qu'il avait le deffus.

Je ne fuis de fon avis fur rien; mais vous m'avez appris à faire une guerre d'honnête homme. J'écris

avec tant de civilité contre lui, que je l'ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface, où je tâche de lui prouver fon tort à chaque ligne; et il a lui-même approuvé ma petite differtation polémique. Voilà comme les gens de lettres devraient fe combattre; voilà comme ils en uferaient, s'ils avaient été à votre école; mais ils font d'ordinaire plus mordans que des avocats, et plus emportés que des janféniftes. Les lettres humaines font devenues très-inhumaines. On injurie, on cabale, on calomnie, on fait des couplets. Il eft plaifant qu'il foit permis de dire aux gens, par écrit, ce qu'on n'oferait pas leur dire en face! Vous m'avez appris, mon cher Père, à fuir ces baffeffes, et à favoir vivre comme à favoir écrire.

Les Mufes filles du ciel,
Sont des fœurs fans jaloufie:
Elles vivent d'ambroifie,

Et non d'abfinthe et de ficl;
Et quand Jupiter appelle

Leur affemblée immortelle

Aux fêtes qu'il donne aux dieux,
Il défend que le Satyre

Trouble les fons de leur lyre

Par fes fons audacieux.

Adieu, mon cher et révérend Père: je fuis pour jamais à vous et aux vôtres, avec la tendre reconnaiffance que je vous dois, et que ceux qui ont été élevés par vous ne confervent pas toujours ete.

A Paris, le 7 janvier 1729.

PREFACE

DE L'EDITION DE 1729.

L'OEDIPE, dont on donne cette nouvelle édition, fut représenté pour la première fois à la fin de l'année 1718. Le public le reçut avec beaucoup d'indulgence. Depuis même, cette tragédie s'eft toujours foutenue fur le théâtre, et on la revoit encore avec quelque plaifir malgré fes défauts; ce que j'attribue en partie à l'avantage qu'elle a toujours eu d'être très-bien représentée, et en partie à la pompe et au pathétique du spectacle même.

Le père Folard, jéfuite, et M. de la Motte, de l'académie française, ont depuis traité tous deux le même fujet, et tous deux ont évité les défauts dans lesquels je fuis tombé. Il ne m'appartient pas de parler de leurs pièces; mes critiques et même mes louanges, paraîtraient également fufpectes. (a)

Je fuis encore plus éloigné de prétendre donner une poëtique à l'occafion de cette tragédie; je fuis perfuadé que tous ces raisonnemens délicats, tant rebattus depuis quelques années, ne valent pas une scène de génie, et qu'il y a bien plus

(a) M. de la Motte donna deux Oedipes en 1726, l'un en rimes et l'autre en profe non rimée. L'Oedipe en rimes fut représenté quatre fois, l'autre n'a jamais été joué.

Théâtre. Tom. I.

E

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