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DE LA

PREFACE

DE 1730.

DE L'EDITION

La deftinée de cette pièce a été extraordinaire.

A

Elle fut jouée pour la première fois en 1724, et fut fi mal reçue, qu'à peine put-elle être achevée. Elle fut rejouée en 1725 avec quelques changemens, et fut reçue alors avec une extrême indulgence.

J'avoue avec fincérité qu'elle méritait le mauvais accueil que lui fit d'abord le public; et je fupplie qu'on me permette d'entrer fur cela dans un détail qui, peut-être, ne fera pas inutile à ceux qui voudront courir, la carrière épineufe du théâtre, où j'ai le malheur de m'être engagé. Ils verront les écueils où j'ai échoué; ce n'eft que par-là que je puis leur être utile.

Une des premières règles eft de peindre les héros connus tels qu'ils ont été, ou plutôt tels que le public les imagine; car il eft bien plus aifé de mener les hommes par les idées qu'ils ont, qu'en voulant leur en donner de nouvelles.

Sit Medea ferox, invictaque; flebilis Ino;

Perfidus Ixion, Io vaga, triftis Oreftes, etc.

-Fondé fur ces principes, et entraîné par la complaifance refpectueufe que j'ai toujours eue pour des perfonnes qui m'honorent de leur amitié et de leurs confeils, je réfolus de m'affujettir entièrement à l'idée que les hommes ont depuis long-temps de

Mariamne et Hérode, et je ne fongeai qu'à les peindre fidèlement qu'après le portrait que chacun s'en est fait dans fon imagination.

Ainfi Hérode parut dans cette pièce cruel et politique; tyran de fes fujets, de fa famille, de fa femme; plein d'amour pour Mariamne,mais plein d'un amour barbare qui ne lui inspirait pas le moindre repentir de fes fureurs. Je ne donnai à Mariamne d'autres fentimens qu'un orgueil imprudent, et qu'une haine inflexible pour fon mari. Et enfin, dans la vue de me conformer aux opinions reçues, je ménageai une entrevue entre Hérode et Varus, dans laquelle je fis parler ce préteur avec la hauteur qu'on s'imagine que les Romains affectaient avec les rois.

Qu'arriva-t-il de tout cet arrangement? Mariamne intraitable n'intéreffa point: Hérode n'étant que criminel, révolta; et fon entretien avec Varus le rendit méprisable. J'étais à la première représentation: je m'apperçus dès le moment où Hérode parut, qu'il était impoffible que la pièce eût du fuccès; et je compris que je m'étais égaré en marchant trop timidement dans la route ordinaire.

Je fentis qu'il eft des occafions où la première règle eft de s'écarter des règles prefcrites; et que (comme le dit M. Pascal fur un fujet plus férieux) les vérités fe fuccèdent du pour au contre à mesure qu'on a plus de lumières.

Il eft vrai qu'il faut peindre les héros tels qu'ils ont été ; mais il eft encore plus vrai qu'il faut adoucir les caractères défagréables; public pour qui l'on écrit héros *que l'on fait paraître;

qu'il faut fonger au encore plus qu'aux et qu'on doit imiter

les peintres habiles qui embelliffent en confervant la reffemblance.

Pour qu'Hérode reffemblât, il était néceffaire qu'il excitât l'indignation; mais pour plaire il devait émouvoir la pitié. Il fallait que l'on détestât fes crimes, que l'on plaignît fa paffion, qu'on aimât fes remords; et que ces mouvemens fi violens, fi fubits, fi contraires, qui font le caractère d'Hérode, paffaffent rapidement tour à tour dans l'ame du fpectateur.

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Si l'on veut fuivre l'hiftoire Mariamne doit hair Hérode et l'accabler de reproches; mais fi l'on veut que Mariamne intéresse, ses reproches doivent faire efpérer une réconciliation; fa haine ne doit pas paraître toujours inflexible. Par-là le fpectateur est attendri, et l'histoire n'eft point entièrement démentie.

