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plus, fans doute, ce Tragique Français que le Grec; mais je refpecte encore plus la vérité, à qui je dois les premiers égards. Je crois même que quiconque ne fait pas connaître les fautes des grands hommes, eft incapable de fentir le prix de leurs perfections. J'ofe donc critiquer l'Oedipe de Corneille et je le ferai avec d'autant plus de liberté, que je ne crains point que vous me soupçonniez de jaloufie, ni que vous me reprochiez de vouloir m'égaler à lui. C'eft en l'admirant que je hafarde ma cenfure; et je crois avoir une eftime plus véritable pour ce fameux poëte, que ceux qui jugent de l'Oedipe par le nom de l'auteur, non par l'ouvrage même; et qui euffent méprifé dans tout autre ce qu'ils admirent dans l'auteur de Cinna.

Corneille fentit bien que la fimplicité, ou plutôt la féchereffe de la tragédie de Sophocle, ne pouvait fournir toute l'étendue qu'exigent nos pièces de théâtre. On se trompe fort, lorsqu'on pense que tous ces fujets, traités autrefois avec fuccès par Sophocle et par Euripide, l'Oedipe, le Philoctete, l'Electre, l'Iphigénie en Tauride, font des fujets heureux et aifés à manier; ce font les plus ingrats et les plus impraticables: ce font des fujets d'une ou de deux fcènes tout au plus, et non pas d'une tragédie. Je fais qu'on ne peut guère voir fur le théâtre des événemens plus affreux ni plus attendriffans; et c'eft cela même qui rend le fuccès plus difficile. Ilut joindre à ces événemens des paffions qui les pr-parent: fi ces paffions font trop fortes, elles étouffent le fujet ; fi elles font trop faibles, elles nguiffent. Il fallait que Corneille marchât entre ces

deux extrêmités, et qu'il fuppléât par la fécondité de fon génie à l'aridité de la matière. Il choifit donc l'épisode de Théfée et de Dircé; et quoique cet épisode ait été univerfellement condamné, quoique Corneille eût pris dès long-temps la glorieuse habitude d'avouer fes fautes, il ne reconnut point celleci; et parce que cet épifode était tout entier de fon invention, il s'en applaudit dans fa préface: tant il eft difficile aux plus grands hommes, et même aux plus modeftes, de fe fauver des illufions de l'amourpropre.

Il faut avouer que Théfée joue un étrange rôle pour un héros. Au milieu des maux les plus horribles dont un peuple puiffe être accablé, il débute par dire que,

Quelque ravage affreux que faffe ici la pefte,
L'abfence aux vrais amans eft encor plus funefte.
Et parlant, dans la feconde fcène, à Oedipe:

Il veut lui faire voir un beau feu dans fon sein,
Et tâcher d'obtenir un aveu favorable,
Qui peut faire un heureux d'un amant miférable.
Il est vrai, j'aime en votre palais; ·
Chez vous eft la beauté qui fait tous mes fouhaits.
Vous l'aimez à l'égal d'Antigone et d'Ismène,
Elle tient même rang chez vous et chez la reine;
En un mot, c'eft leur fœur, la princeffe Dircé,
Dont les yeux........

Oedipe répond

Quoi! fes yeux, Prince, vous ont blesse?

Je fuis fâché pour vous que la reine sa mère
Ait fu vous prévenir pour un fils de fon frère.
Ma parole eft donnée et je n'y puis plus rien:
Mais je crois qu'après tout fes fœurs la valent bien.

THE SÉ E.

Antigone eft parfaite, Ifmène eft admirable;

Dirce, fi vous voulez, n'a rien de comparable;
Elles font, l'une et l'autre, un chef-d'œuvre des cieux;
Mais...

Ce n'eft pas offenfer deux fi charmantes fœurs,
Que voir en leur aînée auffi quelques douceurs.

Il faut avouer que les difcours de Guillot - Gorju et de Tabarin ne font guère différens.

