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l'ombre de la prevarication; et c'est pourquoy l'Espoux dit que son Espouse ressemble à une Colombe qui se tient le long des fleuves qui coulent doucement, et dont les eaux sont crystallines. Vous sçavez bien que la Colombe se tient en asseurance aupres de ces eaux, parce qu'elle y void les ombres des oyseaux de proye qu'elle redoute, et soudain qu'elle les void, elle prend la fuite, et ainsi ne peut estre surprise. De mesme (veut dire le sacré Espoux) est ma bienaymée; car tandis qu'elle eschappe de devant l'ombre de la prevarication de mes commandemens, elle ne craint point de tomber entre les mains de la desobeyssance. Certes celuy qui se prive volontairement, par le vœu d'obeyssance, de faire sa volonté és choses indifferentes, monstre assez qu'il ayme d'estre sousmis és necessaires et qui sont d'obligation. Il faut donc estre extremement ponctuelles en l'observance des loix et des regles qui nous sont données par nostre Seigneur, mais sur tout en ce poinct de suivre en toutes choses la Communauté; et se faut bien garder de dire que nous ne sommes pas tenues d'observer ceste Regle ou commandement particulier de la Superieure, d'autant qu'il est fait pour les foibles, et que nous sommes fortes et robustes; ny au contraire que le commandement est fait pour les fortes, et que nous sommes foibles et infirmes : ô Dieu! il ne faut rien moins que cela en une Communauté. Je vous conjure, si vous estes fortes, que vous vous affoiblissiez pour vous rendre conformes aux infirmes; et si vous estes foibles, je vous dis : Efforcez-vous pour vous adjuster avec les fortes. Le grand Apostre S. Paul dit, qu'il s'est fait tout à tous, pour les gaigner tous : Qui est infirme, avec lequel je ne le sois? qui est malade, avec lequel je ne sois aussi malade? avec les forts je suis fort. Voyez-vous comme S. Paul, quand il est avec les infirmes, il est infirme et prend volontiers les commoditez necessaires à leurs infirmitez, pour leur bailler confiance d'en faire de mesme : mais quand il se

trouve avec les forts, il est comme un Geant pour leur donner du courage; et s'il se peut appercevoir que son prochain soit scandalisé de quelque chose qu'il fasse, si bien il luy est licite de la faire, neantmoins il a un tel zele de la paix et tranquillité de son cœur, qu'il s'abstient volontiers de la faire. Mais, me direz-vous, maintenant que c'est l'heure de la recreation, j'ay un tres-grand desir d'aller faire oraison pour m'unir plus immediatement avec la souveraine bonté; ne puis-je pas bien penser que la loy qui ordonne de faire la recreation ne m'oblige pas, puis que j'ay l'esprit assez jovial de moy-mesme? O non! il ne faut non plus le penser que le dire. Si vous n'avez pas besoin de vous recreer, il faut neantmoins faire la recreation pour celles qui en ont besoin. N'y a-il doncques point d'exception en Religion? les Regles obligent-elles esgalement? Ouy sans doute mais il y a des loix qui sont justement injustes: par exemple, le jeusne du Caresme est commandé pour un chacun ne vous semble-il pas que ceste loy soit injuste, puis que l'on modere ceste injuste justice, donnant des dispenses à ceux qui ne la peuvent pas observer? De mesme en est-il és Religions : le commandement est esgalement pour tous, et nul de soymesme ne s'en peut dispenser; mais les Superieurs moderent la rigueur, selon la necessité d'un chacun : et faut bien se garder de penser que les infirmes soient plus inutiles en Religion que les forts, ou qu'ils fassent moins, et ayent moins de merite; parce que tous font esgalement la volonté de Dieu. Les Mousches à miel nous monstrent l'exemple de ce que nous disons: car les unes sont employées à la garde de la ruche, et les autres sont perpetuellement au travail de la cueillette celles toutefois qui demeurent dans la ruche ne mangent pas moins de miel que celles qui ont la peine de l'aller picorant sur les fleurs. Ne vous semble-il pas que David fit une loy injuste, lors qu'il commanda que les soldats qui garderoient les hardes eussent esgalement part au butin

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avec ceux qui iroient à la bataille, et qui en reviendroient tout chargez de coups? Non certes elle n'estoit point injuste, d'autant que ceux qui gardoient les hardes, les gardoient pour ceux qui combattoient, et ceux qui estoient en la bataille combattoient pour ceux qui gardoient les hardes aussi ils meritoient tous une mesme recompense, puis qu'ils obeyssoient tous esgalement au Roy. Dieu soit beny.

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ENTRETIEN XIV.

Contre le propre jugement et la tendreté que l'on a sur soy-mesme.