Enfin je crois que Varus ne doit point du tout voir Hérode : et en voici les raisons. S'il parle à ce prince avec hauteur et avec colère, il l'humilie; et il ne faut point avilir un perfonnage qui doit intéreffer. S'il lui parle avec politeffe, ce n'eft qu'une scène de complimens, qui ferait d'autant plus froide qu'elle ferait inutile. Que fi Hérode répond en justifiant fes cruautés, il dément la douleur et les remords dont il est pénétré en arrivant; s'il avoue à Varus cette douleur et ce repentir, qu'il ne peut en effet cacher à perfonne, alors il n'eft plus permis au vertueux Varus de contribuer à la fuite de Mariamne, pour laquelle il ne doit plus craindre. De plus, Hérode ne peut faire qu'un très - méchant perfonnage avec l'amant de fa femme; et il ne faut jamais faire

rencontrer ensemble fur la fcène, des acteurs principaux qui n'ont rien d'intéreffant à fe dire.

La mort de Mariamne qui, à la première représentation, était empoisonnée et expirait fur le théâtre, acheva de révolter les spectateurs ; foit que le public ne pardonne rien, lorfqu'une fois il eft mécontent; foit qu'en effet il eût raifon de condamner cette invention qui était une faute contre l'histoire, faute qui, peut-être, n'était rachetée par aucune beauté.

J'aurais pu ne me pas rendre fur ce dernier article, et j'avoue que c'est contre mon goût que j'ai mis la mort de Mariamne en récit, au lieu de la mettre en action; mais je n'ai voulu combattre en rien le goût du public. C'est pour lui et non pour moi que j'écris ; ce font fes fentimens et non les miens que je dois fuivre.

Cette docilité raisonnable, ces efforts que j'ai faits pour rendre intéreffant, un fujet qui avait paru fi ingrat, m'ont tenu lieu du mérite qui m'a manqué; et ont enfin trouvé grâce devant des juges prévenus contre la pièce. (a)

(a) On trouvera à la fin de Mariamne les fcènes que l'auteur a cru devoir facrifier. En 1762, il fubftitua au rôle de Varus celui de Sohême, prince de la famille des Afmonéens; et Ammon, confident de Sohême, remplace Albin, confident de Varus. On a confervé dans les variantes les rôles de Varus et d'Albin; mais il a été impoffible de retrouver le premier dénouement.

A la première représentation, dans le moment où Mariamne tenait la coupe et prenait le poison, le parterre cria la reine boit. C'était justement la veille de la fête des rois: la pièce fut interrompue; l'on n'entendit point une scène très-pathétique entre Hérode et Mariamne mourante: du moins c'est le jugement que nous en avons entendu porter à ceux qui avaient entendu cette fcène avant les représentations.

M. de Voltaire a changé le personnage de Varus; parce que fa défaite et fa mort en Germanie font trop connues, pour que l'on puiffe fuppofer, même dans fa tragédie, qu'il ait été tué en Judée parce qu'un préteur romain n'aurait pas excité une fédition dans Jérufalem; il eût défendu à Hérode, au nom de Céfar, d'attenter à la vie de fa femme, et Hérode eût obéi: : parce qu'un romain amoureux d'une reine ne peut intéreffer, à moins que le facrifice de fa paffion ne foit comme dans Bérénice le fujet de la pièce: enfin parce qu'il fallait ou avilir Hérode devant Varus, ou s'écarter des mœurs connues de ce fiècle. Personne n'ignore combien les rois alliés, ou plutôt fujets de Rome, étaient petits auprès des généraux romains envoyés dans les provinces.

M. de Voltaire avait projeté une édition corrigée de fes ouvrages dramatiques, et il voulait distinguer les pièces qu'il regardoit comme propres au théâtre, de celles qu'il ne croyait faites que pour être lues. Mais il n'appar tenait qu'à lui de faire ce choix.

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Voici la note qu'il avait placée à la tête de Mariamne.

"Les gens de lettres qui ont préfidé à cette édition, ont cru devoir rejeter cette tragédie parmi les pièces de l'auteur qui ne font pas repréfentées fur le théâtre de Paris, et qui ne font pour la plupart que des pièces de fociété; Mariamne fut compofée dans le temps de la nouveauté d'Oedipe: il ne l'a jamais regardée que comme une déclamation.,,

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