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MARIAMNE,

TRAGEDIE.

Repréfentée, pour la première fois, le 6 mars 1724.

Revue et corrigée par l'auteur en 1762.

DE LA PREMIERE

PREMIERE EDITION.

JE

E ne donne cette édition qu'en tremblant. Tant d'ouvrages, que j'ai vus applaudis au théâtre et méprisés à la lecture, me font craindre pour le mien le même fort. Une ou deux fituations, l'art des acteurs, la docilité que j'ai fait paraître, ont pu m'attirer des fuffrages aux représentations; mais il faut un autre mérite pour foutenir le grand jour de l'impreffion. C'eft peu d'une conduite régulière; ce feroit peu même d'intéresser. Tout ouvrage en vers, quelque beau qu'il foit d'ailleurs, ́fera néceffairement ennuyeux, fi tous les vers ne font pas pleins de force et d'harmonie, fi l'on n'y trouve pas une élégance continue fi la pièce n'a point ce charme inexprimable de la poëfie que le génie seul peut donner, où l'esprit ne faurait jamais atteindre, et fur lequel on raisonne fi mal et fi inutilement depuis la mort de M. Despréaux.

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C'est une erreur bien groffière de s'imaginer que les vers foient la dernière partie d'une pièce de théâtre, et celle qui doit le moins coûter. M. Racine, c'est-à-dire, l'homme de la terre qui, après Virgile, a le mieux connu l'art des vers, ne penfait pas ainfi. Deux années entières lui

fuffirent à peine pour écrire fa Phèdre. Pradon fe vante d'avoir compofé la fienne en moins de trois mois. Comme le fuccès paffager des repréfentations d'une tragédie ne dépend point du style, mais des acteurs et des fituations; il arriva que les deux Phèdres femblèrent d'abord avoir une égale destinée; mais l'impreffion régla bientôt le rang de l'une et de l'autre. Pradon, felon la coutume des mauvais auteurs, eut beau faire une préface infolente dans laquelle il traitait fes critiques de malhonnêtes gens; fa pièce, tant vantée par fa cabale et par lui, tomba dans le mépris qu'elle mérite; et fans la Phèdre de M. Racine, on ignorerait aujourd'hui que Pradon en a compofé une.

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Mais d'où vient enfin cette distance fi prodigieufe entre ces deux ouvrages? La conduite en eft à-peu-près la même. Phèdre eft mourante dans l'une et dans l'autre. Théfée eft abfent dans les premiers actes: il paffe pour avoir été aux enfers avec Pyrithous. Hippolite, fon fils, veut quitter Trézène; il veut fuir Aricie, qu'il aime. Il déclare fa paffion à Aricie, et reçoit avec horreur celle de Phèdre il meurt du même genre de mort, et fon gouverneur fait le récit de fa mort. Il y a plus: les perfonnages des deux pièces fe trouvant dans les mêmes fituations, difent prefque les mêmes choses; mais c'eft là qu'on diftingue le

grand homme, et le mauvais poëte. C'est lorfque Racine et Pradon penfent de même, qu'ils font le plus différens. En voici un exemple bien fenfible; dans la déclaration d'Hippolite à Aricie, M. Racine fait ainfi parler Hippolite.

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Moi qui contre l'amour fièrement révolté, Aux fers de fes captifs ai long-temps infulté ; Qui, des faibles mortels déplorant les naufrages, Penfais toujours du bord contempler les orages; Affervi maintenant fous la commune loi, Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi? Un moment a vaincu mon audace imprudente; Cette ame fi fuperbe eft enfin dépendante. Depuis près de fix mois, honteux, défefpéré, Portant par-tout le trait dont je fuis déchiré, Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve; Préfente je vous fuis, abfente je vous trouve. Dans le fond des forêts votre image me fuit; La lumière du jour, les ombres de la nuit, Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite; Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolite. Moi-même, pour tout fruit de mes foins fuperflus, Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus. Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune. Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune; Mes feuls gémiffemens font retentir les bois, Et mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

Voici comment Hippolite s'exprime dans Pradon.

Affez et trop long-temps, d'une bouche profane,
Je méprifai l'amour et j'adorai Diane.

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