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Vous favez mieux que perfonne (a) que cette fatire intitulée les J'ai vu, eft d'un poëte du Marais, nommé Le Brun, auteur de l'opéra d'Hippocrate amoureux, qu'affurément perfonne ne mettra en musique.

(a) Je fens combien il eft dangereux de parler de foi; mais mes malheurs ayant été publics, il faut que má juftification le foit auffi. La réputation d'honnête homme m'eft plus chère que celle d'auteur; ainfi je crois que perfonne ne trouvera mauvais qu'en donnant au public un ouvrage pour lequel il a eu tant d'indulgence, j'effaie de mériter entièrement fon eftime, en détruisant l'imposture qui pourroit me l'ôter.

Je fais que tous ceux avec qui j'ai vécu font perfuadés de mon innocence; mais aufli bien des gens, qui ne connaiffent ni la poëfie ni moi, m'imputent encore les ouvrages les plus indignes d'un honnête homme et d'un poëte.

Il y a peu d'écrivains célèbres qui n'aient effuyé de pareilles difgraces; presque tous les poëtes qui ont réuffi ont été calomniés, et il eft bien trifte pour moi de ne leur reffembler que par mes malheurs.

Vous n'ignorez pas que la cour et la ville ont de tout temps été remplies de critiques obfcènes, qui, à la faveur des nuages qui les couvrent, lancent, fans être apperçus, les traits les plus envenimés contre les femmes et contre les puiffances; et qui n'ont que la fatisfaction de bleffer adroitement, fans goûter le plaifir dangereux de fe faire connaître. Leurs épigrammes et leurs vaudevilles font toujours des enfans fuppofés dont on ne connaît point les vrais parens; ils cherchent à charger de ces indignités quelqu'un qui foit affez connu pour que l'on puiffe l'en foupçonner, et qui foit affez peu protégé pour ne pouvoir fe défendre: telle était la fituation où je me fuis trouvé en entrant dans le monde. Je n'avais pas plus de dix-huit-ans; l'imprudence attachée d'ordinaire à la jeuneffe, pouvait aifément autorifer les foupçons que l'on fefait naître fur moi : j'étais d'ailleurs fans appui, et je n'avais pas fongé à me faire des protecteurs, parce que je ne croyais pas que je duffe jamais avoir des ennemis.

Il parut à la mort de Louis XIV une petite pièce imitée des J'ai vu de l'abbé Regnier: c'était un ouvrage où l'auteur paffait en revue tout ce qu'il avait vu dans fa vie; cette pièce eft aufli négligée aujourd'hui qu'elle était alors recherchée: c'eft le fort de tous les ouvrages qui n'ont d'autre mérite que celui de la fatire. Cette pièce n'en avait point d'autre; elle n'était remarquable que par les injures groffières qui y étaient indignement répandues; et c'est ce qui lui donna un cours prodigieux: on oublia la baffeffe du ftyle en faveur de la malignité de l'ouvrage. Elle finiffait ainsi : J'ai vu ces maux et je n'ai pas vingt ans.

Plufieurs perfonnes crurent que j'avais mis par-là mon cachet à cet

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Ces J'ai vu font groffièrement imités de ceux de l'abbé Regnier de l'académie, avec qui l'auteur n'a rien de commun; ils finiffent par ce vers:

J'ai vu ces maux et je n'ai pas vingt ans.

Il eft vrai que je n'avais pas vingt ans alors; mais ce n'eft pas une raifon qui puiffe faire croire que j'aye fait les vers de M. Le Brun.

Hos Le Brun verficulos fecit: tulit alter honores.

J'apprends que c'eft un des avantages attachés à

indigne ouvrage; on ne me fit pas l'honneur de croire que je puffe avoir affez de prudence pour me déguifer. L'auteur de cette miférable fatire ne contribua pas peu à la faire courir fous mon nom, afin de mieux cacher le fien. Quelques-uns m'imputèrent cette pièce par malignité, pour me décrier et pour me perdre; quelques autres, qui l'admiraient Wonnement, me l'attribuèrent pour m'en faire honneur; ainfi un ouvrage que je n'avais point fait, et même que je n'avais point encore vu alors, m'attira de tous côtés des malédictions et des louanges.

Je me fouviens que paffant par une petite ville de province, les beaux efprits du lieu me prièrent de leur réciter cette pièce qu'ils difaient être un chef-d'œuvre; j'eus beau leur répondre que je n'en étais point l'auteur et que la pièce était miférable; ils ne m'en crurent point fur ma parole; ils admirèrent ma retenue, et j'acquis ainfi auprès d'eux, fans y penfer, la réputation d'un grand poëte et d'un homme fort modefte.

Cependant, ceux qui m'avaient attribué ce malheureux ouvrage, continuèrent à me rendre responsable de toutes les fottifes qui fe débitaient dans Paris, et que moi-même je dédaignais de lire. Quand un homme a eu le malheur d'être calomnié une fois, on dit qu'il le fera long-temps. On m'affure que de toutes les modes de ce pays-ci, c'est celle qui dure davantage.

