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Solitaire, farouche, on me voyait toujours

Chaffer dans nos forêts les lions et les ours.

Mais un foin plus preffant m'occupe et m'embarrasse.
Depuis que je vous vois j'abandonne la chaffe ;
Elle fit autrefois mes plaifirs les plus doux,

Et quand j'y vais, ce n'eft que pour penfer à vous.

On ne faurait lire ces deux pièces de comparaison, fans admirer l'une et fans rire de l'autre. C'est pourtant dans toutes les deux le même fonds de fentiment et de pensées; car, quand il s'agit de faire parler les paffions, tous les hommes ont prefque les mêmes idées; mais la façon de les exprimer diftingue l'homme d'efprit d'avec celui qui n'en a point, l'homme de génie d'avec celui qui n'a que de l'efprit, et le poëte d'avec celui qui veut l'être.

Pour parvenir à écrire comme M. Racine, il faudroit avoir fon génie, et polir autant que lui fes ouvrages: Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui né avec des talens fi faibles, et accablé par des maladies continuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger par un travail affidu les défauts de mes ouvrages? Je fens avec déplaifir toutes les fautes qui font dans la contexture de cette pièce, auffi- bien que dans la diction. J'en aurais corrigé quelquesunes, fi j'avais pu retarder cette édition; mais j'en aurais encore laiffé beaucoup. Dans tous

les

les arts il y a un terme, par-delà lequel on ne peut plus avancer. On eft refferré dans les bornes de fon talent; on voit la perfection au-delà de foi, et on fait des efforts impuiffans pour y atteindre.

Je ne ferai point une critique détaillée de cette pièce: les lecteurs la feront assez fans moi. Mais je crois qu'il eft néceffaire que je parle ici d'une critique générale qu'on a faite fur le choix du fujet de Mariamne. Comme le génie des Français eft de faifir vivement le côté ridicule des chofes les plus férieufes, on difait que le fujet de Mariamne n'était autre chose qu'un vieux mari amoureux et brutal, à qui fa femme refufe avec aigreur le devoir conjugal; et on ajoutait, qu'une querelle de ménage ne pouvait jamais faire une tragédie. Je fupplie qu'on faffe avec moi quelques réflexions fur ce préjugé.

Les pièces tragiques font fondées, ou fur les intérêts de toute une nation, ou fur les intérêts particuliers de quelques princes. De ce premier genre, font l'Iphigénie en Aulide, où la Grèce affemblée demande le fang de la fille d'Agamemnon: les Horaces, où trois combattans ont entre les mains le fort de Rome: l'Oedipe, où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtrier de Laïs. Du fecond genre, font Britannicus, Phèdre, Mithridate, etc.

Théâtre. Tom. I.

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Dans ces trois dernières, tout l'intérêt est renfermé dans la famille du héros de la pièce: tout roule fur des paffions que des bourgeois reffentent comme les princes; et l'intrigue de ces ouvrages eft auffi propre à la comédie qu'à la tragédie. Otez les noms, Mithridate n'eft qu'un vieillard amoureux d'une jeune fille: fes deux fils en font amoureux auffi; et il fe fert d'une rufe affez baffe pour découvrir celui des deux qui eft aimé. Phèdre eft une belle-mère qui, enhardie par une intrigante, fait des propofitions à fon beau-fils, lequel eft occupé ailleurs. Néron eft un jeune homme impétueux, qui devient amoureux tout d'un coup, qui dans le moment veut fe Séparer d'avec fa femme, et qui fe cache derrière une tapisserie pour écouter les difcours de fa maîtreffe. Voilà des fujets que Molière a pu traiter comme Racine. Auffi, l'intrigue de l'Avare eft- elle précisément la même que celle de Mithridate. Harpagon et le roi de Pont font deux vieillards amoureux; l'un et l'autre ont leur fils pour rival; l'un et l'autre fe fervent du même artifice pour découvrir l'intelligence qui eft entre leur fils et leur maîtreffe; et les deux pièces finiffent par le mariage du jeune homme.

Molière et Racine ont également réuffi, en traitant ces deux intrigues: l'un a amufé, a réjoui, a fait rire les honnêtes gens; l'autre a

attendrie, a effrayé, a fait verfer des larmes. Molière a joué l'amour ridicule d'un vieil avare: Racine a représenté les faibleffes d'un grand roi, et les a rendues refpectables.

Que l'on donne une noce à peindre à Wateau et à Le Brun: l'un repréfentera fous une treille des payfans pleins d'une joie naïve, groffière et effrénée, autour d'une table ruftique où l'ivreffe, l'emportement, la débauche, le rire immodéré régneront; l'autre peindra les noces de Thétis et de Pélée, les feftins des dieux, leur joie majeftueufe: et tous deux feront arrivés à la perfection de leur art par des chemins différens.

On peut appliquer tous ces exemples à Mariamne. La mauvaise humeur d'une femme, l'amour d'un vieux mari, les tracafferies d'une belle-four font petits objets, comiques par eux-mêmes; mais un roi, à qui la terre a donné le nom de Grand, éperdument amoureux de la plus belle femme de l'univers; la paffion furieuse de ce roi fi fameux par fes vertus et par fes crimes; fes cruautés paffées, fes remords préfens; ce paffage fi continuel et fi rapide de l'amour à la haine, et de la haine à l'amour; l'ambition de fa fœur, les intrigues de fes miniftres; la fituation cruelle d'une princeffe, dont la vertu et la beauté font célébres encore dans le monde ;

qui avait vu fon père et fon frère livrés à la mort par fon mari, et qui, pour comble de douleur, se voyait aimée du meurtrier de fa famille: quel champ! quelle carrière pour un autre génie que le mien! Peut-on dire qu'un tel fujet foit indigne de la tragédie? C'eft là furtout que felon ce qu'on peut être, les chofes changent de nom.

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