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font fatisfaits que Jocafe ait étouffé un monftre au berceau; et vraisemblablement ils n'ont prédit les crimes de ce fils, qu'afin qu'on l'empêchât de les

commettre.

Jocafte foupçonne, avec auffi peu de fondement, que les dieux puniffent les Thébains de n'avoir pas vengé la mort de Lažus. Elle prétend qu'on n'a jamais pu venger cette mort, comment donc peut-elle croire que les dieux la puniffent de n'avoir pas fait l'impoffible?

Avec moins de fondement encore, Oedipe répond:

Pourrons-nous en punir des brigands inconnus,
Que peut-être jamais en ces lieux on n'a vus?
Si vous m'avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadême.

Au lieu même, au temps même, attaqué feul par trois, J'en laiffai deux fans vie, et mis l'autre aux abois.

Oedipe n'a aucune raifon de croire que ces trois voyageurs fuffent des brigands, puifqu'au quatrième acte, lorfque Phorbas paraît devant lui, il lui dit :

le

Et tu fus un des trois que je fus arrêter,

Dans ce paffage étroit qu'il fallut difputer.

S'il les a arrêtés lui-même, et s'il ne les a combattus que parce qu'ils ne voulaient pas lui céder pas, il n'a point dû les prendre pour des voleurs, qui font ordinairement très-peu de cas des cérémonies, et qui fongent plutôt à dépouiller les paffans qu'à leur difputer le haut du pavé.

Mais il me femble qu'il y a dans cet endroit une faute encore plus grande. Oedipe avoue à Jocafte qu'il s'eft battu contre trois inconnus au temps même et au lieu même où Laïus a été tué. Jocafte fait que Lažus n'avait avec lui que deux compagnons de voyage. Ne devait-elle donc pas foupçonner que Laïus eft peut-être mort de la main d'Oedipe? Cependant elle ne fait nulle attention à cet aveu, de peur que la pièce ne finiffe au premier acte; elle ferme les yeux fur les lumières qu'Oedipe lui donne, et jufqu'à la fin du quatrième acte il n'eft pas dit un mot de la mort de Laïus, qui pourtant eft le fujet de la pièce. Les amours de Théfée et de Dircé occupent toute la fcène..

C'eft au quatrième acte qu'Oedipe, en voyant Phorbas, s'écrie :

C'est un de mes brigands à la mort échappé,
Madame, et vous pouvez lui choifir des fupplices:
S'il n'a tué Laïus, il fut un des complices.

Pourquoi prendre Phorbas pour un brigand? et pourquoi affirmer avec tant de certitude qu'il eft complice de la mort de Laius? Il me paraît que l'Oedipe de Corneille accufe Phorbas avec autant de légèreté que l'Oedipe de Sophocle accufe Créon.

Je ne parle point de l'action gigantefque d'Oedipe qui tue trois hommes tout feul dans Corneille, et qui en tue fept dans Sophocle. Mais il eft bien étrange qu'Oedipe fe fouvienne, après feize ans, de tous les traits de ces trois hommes; Que l'un avait le poil

noir, la mine assez farouche, lè front cicatrife, et le regard un peu louche; que l'autre avait le teint frais et l'œil perçant, qu'il était chauve fur le devant et mêlé fur le derrière, et pour rendre la chofe encore moins vraisemblable, il ajoute :

On en peut voir en moi la taille et quelques traits.

Ce n'était point à Oedipe à parler de cette reffemblance: c'était à Jocafte, qui, ayant vécu avec l'un et avec l'autre, pouvait en être bien mieux informée qu'Oedipe, qui n'a jamais vu Latus qu'un moment en fa vie. Voilà comme Sophocle a traité cet endroit : mais il fallait que Corneille, ou n'eût point lu du tout Sophocle, ou le méprifàt beaucoup, puifqu'il n'a rien emprunté de lui, ni beautés ni défauts.