La juftification eft venue, quoiqu'un peu tard; le calomniateur a figné, les larmes aux yeux, le défaveu de fa calomnie, devant un fecrétaire d'Etat; c'eft fur quoi un vieux connaiffeur en vers et en hommes, m'a dit : Oh le beau billet qu'a La Châtre ! Continuez, mon enfant, à faire des tragédies; renoncez à toute profeffion férieufe pour ce malheureux métier; et comptez que vous ferez harcelé publiquement toute votre vie, puifque vous êtes affez abandonné de Dieu pour vous faire de gaieté de cœur un homme

la littérature, et fur tout à la poëfie, d'être expofé à être accufé fans ceffe de toutes les fottifes qui

public. Il m'en a cité cent exemples; il m'a donné les meilleures raifons du monde pour me détourner de faire des vers. Que lui ai-je répondu ? Des vers.

Je me fuis donc apperçu de bonne heure, qu'on ne peut ni résister à fon goût dominant, ni vaincre sa deftinée. Pourquoi la nature force-t-elle un homme à calculer, celui-ci à faire rimer des fyllabes, cet autre à former des croches et des rondes fur des lignes parallèles?

Scit Genius, natale comes qui temperat aftrum.

Mais on prétend que tous peuvent dire:

Ploravêre fuis non refpondere favorem
Speratum meritis.

Boileau difait à Racine:

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Ceffe de t'étonner fi l'envie animée,

Attachant à ton nom fa rouille envenimée,

La calomnie en main quelquefois te pourfuit.,,

Scudéri et l'abbé d'Aubignac calomniaient Corneille: Montfleuri et toute fa troupe calomniaient Molière: Térence fe plaint dans fes prologues d'être calomnié par un vieux poëte: Aristophane calomnia Socrate: Homère fut calomnié par Margites. C'est-là l'histoire de tous les arts et de toutes les profeffions.

Vous favez comment M. le Régent a daigné me confoler de ces petites perfécutions; vous favez quel beau préfent il m'a fait. Je ne dirai pas comme Chapelain difait de Louis XIII.

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Les trois fois mille francs qu'il met dans ma famille,
Témoignent mon mérite, et font connaître affez

Qu'il ne hait pas mes vers, pour être un peu forcés.,,

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Charile, Chapelain et moi, nous avons été tous trois trop bien payés pour de mauvais vers.

Retulit acceptos, regale numifma, Philippos.

Le Régent qui s'appelle Philippe, rend la comparaison parfaite. Ne nous énorgueilliffons ni des méchancetés de nos ennemis, ni des bontés de nos protecteurs; on peut être avec tout cela un homme très-médiocre : on peut être récompenfé et envié fans aucun mérite.

courent la ville. On vient de me montrer une épître de l'abbé de Chaulieu au marquis de La Fare, dans : laquelle il fe plaint de cette injuftice. Voici le paffage

Accort, infinuant, et quelquefois flatteur,

J'ai fu, d'un difcours enchanteur

Tout l'ufage que pouvait faire
Beaucoup d'imagination,
Qui rejoignît avec adreffe,
Au tour brillant, à la jufteffe,
Le charme de la fiction;
Et fon impétueuse ivresse,
Entre le tabac et le vin.

J'appris, fans rabot et fans lime,
L'art d'attraper facilement,
Sans être efclave de la rime,
Ce tour aifé, cet enjouement
Qui feul peut faire le fublime.

Que ne m'ont point coûté ces funeftes talens!
Dès que j'eus bien ou mal rimé quelque fornette,
Je me vis tout en même temps

Affublé du nom de poëte.

Dès lors, on ne fit de chanfon,

On ne lâcha de vaudeville,

Que fans rime ni fans raison,
On ne me donnât par la ville.

Sur la foi d'un ricanement,

Qui n'était que l'effet d'un gai tempérament,

Dont je fis, j'en conviens, affez peu de fcrupule,

Les fats crurent qu'impunément

Perfonne devant moi ne ferait ridicule.

Ils m'ont fait là-deffus mille injuftes procès,
J'eus beau les fouffrir et me taire,

On m'imputa des vers que je n'ai jamais faits;
C'eft affez que j'en fuffe faire.

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Ces vers Monfieur, ne font pas dignes de l'auteur de la Tocane et de la Retraite; vous les trouverez bien plats, (a) et auffi remplis de fautes que d'une vanité ridicule; je vous les cite comme une autorité en ma faveur mais j'aime mieux vous citer l'autorité de Boileau. Il ne répondit un jour aux complimens d'un campagnard, qui le louait d'une impertinente fatire contre les évêques, très-fameufe parmi la canaille, qu'en répétant à ce pauvre louangeur :

Vient-il de la province une fatire fade,
D'un plaisant du pays infipide boutade;
Pour la faire courir on dit qu'elle eft de moi,
Et le fot campagnard le croit de bonne foi.

Je ne fuis ni ne ferai Boileau; mais les mauvais vers de M. Le Brun m'ont attiré des louanges et des perfécutions qu'alfurément je ne méritais pas.

Je m'attends bien que plufieurs perfonnes, accoutumées à juger de tout fur le rapport d'autrui,

(a) Tout ce morceau fut retranché dans l'édition qu'on fit de ces Lettres, parce qu'on ne voi lut pas affliger l'abbé de Chaulieu: on doit des égards aux vivans; on ne doit aux morts que la vérité.

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