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Et il est bon, Seigneur (dit-il), que vous m'ayez humilié, afin d'apprendre vos justifications. Or neantmoins ce desir est fort suspect, et peut estre une cogitation humaine. Que sçavez-vous si ayant desiré des charges basses, vous aurez la force d'agreer les abjections qui s'y rencontrent? Il vous y pourra venir beaucoup de degousts et d'amertumes: que si bien maintenant vous vous sentez la force de souffrir la mortification et l'humiliation, que sçavez-vous si vous l'aurez tousjours? Bref, il faut tenir le desir des charges, quelles qu'elles soyent, basses ou honorables, pour tentation; il est tousjours meilleur de ne rien desirer, mais se tenir prestes pour recevoir celles que l'obeyssance nous imposera; et fussent-elles honorables ou abjectes, je les prendrois et recevrois humblement, sans en dire un seul mot, sinon que l'on m'interrogeast, et lors je respondrois simplement la verité comme je la penserois.

Vous me demandez comme l'on peut pratiquer ce document de la saincte indifference dans les maladies. J'en trouve au sainct Evangile un parfait modele en la belle-mere de S. Pierre. Ceste bonne femme estant dans le lit avec une grosse fievre, pratiqua plusieurs vertus; mais celle que j'admire le plus est ceste grande remise qu'elle fit d'ellemesme à la providence de Dieu et au soin de ses Superieurs, demeurant en sa fievre, tranquille, paisible et sans aucune inquietude, ny sans en donner à ceux qui estoient aupres d'elle. Chacun sçait toutesfois comme les febricitans en sont travaillez; ce qui les empesche de reposer, et leur donne mille autres ennuis. Or ceste grande remise que nostre malade fait d'elle-mesme entre les mains de ses Superieurs, fait qu'elle ne s'inquiete point, ny ne se met en soucy de sa santé, ny de sa guerison; elle se contente de souffrir son mal avec douceur et patience. O Dieu! qu'elle estoit heureuse, ceste bonne femme! Certes elle meritoit bien qu'on prinst soin d'elle, comme firent aussi les Apostres, qui pour

veurent à sa guerison sans en estre sollicitez par elle, ains par la charité et commiseration de ce qu'elle souffroit. Heureux seront les Religieux et Religieuses qui feront ceste grande et absoluë remise entre les mains de leurs Superieurs, lesquels, par le motif de la charité, les serviront et pourvoyront soigneusement à tous leurs besoins et necessitez; car la charité est plus forte et presse de plus pres que la nature. Ceste chere malade sçavoit bien que nostre Seigneur estoit en Capharnaum, qu'il guerissoit les malades: cependant elle ne s'inquietoit point, ny ne se mettoit en peine pour luy envoyer dire ce qu'elle souffroit. Mais ce qui est encore plus admirable, c'est qu'elle le void en sa maison, où il la regarde, et elle le regarde aussi; et si elle ne luy dit pas un seul mot de son mal, pour l'exciter à avoir pitié d'elle, ny ne s'empresse à le toucher pour estre guerie. Or, ceste inquietude d'esprit que l'on a emmy les souffrances et maladies (à laquelle sont sujets non seulement les personnes du monde, mais aussi bien souvent les Religieux) part de l'amour propre et dereglé de soy-mesme. Nostre febricitante ne fait aucun cas de sa maladie; elle ne s'attendrit point à la rencontre; elle la souffre sans se soucier que l'on la plaingne, ny que l'on procure sa guerison; elle se contente que Dieu la scache, et ses Superieurs qui la gouvernent. Elle void nostre Seigneur dans sa maison, comme souverain Medecin, mais elle ne le regarde pas comme tel (si peu elle pensoit à sa guerison), ains elle le consideroit comme son Dieu, à qui elle appartenoit tant saine que malade, estant aussi contente malade que possedant une pleine santé. O! combien plusieurs eussent usé de finesse pour estre gueris de nostre Seigneur, et eussent dit qu'ils demandoient la santé pour le mieux servir, craignant que quelque chose ne luy manquast! Mais ceste bonne femme ne pensoit rien moins que cela, faisant voir sa resignation, en ce qu'elle ne demanda point sa guerison. Je ne veux pas dire pourtant qu'on ne la puisse

