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fentation de ma pièce m'a bien détrompé et j'ai reconnu qu'on peut fans péril louer tant qu'on veut les poëtes Grecs, mais qu'il eft dangereux de les imiter.

J'avais pris dans Sophocle une partie du récit de la mort de Jocafte et de la catastrophe d'Oedipe. J'ai fenti que l'attention du fpectateur diminuait avec fon plaifir au récit de cette catastrophe; les efprits remplis de terreur au moment de la recommaiffance, n'écoutaient plus qu'avec dégoût la fin de la pièce. Peut-être que la médiocrité des vers en était la cause; peut-être que le fpectateur, à qui cette catastrophe est connue, regrettait de n'entendre rien de nouveau; peut-être auffi que la terreur ayant été pouffée à fon comble, il était impoffible que le reste ne parût languiffant. Quoi qu'il en foit, je me fuis cru obligé de retrancher ce récit qui n'était pas de plus de quarante vers; et dans Sophocle il tient tout le cinquième acte. Il y a grande apparence qu'on ne doit point paffer à un ancien deux ou trois cens vers inutiles, lorfqu'on n'en paffe pas quarante à

un moderne.

M. Dacier avertit dans fes notes que la pièce de Sophocle n'est point finie au quatrième acte. N'est-ce pas avouer qu'elle eft finie, que d'être obligé de prouver qu'elle ne l'eft pas? On ne fe trouve pas dans la néceffité de faire de pareilles notes fur les tragédies de Corneille et de Racine; il n'y a que les Horaces qui auraient besoin d'un tel commentaire: mais le cinquième acte des Horaces n'en paraîtrait pas moins défectueux.

Je ne puis m'empêcher de parler ici d'un endroit

du cinquième acte de Sophocle, que Longin a admiré et que Boileau a traduit.

Hymen, funefte hymen, tu m'as donné la vie ;
Mais dans ces mêmes flancs où je fus renfermé,
Tu fais rentrer ce fang dont tu m'avais formé;
Et par-là tu produis et des fils et des pères,
Des frères, des maris, des femmes et des mères,
Et tout ce que du fort la maligne fureur

Fit jamais voir au jour et de honte et d'horreur.

Premièrement, il fallait exprimer que c'eft dans la même perfonne qu'on trouve ces mères et ces maris; car il n'y a point de mariage qui ne produife de tout cela. En fecond lieu, on ne pafferait pas aujourd'hui à Oedipe de faire une fi curieufe recherche des circonftances de fon crime, et d'en combiner ainfi toutes les horreurs; tant d'exactitude à compter tous fes titres inceftueux, loin d'ajouter à l'atrocité de l'action, femble plutôt l'affaiblir. Ces deux vers de Corneille difent beaucoup plus.

Ce font eux qui m'ont fait l'affaffin de mon père;
Ce font eux qui m'ont fait le mari de ma mère.

Les vers de Sophocle font d'un déclamateur, et ceux de Corneille font d'un poëte.

Vous voyez que dans la critique de l'Oedipe de Sophocle, je ne me fuis attaché à relever que les défauts qui font de tous les temps et de tous les lieux; les contradictions, les abfurdités, les vaines déclamations font des fautes par tout pays.

Je

Je ne fuis point étonné que, malgré tant d'imperfections, Sophocle ait furpris l'admiration de fon fiècle. L'harmonie de fes vers et le pathétique qui règne dans son style, ont pu féduire les Athéniens, qui, avec tout leur efprit et toute leur politeffe, ne pouvaient avoir une jufte idée de la perfection d'un art qui était encore dans fon enfance.

Sophocle touchait au temps où la tragédie fut inventée: Eschyle, contemporain de Sophocle, était le premier qui fe fût avifé de mettre plufieurs perfonnages fur la fcène. Nous fommes auffi touchés de l'ébauche la plus groffière dans les premières découvertes d'un art, que des beautés les plus achevées lorfque la perfection nous eft une fois connue. Ainfi Sophocle et Euripide, tout imparfaits qu'ils font, ont autant réuffi chez les, Athéniens que Corneille et Racine parmi nous. Nous devons nous-mêmes, en blâmant les tragédies des Grecs, refpecter le génie de leurs auteurs; leurs fautes font fur le compte de leur fiècle, leurs beautés n'appartiennent qu'à eux: et il eft à croire que s'ils étaient nés de nos jours, ils auraient perfectionné F'art qu'ils ont prefque inventé de leur temps.