Cependant, comment fe peut-il faire qu'Oedipe ait seul tué Laïus, et que Phorbas, qui a été bleffé à côté de ce roi, dife pourtant qu'il a été tué par des voleurs? Il était difficile de concilier cette contra- . diction, et Jocafte, pour toute réponse, dit que

C'est un conte, Dont Phorbas, au retour, voulut cacher fa honte.

Cette petite tromperie de Phorbas devait-elle être le nœud de la tragédie d'Oedipe? Il s'eft pourtant trouvé des gens qui ont admiré cette puérilité; et un homme diftingué à la cour par fon efprit m'a dit que c'était là le plus bel endroit de Corneille.

Au cinquième acte, Oedipe, honteux d'avoir épousé la veuve d'un roi qu'il a maffacré, dit qu'il veut fe

bannir et retourner à Corinthe, et cependant il envoie chercher Théfée et Dircé,

Pour lire dans leur ame

S'ils prêteraient la main à quelque fourde trame.

Et que lui importent les fourdes trames de Dircé, et les prétentions de cette princeffe fur une couronne à laquelle il renonce pour jamais?

Enfin, il me paraît qu'Oedipe apprend avec trop de froideur fon affreuse aventure. Je fais qu'il n'est point coupable, et que fa vertu peut le confoler d'un crime involontaire. Mais s'il a affez de fermeté dans l'efprit pour fentir qu'il n'eft que malheureux, doit-il se punir de fon malheur? Et s'il eft affez furieux et affez désespéré pour se crever les yeux, doit-il être affez froid pour dire à Dircé dans un moment fi terrible:

Votre frère eft connu, le favez-vous, Madame ?
Votre amour pour Théfée eft dans un plein repos.

Aux crimes, malgré moi, l'ordre du ciel m'attache;
Pour m'y faire tomber, à moi-même il me cache;
Il offre, en m'aveuglant fur ce qu'il a prédit,
Mon père à mon épée et ma mère à mon lit.
Hélas! qu'il eft bien vrai qu'en vain on s'imagine
Dérober notre vie à ce qu'il nous destine!

Les foins de l'éviter font courir au - devant,

Et l'adreffe à le fuir y plonge plus avant.

Doit-il refter fur le théâtre à débiter plus de quatre-vingt vers avec Dircé et avec Théfée qui est

un étranger pour lui, tandis que Jocafte, fa femme et fa mère, ne fait encore rien de fon aventure, et ne paraît pas sur la scène?

Voilà à-peu-près les principaux défauts que j'ai cru appercevoir dans l'Oedipe de Corneille. Je m'abufe peut-être mais je parle de ses fautes avec la même fincérité que j'admire les beautés qui y font répandues; et quoique les beaux morceaux de cette pièce me paraiffent très-inférieurs aux grands traits de fes autres tragédies, je défefpère pourtant de les égaler jamais; car ce grand homme eft toujours au-deffus des autres, lors même qu'il n'eft pas entièrement égal à lui-même.

Je ne parle point de la verfification; on fait qu'il · n'a jamais fait de vers fi faibles et fi indignes de la tragédie. En effet, Corneille ne connaisfait guère la médiocrité, et il tombait dans le bas avec la même facilité qu'il s'élevait au fublime.

J'espère que vous me pardonnerez, Monfieur, la témérité avec laquelle je parle; fi pourtant c'en eft une de trouver mauvais ce qui eft mauvais, et de refpecter le nom de l'auteur fans en être l'efclave.

Et quelles fautes voudrait - on que l'on relevât ? Serait-ce celles des auteurs médiocres, dont on ignore tout jufqu'aux défauts? C'est fur les imperfections. des grands hommes qu'il faut attacher fa critique ;, car fi le préjugé nous fefait admirer leurs fautes, bientôt nous les imiterions, et il fe trouverait peutêtre que nous n'aurions pris de ces célèbres écrivains que l'exemple de mal faire.

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