bien demander à nostre Seigneur, comme à celuy qui nous la peut donner, avec ceste condition : Si telle est sa volonté; car nous devons tousjours dire: Fiat voluntas tua. Il ne suffit pas d'estre malade et d'avoir des afflictions, puis que Dieu le veut; mais il le faut estre comme il le veut, quand il le veut, autant de temps qu'il veut, et en la façon qu'il luy plaist que nous le soyons, ne faisant aucun choix ny rebut de quelque mal ou affliction que ce soit, tant abjecte ou deshonorable nous puisse-t'elle sembler; car le mal et l'affliction sans abjection enfle bien souvent le cœur, au lieu de l'humilier. Mais quand on a du mal sans honneur, ou que le deshonneur mesme, l'avilissement et l'abjection sont nostre mal, que d'occasions d'exercer la patience, l'humilité, la modestie, et la douceur d'esprit et de cœur! Ayons donc un grand soin, comme ceste bonne femme, de tenir nostre cœur en douceur, faisant profit comme elle de nos maladies; car elle se leva si tost que nostre Seigneur eut chassé la fievre, et le servit à table. En quoy certes elle tesmoigna une grande vertu, et le profit qu'elle avoit fait de sa maladie, de laquelle estant quitte, elle ne veut user de sa santé que pour le service de nostre Seigneur, s'y employant au mesme instant qu'elle l'eut recouvrée. Au reste, elle n'est pas comme ces personnes du monde qui ayant une maladie de quelque jours, il leur faut les semaines et les mois pour les refaire. Nostre Seigneur estant sur la Croix, nous fait bien voir comme il faut mortifier les tendretez; car ayant une grande soif, il ne demanda pourtant point à boire, mais manifesta simplement sa necessité, disant : J'ay soif. Apres quoy il fit un acte de tres-grande sousmission; car quelqu'un luy ayant tendu au bout d'une lance un morceau d'esponge trempée dans du vinaigre pour le desalterer, il la sucça avec ses benites levres. Chose estrange! il n'ignoroit pas que c'estoit un breuvage qui augmentoit sa peine; neantmoins il le prit tout simplement, sans rendre tesmoignage que cela le faschoit, ou qu'il

ne l'eust pas trouvé bon, pour nous apprendre avec quelle sousmission nous devons prendre les remedes et viandes presentées, quand nous sommes malades, sans rendre tant de tesmoignages que nous en sommes degoustez et ennuyez, voire mesme quand nous serions en doute que cela accroistroit nostre mal. Helas! si nous avons tant soit peu d'incommodité, nous faisons tout au contraire de ce que nostre doux Maistre nous a enseigné; car nous ne cessons de nous lamenter, et ne trouvons pas assez de personnes, se semble, pour nous plaindre et raconter nos douleurs par le menu. Nostre mal, quel qu'il soit, est incomparable, et celuy que les autres souffrent n'est rien au prix. Nous sommes plus chagrins et impatiens qu'il ne se peut dire ; nous ne trouvons rien qui aille comme il fautpour nous contenter. En fin, c'est grande compassion combien nous sommes peu imitateurs de la patience de nostre Sauveur, lequel s'oublioit de ses douleurs et ne taschoit point de les faire remarquer par les hommes, se contentant que son Pere celeste, par l'obeyssance duquel il les souffroit, les considerast, et appaisast son courroux envers la nature humaine pour laquelle il patissoit.

Demandez-vous ce que je desire qui vous demeure le plus engravé dans l'esprit, à fin de le mettre en pratique? Eh! que vous diray-je, mes tres-cheres Filles, sinon ces deux cheres paroles que je vous ay desja tant recommandées? Ne desirez rien, ne refusez rien. En ces deux mots je dis tout; car ce document comprend la pratique de la parfaite indifference. Voyez le pauvre petit Jesus en la creche il reçoit la pauvreté, nudité, la compagnie des animaux, toutes les injures du temps, le froid et tout ce que son Pere permet luy arriver. Il n'est pas escrit qu'il estendit jamais ses mains pour avoir les mammelles de sa mere; il se laissoit tout à fait à son soing et prevoyance. Aussi ne refusoit-il pas tous les petits soulagemens qu'elle luy donnoit. Il recevoit les

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services de S. Joseph, les adorations des Roys et des Bergers, et le tout avec esgale indifference. Ainsi nous ne devons rien desirer ny rien refuser, ains souffrir et recevoir esgalement tout ce que la providence de Dieu permettra nous arriver. Dieu nous en fasse la grace. Dieu soit beny!

ENTRETIEN XXII ET DERNIER'.

Le jour de S. Etienne au soir, la surveille de sa mort, apres avoir souhaité le bon soir à ses cheres filles, il leur dit.

Mes cheres Filles, je viens icy pour vous dire le dernier adieu, et m'entretenir ce peu avec vous, parce que le monde et la Cour m'ont derobé tout le reste du temps. Enfin, mes cheres Filles, il s'en faut aller. Je viens finir la consolation que j'ay receuë jusqu'à present avec vous. Avons-nous rien plus à dire? Il est vray que les filles ont tousjours beaucoup de repliques : il est mieux de parler à Dieu qu'aux hommes.

A quoy la Superieure ayant respondu, que si elle vouloit parler à luy, c'estoit pour apprendre comment il falloit parler à Dieu :

Eh bien, dit-il, l'amour propre se servira de ce pretexte; ne faisons point de preface. Qu'y a-t'il à dire? Et sur les demandes que luy firent ses cheres filles, il leur donna de tres-bons avis sur la maniere que les Superieures se doivent comporter envers les inferieures, et reciproquement les inferieures envers les Superieures; de la façon qu'on se doit gouverner au desir ou refus des charges en Religion et ce fut à ce propos-là qu'il leur dit qu'il estoit tousjours mieux de ne rien demander et de ne rien refuser, mais de se tenir tousjours prest pour faire l'obeyssance.

1 On a reuni ici cet Entretien pour la premiere fois. Il est tiré des Opuscules de S. François de Sales, 3 vol. in-12, Paris, Hérissant, 1762, II* Partie, pag. 296. (Edit. de Blaise.)

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