La premiere question est, si d'estre sujette à sa propre opinion est une chose bien contraire à la perfection. Sur quoy je responds qu'estre sujet à avoir des propres opinions, ou n'y estre pas, est une chose qui n'est ny bonne ny mauvaise, d'autant que cela est tout naturel : chacun a des propres opinions; mais cela ne nous empesche pas de parvenir à la perfection, pourveu que nous ne nous y attachions pas, ou que nous ne les aymions pas; car c'est seulement l'amour de nos propres opinions qui est infiniment contraire à la perfection, et c'est ce que j'ay tant de fois dit, que l'amour de nostre propre jugement, et l'estime que l'on en fait, est la cause qu'il y a peu de parfaits. Il se trouve beaucoup de personnes qui renoncent à leur propre volonté, les uns pour un sujet, les autres pour un autre; je ne dis pas seulement en Religion, mais parmy les seculiers, et dans les Cours des Princes mesmes: si un Prince commande quelque chose à un Courtisan, il ne refusera jamais d'obeyr; mais d'avouer que le commandement soit bien fait, cela arrive rarement. Je feray ce que vous me commandez en la façon que vous me dites, respondra-il; mais... Ils demeurent tousjours sur leur mais, qui vaut autant à dire qu'ils sçavent bien qu'il seroit mieux autrement. Nul ne peut douter, mes cheres filles, que cecy ne soit fort contraire à la perfection; car il

produit pour l'ordinaire des inquietudes d'esprit, des bijarreries, des murmures, et enfin il nourrit l'amour de sa propre estime; de maniere donc que la propre opinion ny le propre jugement ne doit pas estre aymé ny estimé. Mais il faut que je vous die qu'il y a des personnes qui doivent former leurs opinions, comme sont les Evesques, les Superieurs, qui ont charge des autres, et tous ceux qui ont gouvernement; les autres ne le doivent nullement faire, si l'obeyssance ne le leur ordonne; car autrement ils perdroient le temps qu'ils doivent employer à se tenir fidellement aupres de Dieu. Et comme ceux-cy seroient estimez peu attentifs à leur perfection, et personnes inutilement occupées, s'ils vouloient s'arrester à considerer leurs propres opinions, de mesme les Superieurs devroient estre estimez peu capables de leurs charges, s'ils ne formoient leurs opinions et ne vouloient en fin prendre des resolutions, quoy qu'ils ne s'y doivent pas complaire ny s'y attacher, car cela seroit contraire à leur perfection. Le grand S. Thomas, qui avoit un des plus grands esprits qu'on sçauroit avoir, quand il formoit quelques opinions, il les appuyoit sur des raisons les plus preignantes qu'il pouvoit; et neantmoins s'il trouvoit quelqu'un qui n'approuvast pas ce qu'il avoit trouvé bon, ou y contredist, il ne disputoit point ny ne s'en offensoit point, ains souffroit cela de bon cœur; en quoy il tesmoignoit bien qu'il n'aymoit pas sa propre opinion, bien qu'il ne la desappreuvast pas aussi. Il laissoit cela ainsi qu'on la trouvast bonne ou non, apres avoir fait son devoir il ne se mettoit pas en peine du reste. Les Apostres n'estoient pas attachez à leurs propres opinions, non pas mesme és choses du gouvernement de la saincte Eglise, qui estoit un affaire si important; si qu'apres qu'ils avoient determiné l'affaire par la resolution qu'ils en avoient prise, ils ne s'offensoient point si on opinoit là-dessus, et si quelques-uns refusoient d'agréer leurs opinions, quoy qu'elles fussent bien appuyées,

ils ne recherchoient point de les faire recevoir par des disputes ny contestes. Si donc les Superieurs vouloient changer d'opinion à tous rencontres, ils seroient estimez legers et imprudens en leurs gouvernemens; mais aussi si ceux qui n'ont point de charges vouloient estre attachez en leurs opinions, les voulant maintenir et faire recevoir, ils seroient tenus pour opiniastres : car c'est une chose toute asseurée que l'amour de la propre opinion degenere en opiniastreté, s'il n'est fidelement mortifié et retranché : nous en voyons l'exemple mesme entre les Apostres. C'est une chose admirable que nostre Seigneur ait permis que plusieurs choses dignes veritablement d'estre escrites, que les saincts Apostres ont faites, soient demeurées cachées sous un profond silence, et que ceste imperfection que le grand S. Paul et S. Barnabé commirent ensemble ait esté escrite; c'est sans doute une speciale providence de nostre Seigneur, qui l'a voulu ainsi pour nostre instruction particuliere. Ils s'en alloient tous deux ensemble pour prescher le sainct Evangile, et menoient avec eux un jeune homme nommé Jean Marc, lequel estoit parent de S. Barnabé : ces deux grands Apostres tomberent en dispute s'ils le meneroient ou s'ils le laisseroient, et se trouvans de contraire opinion sur ce fait et ne se pouvans accorder, ils se separerent l'un de l'autre. Or dites-moy maintenant, nous devons-nous troubler quand on void quelque defaut parmy nous autres, puis que les Apostres les commirent bien? Il y a certes de grands esprits qui sont fort bons, qui sont tellement sujets à leurs opinions et les estiment si bonnes, que jamais ils n'en veulent demordre, et il faut bien prendre garde de ne la leur demander à l'impourveuë; car apres il est presque impossible de leur faire cognoistre et confesser qu'ils ont failly, d'autant qu'ils se vont enfonçant si avant en la recherche des raisons propres à soustenir ce qu'ils ont une fois dit estre bon, qu'il n'y a plus de moyen, s'ils ne s'adonnent à une excellente perfection, de

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