Il eft vrai qu'ils font bien déchus de cette haute eftime où ils étaient autrefois; leurs ouvrages font aujourd'hui ou ignorés, ou méprifés; mais je crois que cet oubli et ce mépris font au nombre des injustices dont on peut accufer notre fiècle. Leurs ouvrages méritent d'être lus fans doute: et s'ils font trop défectueux pour qu'on les approuve, ils font auffi trop pleins de beautés pour qu'on les méprise entièrement.

Théâtre. Tom. I.

C

Euripide furtout, qui me paraît fi fupérieur à Sophocle, et qui ferait le plus grand des poëtes s'il était né dans un temps plus éclairé, a laiffé des ouvrages qui décèlent un génie parfait, malgré les imperfections de fes tragédies.

Eh! quelle idée ne doit-on point avoir d'unt poëte qui a prêté des fentimens à Racine même? Les endroits que ce grand homme a traduits d'Euripide, dans fon inimitable rôle de Phèdre, ne font pas les moins beaux de fon ouvrage.

Dieux, que ne fuis - je affife à l'ombre des forêts! Quand pourrai - je, au travers d'une noble pouffière, Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière !

...... Infenfée, où fuis-je et qu'ai-je dit?
Où laiffai-je égarer mes vœux et mon efprit ?
Je l'ai perdu, les dieux m'en ont ravi l'usage.
Oenone, la rougeur, me couvre le visage;

Je te laiffe trop voir mes honteuses douleurs,
Et mes yeux, malgré moi, fe rempliffent de pleurs

Préfque toute cette fcène eft traduite mot pour mot d'Euripide. Il ne faut pas cependant que le lecteur, féduit par cette traduction, s'imagine que la pièce d'Euripide foit un bon ouvrage. Voilà le feul bel endroit de fa tragédie, et même le feul raisonnable; car c'eft le feul que Racine ait imité. Et comme on ne s'avifera jamais d'approuver l'Hippolyte de Séneque, quoique Racine ait pris dans cet auteur toute la déclaration de Phedre; auffi ne doit-on pas admirer l'Hippolyte d'Euripide, pour trente ou

quarante vers qui fe font trouvés dignes d'être imités par le plus grand de nos poëtes.

Molière prenait quelquefois des fcènes entières dans Cyrano de Bergerac, et difait pour fon excufe: Cette fcène eft bonne, elle m'appartient de droit ; je reprends mon bien par tout où je le trouve.

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Racine pouvait à-peu-près en dire autant d'Euripide. Pour moi, après vous avoir dit bien du mal de Sophocle, je fuis obligé de vous en dire tout le bien que j'en fais tout différent en cela des médifans, qui commencent toujours par louer un homme, et qui finiffent par le rendre ridicule.

J'avoue que peut-être, fans Sophocle, je ne ferais jamais venu à bout de mon Oedipe. Je ne l'aurais même jamais entrepris. Je traduifis d'abord la première fcène de mon quatrième acte: celle du Grand-Prêtre qui accufe le roi eft entièrement de lui: la fcène des deux vieillards lui appartient encore. Je voudrais lui avoir d'autres obligations, je les avouerais avec la même bonne-foi. Il est vrai que comme je lui dois des beautés, je lui dois auffi des fautes, et j'en parlerai dans l'examen de ma pièce, où j'espère vous rendre compte des miennes.

LETTRE IV.

Contenant la critique de l'Oedipe de Corneille.

MONSIEUR, après vous avoir fait part de mes

fentimens fur l'Oedipe de Sophocle, je vous dirai ce que je penfe de celui de Corneille. Je refpecte beaucoup

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