Cependant l'ombre de Laius demande un prince ou une princeffe de fon fang pour victime; Dircé, feul refte du fang de ce roi, eft prête à s'immoler fur le tombeau de fon père: Théfée qui veut mourir pour elle, lui fait accroire qu'il eft fon frère, et ne laiffe pas de lui parler d'amour malgré la nouvelle parenté.

J'ai mêmes yeux encore, et vous mêmes appas.
Mon cœur n'écoute point ce que le fang veut dire ;
C'est d'amour qu'il gémit, c'eft d'amour qu'il foupire;
Et pour pouvoir fans crime en goûter la douceur,
Il fe révolte exprès contre le nom de fœur.

Cependant, qui le croirait? Théfée, dans cette même fcène, fe laffe de fon ftratagême. Il ne peut pas foutenir plus long-temps le perfonnage de frère; et

fans attendre que le frère de Dirce foit connu, il lui avoue toute la feinte, et la remet par-là dans le péril dont il voulait la tirer, en lui difant pourtant:

Que l'amour, pour défendre une fi chère vie,
Peut faire vanité d'un peu de tromperie.

Enfin, lorfqu'Oedipe reconnaît qu'il est le meur- ̄ trier de Larus; Théfée, au lieu de plaindre ce malheureux roi, lui propofe un duel pour le lendemain ; et il époufe Dircé à la fin de la pièce. Ainfi la paffion de Théfée fait tout le fujet de la tragédie, et les malheurs d'Oedipe n'en font que l'épisode.

Dircé, perfonnage plus défectueux que Théfée, paffe tout fon temps à dire des injures à Oedipe et à fa mère; elle dit à Jocafte, fans détour, qu'elle est indigne de vivre.

Votre second hymen peut avoir d'autres causes:
Mais j'oferais vous dire, à bien juger des chofes,
Que pour avoir puifé la vie en votre flanc,
J'y dois avoir fucé fort peu de votre fang.
Celui du grand Laïus dont je m'y fuis formée,
Trouve bien qu'il eft doux d'aimer et d'être aimée;
Mais il ne trouve pas qu'on foit digne du jour,
Lorsqu'aux foins de fa gloire on préfère l'amour,

Il est étonnant que Corneille, qui a fenti ce défaut, ne l'ait connu que pour l'excufer. Ce manque de refpect, dit-il, de Dircé envers fa mère, ne peut être une faute de théâtre, puisque nous ne fommes pas obligés

de rendre parfaits ceux que nous y fefons voir. Non, fans doute, on n'eft pas obligé de faire des gens de bien de tous fes perfonnages; mais les bienféances exigent du moins, qu'une princeffe qui a affez de vertu pour vouloir fauver fon peuple aux dépens de sa vie, en ait assez pour ne point dire des injures atroces à fa mère.

Pour Jocafe, dont le rôle devrait être intéressant, puifqu'elle partage tous les malheurs d'Oedipe, elle n'en eft pas même le témoin; elle ne paraît point au cinquième acte, lorfqu' Oedipe apprend qu'il eft fon fils en un mot, c'eft un perfonnage abfolument inutile, qui ne fert qu'à raisonner avec Thésée, et à excufer les infolences de fa fille, qui agit, dit-elle, En amante à bon titre, en princeffe avifée.

Finiffons par examiner le rôle d'Oedipe, et avec lui la contexture du poëme.

Oedipe commence par vouloir marier une de fes filles avant que de s'attendrir fur les malheurs des Thébains; bien plus condamnable en cela que Théfée, qui, n'étant point chargé comme lui du falut de tout ce peuple, peut fans crime écouter fa paffion.

Cependant comme il fallait bien dire au premier acte quelque chofe du fujet de la pièce, on en touche un mot dans la cinquième fcène. Oedipe foupçonne que les dieux font irrités contre les Thébains, parce que Jocafe avait autrefois fait expofer fon fils, et trompé par-là les oracles des dieux, qui prédifaient. que ce fils tuerait fon père et épouferait sa mère.

Il me femble qu'il doit plutôt croire que les dieux

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