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DE

VOLTAIRE.

AVERTISSEMENT

DE L'EDITION DE 1775

Nous donnons ici toutes les pièces de théâtre

de M. de Voltaire, avec les variantes que nous avons pu recueillir. Toutes les éditions qu'on en a données à Paris font très - informes; cela ne pouvait être autrement. Il arriva plus d'une fois que le public, féduit par les ennemis de l'auteur, fembla rejeter aux premières repréfentations les mêmes morceaux qu'il redemanda enfuite avec empreffement quand la cabale fut diffipée.

Quelquefois les acteurs, déroutés par les cris de la cabale, fe voyaient forcés de changer eux-mêmes les vers qui avaient été le prétexte du murmure; ils leur en fubftituaient d'autres

Théâtre. Tom. I.

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au hafard. Prefque tous fes ouvrages dramatiques ont été représentés et imprimés à Paris dans fon abfence. De-là viennent les fautes dont fourmillent les éditions faites dans cette capitale.

Par exemple, dans la pièce de Gengis imprimée par nous, in-8°, fous les yeux de l'auteur, on trouve dans la fcène où Gengis paraît pour la première fois les vers fuivans:

Ceffez de mutiler tous ces grands monumens,
Ces prodiges des arts confacrés par les temps;
Refpectez les; ils font le prix de mon courage.
Qu'on ceffe de livrer aux flammes, au pillage,
Ces archives des lois, ce vaste amas d'écrits,
Tous ces fruits du génie, objets de vos mépris;
Si l'erreur les dicta, cette erreur m'eft, utile;
Elle occupe ce peuple et le rend plus docile. etc.

Ce morceau eft tronqué et défiguré dans l'édition de Duchefne et dans les autres. Voici comme il s'y trouve:

Ceffez de mutiler tous ces grands monumens, Ces prodiges des arts confacrés par les temps, Echappés aux fureurs des flammes, du pillage; Refpectez-les: ils font le prix de mon courage, etc. On voit affez que ce qu'on a retranché était absolument néceffaire et très à fa place. Ce vers qu'on a fubftitué,

Echappés aux fureurs des flammes, du pillage;

est un vers indigne de quiconque eft instruit des

règles de fon art, et connaît un peu l'harmonie. Echappés aux fureurs des flammes, eft une céfure monftrueuse.

Ceux qui fe plaisent à étudier l'efprit humain doivent favoir que les ennemis de l'auteur, pour faire tomber la pièce, infinuèrent que les meilleurs morceaux étaient dangereux, et qu'il fallait les retrancher; ils eurent la malignité de faire regarder ces vers comme une allufion à la religion, qui rend le peuple plus docile. Il eft évident que par ce paffage on ne peut entendre que les fciences des Chinois, méprifées alors des Tartares. On a représenté cette pièce en Italie, il y en a trois traductions, et les inquifiteurs ne fe font jamais avifés de retrancher cette tirade.

La même difficulté fut faite en France à la tragédie de Mahomet; on fufcita contr'elle une perfécution violente; on fit défendre les repréfentations: ainfi le fanatifme voulait anéantir la peinture du fanatifme. Rome vengea l'auteur. Le pape Benoit XIV protégea la pièce; elle lui fut dédiée; des académiciens la repréfentèrent dans plufieurs villes d'Italie et à Rome même.

Il faut avouer qu'il n'y a point de pays au monde où les gens de lettres aient été plus maltraités qu'en France: on ne leur rend justice que bien tard.

La tragédie de Tancréde eft défigurée d'un bout

à l'autre d'une manière encore plus barbare. Dans les éditions de France, il n'y a prefque pas une fcène où il ne fe trouve des vers qui péchent également contre la langue, l'harmonie et les règles du théâtre. Le libraire de Paris eft d'autant plus inexcufable, qu'il pouvait confulter notre édition à laquelle il devait fe conformer.

Les éditeurs de Paris ont porté la négligence jufqu'à répéter les mêmes vers dans plufieurs fcènes d'Adélaïde du Guefclin. Nous trouvons dans leur édition, à la fcène feptième du fecond acte, ces vers qui n'ont pas de fens:

Gardez d'être réduit au hafard dangereux
Que les chefs de l'Etat ne trahiffent leurs vœux.

II y a dans notre édition:

Tous les chefs de l'Etat, laffés de ces ravages, Cherchent un port tranquille après tant de naufrages. Gardez d'être réduit au hafard dangereux

De vous voir ou trahir, ou prévenir par eux.

Ces vers font dans les règles de la fyntaxe la plus exacte. Ceux qu'on a fubftitués dans l'édition de Paris font de vrais folécifmes, et n'ont aucun fens. Gardez d'être réduit au bafard que chefs de l'Etat ne trahiffent leurs vœux. De quels vœux s'agit-il? Que veut dire Etre réduit au

les

bafard qu'un autre ne trahiffe fes vœux? On s'imagine qu'il n'y a qu'à faire des vers qui riment, que le public ne s'apperçoit pas s'ils font bons ou mauvais, et que la rapidité de la déclamation fait difparaître les défauts du ftyle; mais les connaiffeurs remarquent ces fautes, et ils font bleffés des barbarifmes innombrables qui défigurent presque toutes nos tragédies. C'est un devoir indifpenfable de parler purement sa langue.

Nous avons fouvent entendu dire à l'auteur, que la langue était trop négligée au théâtre, et que c'eft là que les règles du langage doivent être obfervées avec le plus de fcrupule; parcé que les étrangers y viennent apprendre le français. Il difait que ce qui avait nui le plus aux belleslettres était le fuccès de plufieurs pièces, qui, à la faveur de quelques beautés, ont fait oublier qu'elles étaient écrites dans un style barbare. On fait que Boileau, en mourant, se plaignait de cette horrible décadence. Les éloges prodigués à cette barbarie ont achevé de corrompre le goût.

Les comédiens croient que les lois de l'art d'écrire, l'élégance, l'harmonie, la pureté de la langue, font des chofes inutiles; ils coupent, ils retranchent, ils tranfpofent tout à leur plaifir, pour fe ménager des fituations qui les

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